28 juin 2008

La grâce de Pierre
28 juin 2008 - Jean Madiran - present.fr
Yves Chiron est principalement un historien. Et pour lui, l’histoire est un récit que l’on raconte, notamment une biographie, l’histoire d’une vie. L’histoire, ce n’est pas un ensemble d‘études abstraites, « thématiques », comme « Les variations de la conscience de classe chez les agriculteurs du Poitou au XIe siècle » ou comme « La mortalité infantile comparée dans les pays européens de la Renaissance ». Raconter une histoire, commenter un texte sont les deux fondements d’une éducation intellectuelle (et d’abord du catéchisme). En ces deux matières, Yves Chiron est devenu un maître.

Paul VI est mort il y a trente ans, un 6 août : l’espace d’une génération. Pour ce trentenaire, Yves Chiron nous donne, aux éditions Via Romana, une « édition révisée et complétée » du Paul VI, le pape écartelé qu’il avait publié en 1993. Dans ses travaux, l’histoire des papes apparaît de plus en plus comme l’une de ses spécialités, il a écrit un Pie IX en 1995, un Pie X en 1999 et un Pie XI en 2004.

Le pontificat de Paul VI fait l’objet de contestations qui sont toujours présentes. Il a conduit et conclu le concile Vatican II. Il a subi plus qu’il n’a contrôlé la bourrasque, les dérives, les révoltes qui ont ravagé la liturgie, l’exégèse, le catéchisme, la théologie, la doctrine sociale. Yves Chiron nous promène au milieu de ces troubles avec une calme honnêteté, il mentionne tous les commentaires qui, surtout en matière religieuse, font partie de l‘événement, il cite toutes les sources, en tant que telles et selon leur valeur, des plus certaines aux moins crédibles ; réserve explicitement faite de ce que pourront un jour révéler les archives du saint-siège, ce n’est pas pour demain.

C’est maintenant une certitude irréfragable : Paul VI a eu tort. Il a eu tort en matière grave. Un tort désormais reconnu. Il a interdit à tort la célébration de la messe romaine traditionnelle. Il l’a interdite d’abord indirectement, en 1969-1970, puis explicitement à partir du 24 mai 1976. Jusqu’au bout de son pontificat il a maintenu cet interdit avec une obstination et même, au témoignage de Jean Guitton, avec une hargne incroyables, manifestant une partialité passionnée.

Sed contra : en plusieurs occasions d’une gravité parfois exceptionnelle, Paul VI surmonte cette partialité passionnée, il arrive à contredire ses tendances personnelles et il agit en souverain pontife. L’année 1968 en est l’exemple le plus significatif. Yves Chiron nous rappelle (p. 239 sq.) que sa proclamation du Credo, reprenant et développant les formulations du concile de Nicée, n’est pas une simple profession de foi personnelle, mais qu’il l’a voulue et présentée comme la profession de foi de l’Eglise, à l’encontre des catholiques qui se laissent prendre « par une passion du changement et de la nouveauté », – passion subie toute sa vie par Paul VI lui-même. Là-contre, il insistait : « L’intelligence que Dieu nous a donnée atteint ce qui est, et point seulement l’expression subjective des structures et de l‘évolution de la conscience » ; il récusait une « religion anthropocentrique » car « la religion doit être, par sa nature même, théocentrique ». C‘était une interprétation rectificatrice de son fameux : « Nous aussi, plus que quiconque, nous avons le culte de l’homme. »

Ce fut aussi l’année de l’encyclique Humanae vitae où Paul VI, contre son sentiment personnel – et contre le sentiment de ses amis les plus proches et du milieu intellectuel et politique qui n’avait pas cessé d‘être le sien – réaffirmait sans hésitation ni équivoque la doctrine qui a toujours été et sera toujours celle de l’Eglise sur l’avortement, la stérilisation, la contraception, le mariage : « Cette doctrine, plusieurs fois exposée par le Magistère, est fondée sur le lien indissoluble que Dieu a voulu, et que l’homme ne peut rompre de son initiative, entre les deux significations de l’acte conjugal : union et procréation. »

De telles contradictions donnent aux théologiens du grain à moudre sur les limites des défaillances du pontife romain. A partir de 1958, elles se sont montrées moins nombreuses qu’on ne le croyait jusqu’alors. Mais elles ont montré aussi ce qu’elles peuvent avoir d’infranchissable.

Paul VI avait eu la juste grandeur de se présenter, dans le temple suspect de la communauté internationale, en disant : « Je suis Pierre. »

Dans les deux occasions au moins de 1968, la grâce de Pierre ne lui a pas manqué. Elle a été efficace.

JEAN MADIRAN

Article extrait du n° 6620 de Présent, du Samedi 28 juin 2008