SOURCE - Jérôme R. - Le Forum catholique - 26 juin 2008
Entre vignes et abricotiers, dans cette belle vallée inondée
de soleil, à quelques pas seulement du séminaire qu’il a fondé, le grand Prélat
se promène.
Voici quelques mois, il a sacré 4 évêques sans mandat
pontifical et a subi la plus grave des condamnations : l’excommunication.
Dans quelques mois, il s’en doute bien, ces mots de Saint Paul seront inscrits
sur sa tombe « Tradidi vobis quod et accepi ».
La terrible sentence qui l’a frappé ne le fait pas trembler,
malgré la certitude de son imminent retour vers le Juge qu’il a toujours servi
avec amour et fidélité.
Ce qu’il ressent n’est pas arrogance ou orgueil. Son âge
avancé n’a pas altéré son jugement. Son geste, lors des récents sacres, fut
uniquement et totalement guidé par son incommensurable amour de l’Eglise. Cette
Eglise qu’il aime par-dessus tout et que la crise moderniste déchire de toutes
parts.
L’amour de Dieu, de son Eglise et des âmes. Un amour absolu, inconditionnel, qui brûle tout son être. Voilà ce qui l’a conduit à accepter cette terrible sentence de l’excommunication.
Tout en marchant, l’Evêque y pense avec gravité. Jamais, il n’aurait pensé qu’une telle chose soit possible. Jamais, durant toutes ces années où il fut jeune prêtre, évêque, archevêque, Légat du pape, Supérieur Général des Spiritains, Fondateur et Supérieur de la Fraternité St Pie X, jamais il n’aurait pu imaginer qu’un jour il doive accepter la peine ecclésiale la plus sévère qui soit par amour de l’Eglise.
« Excommunication » le mot le fait frémir.
Il pense à ses parents qui étaient des saints. Si on leur avait dit qu’un jour
leur fils, évêque, serait excommunié !
Il avait maintes fois retourné la question dans son esprit avant de procéder aux sacres, mais, malgré la terrible frayeur qui l’habitait devant la gravité de cette extrémité, il avait décidé d’accepter et d’offrir ce sacrifice pour le bien de l’Eglise, de la messe, des prêtres et du sacerdoce et pour le salut des âmes.
Le Seigneur qui sait tout considérera à sa juste valeur un
acte que les hommes jugent avec si peu de clairvoyance.
Le Prélat s’arrête un instant et contemple ce magnifique
paysage alpin auquel il s’est tant attaché.
Il plonge sa main dans la poche de sa soutane pour
y saisir son chapelet et murmure en se signant : « In Nomine
Patris et Filii et Spiritus Sancti».
C’est alors que la voix se fait entendre.
« Votre décision
fut la bonne Monseigneur et votre sacrifice portera du fruit. Grâce à vous, de
nombreuses âmes seront sauvées par la grâce du sacerdoce et de la messe que
vous aurez sauvegardés. Dans vingt ans déjà, le pape en personne rétablira le
droit de cité du vénérable Rite de Saint Pie V. Un cardinal le célébrera au
grand jour, à Rome, en la Basilique Sainte Marie Majeure. De nombreux Evêques
de par le monde célébreront la messe, la confirmation et les ordinations de la
façon que vous l’avez toujours fait. Des paroisses personnelles seront érigées,
réservées exclusivement à l’ancien Rite. De nouvelles communautés
traditionnelles seront fondées sous la protection du Vatican. Le pape de ce
temps-là, malgré la haine et les critiques, affirmera officiellement que tous
les prêtres ont le droit de célébrer la messe traditionnelle, sans même devoir
en demander la permission à leurs évêques ou à leurs supérieurs religieux. »
L’évêque écoute paisiblement. Son visage est impassible et
pourtant, une larme perle au coin de ses yeux clos.
« Deo gratias !» dit-il dans un grand soupir.
- « La crise de l’Eglise sera donc terminée dans vingt ans ? » demande-t-il incrédule, sans ouvrir les yeux et en serrant fortement son chapelet dans sa main droite.
- « Malheureusement non, Monseigneur » répond la voix. « Vingt ans, c’est si court et la crise est si profonde. Les désastres qu’elle a entraînés seront encore présents et visibles, partout ! Il faudra encore du temps, plusieurs générations, pour qu’Elle retrouve le visage qui fut le sien. Mais, dans vingt ans, grâce au courage d’un pape que vous connaissez et pour lequel vous avez beaucoup prié, les choses commenceront à changer. En réalité, à ce moment-là, les armes seront rendues aux soldats qui souhaitent servir Notre Seigneur Jésus-Christ. »
- « La Fraternité que j’ai fondée, voilà la milice dont
l’Eglise pourra se servir pour cette grande bataille » reprend l’Evêque,
fièrement.
