27 juin 2008

Critiquer le Concile
27 juin 2008 - Jean Madiran - present.fr
Il faut se méfier de Guillaume de Tanoüarn : écrivain brillant, esprit curieux de tout et parfois profond, prêtre, théologien, il est aussi un chroniqueur au meilleur sens du terme, c’est-à-dire un observateur aigu de l‘état des lieux, du temps qu’il fait et de l‘événement qui vient. Si l’on n’est pas attentif à ce qu’il écrit, on risque toujours de laisser passer un angle de vue inattendu, une analyse fichtrement intelligente, voire un point de doctrine trop négligé.

A plusieurs reprises ces temps-ci, l’abbé de Tanoüarn s’est exprimé sur la « reconnaissance canonique » qu’en compagnie de l’abbé Philippe Laguérie il a obtenue du Saint-Siège pour l’Institut du Bon Pasteur (IBP). Dans cette reconnaissance « il est stipulé, dit-il, que nous gardons un droit de critique constructive du Concile ». Il ajoute : « Je dirai même que parmi les communautés ED [c’est-à-dire : « Ecclesia Dei »] c’est cette liberté critique qui fait notre spécificité, notre charisme. »

Une telle reconnaissance explicite est importante. Je ne sais si son texte emploie littéralement l’amusante expression « critique positive ». Toute critique est d’abord négative, sans quoi elle ne serait plus une critique, mais une apologie ou une hagiographie. Et toute critique négative est également positive par son intention et sa finalité. Mais n‘épiloguons pas trop sur ces termes incertains, mouvants, arbitraires de positif et de négatif, ils s’inspirent de la dialectique marxiste, d’où ils conservent la fonction de sournoisement remplacer les notions de vrai et de faux, de bien et de mal.

La légitimité de la moindre « critique du Concile » est niée en fait par la pratique courante, dans la hiérarchie ecclésiastique elle-même, de disqualifier sans autre examen ni argument tout ce qui est décrété contraire à la lettre ou à l’esprit du concile Vatican II. Cela commença en 1965-1966, dans les illusions ardentes du soi-disant « renouveau entrepris ». Mais quarante-trois ans après, cela devient de plus en plus fantastique et ridicule. Espère-t-on donc maintenir cet interdit artificiel pendant un siècle ? Ou davantage, en continuant, comme Paul VI, à donner à Vatican II « plus d’importance » et d’autorité que Trente et que Nicée ?

L’abbé de Tanoüarn dit bien : « Nous gardons un droit » (de critiquer le Concile). Il ne dit pas, et il a raison, qu’il s’agirait d’une faveur, d’un privilège, d’une autorisation particulière. La situation est à cet égard analogue à celle de la messe romaine traditionnelle. Qu’elle soit « autorisée » ou « interdite », ce sont là des péripéties variables, artificielles et incongrues. On a maintenant compris – et officiellement reconnu – qu’elle ne peut être validement interdite et qu’il n’est besoin d’aucune autorisation particulière pour la célébrer. Il en va de même pour la critique du Concile.

Cette critique consiste souvent à déterminer dans quelle mesure le Concile, par ses constitutions, ses décrets et ses déclarations, serait lui-même la cause de la ravageuse évolution post-conciliaire qui l’a suivi. Mais ce n’est peut-être pas la vraie question. Vatican II n’a pas été forcément une cause et un commencement, mais plutôt une conséquence. La révolution religieuse qui bouleverse et asphyxie le catholicisme n’est pas issue du Concile : c’est plus souvent le Concile qui est issu de cette révolution aux racines anciennes, mais librement fomentée à partir de 1958. Nous aurons à en reparler à propos de la nouvelle édition, « révisée et complétée », du Paul VI d’Yves Chiron, qui vient tout à fait à point.

JEAN MADIRAN

Article extrait du n° 6619 de Présent, du Vendredi 27 juin 2008