La voix ne répond pas. L’Evêque attend, longtemps, puis questionne :
- « Elle restera fidèle n’est-ce pas ? »
La voix se tait un instant, puis répond :
« Oui, jusque-là, elle restera dans le droit chemin que vous lui avez indiqué. Mais, lorsque le pape l’appellera, elle refusera d’accéder à sa demande ! »
« Mon Dieu ! » frémit l’Evêque, « ce n’est pas possible ! Elle aura certainement une bonne raison pour expliquer ce refus ? Quelle est-elle ? La messe ? »
« Je viens de vous dire qu’elle sera alors totalement libéralisée par le Saint Siège. »
« Alors les autres sacrements ? »
« Autorisés également, dans leur intégralité et selon l’antique forme. »
« Ses évêques, voilà certainement la raison. »
« Reconnus comme tels et réhabilités, ainsi que votre mémoire à condition que l’accord proposé par Rome soit signé. »
Le Prélat réfléchit un instant puis reprend :
« L’obligation de célébrer la nouvelle messe ou, pour le moins de concélébrer occasionnellement ? »
« Point d’exigence non plus de ce côté-là. La faculté de ne célébrer que la messe de toujours est acquise. »
« Une forme canonique inadéquate et réductrice qui empêcherait la Fraternité de continuer son œuvre ? »
« Une administration apostolique mondiale, sans avoir à rendre de comptes aux ordinaires locaux. »
« L’obligation de professer les erreurs du concile notamment sur la liberté religieuse, la collégialité et l’œcuménisme. »
« Non, Monseigneur, aucun engagement sur ces questions non plus. »
« Mais alors…. » soupire l’Evêque incrédule. « Je ne puis le croire. J’ai pourtant demandé explicitement à mes jeunes évêques d’aller remettre leur épiscopat dans les mains du Vicaire du Christ lorsque les choses auront changé. Et, selon ce que vous dîtes, il semble bien que, dans vingt ans, ce changement aura véritablement eu lieu. »
« En effet Monseigneur. Mais les responsables de la Fraternité en voudront encore plus, toujours plus. Ils auront pris l’habitude de n’écouter que leur propre jugement et, fondamentalement, ils auront perdu confiance en l’Eglise. »
« Quel malheur ! Ne leur ai-je pourtant pas montré l’exemple? N’ont-ils pas vu mon indéfectible attachement à Rome ? N’ont-il pas senti à quel point cette séparation me faisait souffrir ? N’ont-ils pas compris que dans les circonstances actuelles je n’ai pas d’autres choix… Mais que dans vingt ans, avec les extraordinaires changements que vous me décrivez, tout sera différent ? »
« Vos successeurs attendront que l’Eglise redevienne uniquement, totalement, exclusivement traditionnelle pour rentrer au bercail… »
« Elle ne l’a jamais été ! » coupa l’Evêque « Et, ce faisant, ils prendront le tragique risque de ne jamais revenir. Ils trahiront mon œuvre et ma volonté. Je ne puis le croire ! C’est pour cette bataille, pour le combat de sauvegarde de l’Eglise, en son propre sein, que j’ai fondé la Fraternité. Je n’ai jamais voulu fonder une petite église séparée, quand bien même professerait-elle la foi catholique. Ils doivent bien le savoir, tous ceux qui me sont proches le savent ! Alors certes, j’ai dû accepter l’inconcevable, l’excommunication, mais dans un contexte particulier. Mais avec ces changements…. »
« Ils les estimeront insuffisants. »
« Mon Dieu ! Venez-leur en aide ! Faites-leur comprendre que dans les conditions que vous m’expliquiez ils devront se mettre à la disposition du pape et de l’Eglise, en reconnaître l’autorité et certes, continuer le combat, mais de l’intérieur. C’est là qu’ils porteront du fruit, là qu’ils seront véritablement utiles, là qu’ils serviront Notre Seigneur Jésus-Christ et qu’ils participeront au salut des âmes. »
L’Evêque fit silence et reprit son chemin en égrainant son chapelet.
Lorsqu’il l’eut terminé, il demanda :
« Que puis-je faire pour éviter cela ? »
« Ce que vous étiez en train de faire Monseigneur, prier et faire prier ! »