18 septembre 2008

[Yves Chiron - Aletheia] Entretien avec l'abbé Paul Aulagnier

Entretien avec l'abbé Paul Aulagnier
18 septembre 2008 - Aletheia n°131 - yveschiron
Après la visite historique de Benoît XVI aux catholiques de France, plutôt que d’ajouter mon commentaire à ceux déjà publiés, je crois utile de publier le témoignage d’une des figures historiques du traditionalisme français. Non pas seulement son témoignage sur Benoît XVI, mais son témoignage sur l’évolution de l’Eglise durant ces dernières décennies et sur le retour de la Tradition.
L’abbé Paul Aulagnier a été le premier prêtre français ordonné par Mgr Lefebvre. Il a été pendant trois ans professeur et sous-directeur au séminaire d’Ecône. Puis, de 1976 à 1994, il a été supérieur du District de France de la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X. Durant ces dix-huit années, il a fondé un nombre considérable de prieurés, de chapelles et d’écoles, une revue et une maison d’édition. Pendant cette période, et jusqu’en 2002, il fut Assistant général de la FSSPX. Quand les traditionalistes brésiliens, autour de Mgr Rangel, se sont réconciliés avec le Saint-Siège et ont obtenu, par les Accords de Campos (2002), la création d’une Administration apostolique personnelle, l’abbé Aulagnier a pensé que la FSSPX devait suivre la même voie. La FSSPX, en ses instances dirigeantes, était – et reste – opposée à un accord avec Rome.
L’abbé Aulagnier a donc été exclu de la FSSPX. Avec d’autres prêtres issus de cette même Fraternité sacerdotale (l’abbé Philippe Laguérie, l’abbé Guillaume de Tanoüarn, l’abbé Christophe Héry), il a été alors un des fondateurs de l’Institut du Bon Pasteur qui s’attache à la célébration exclusive de la liturgie traditionnelle. Cet Institut a été reconnu par le Saint-Siège le 8 septembre 2006.En février dernier, par une convention passée entre le diocèse de Versailles et l’Institut du Bon Pasteur, l’abbé Aulagnier a reçu mission de célébrer la messe et les autres sacrements à Rolleboise.
On lira les réponses de M. l’abbé Aulagnier à la fois comme un témoignage et comme une prise de position.
Y.C.

Mgr Lefebvre avait demandé à Paul VI puis à Jean-Paul II : « Laissez-nous faire l’expérience de la Tradition ». Peut-on dire que les Accords de Campos, la création de l’IBP, le motu proprio du 07.07.2007 et la convention signée pour Rolleboise sont autant de réponses à cette demande ?
Je pense que l’on peut répondre par l’affirmative, mais en donnant des précisions.
Mgr Lefebvre, de fait, a toujours demandé, d’une manière pressente, aux autorités romaines : « Laissez-nous faire l’expérience de la Tradition ». Après le Concile du Vatican II, toutes les expériences sont permises, tolérées, par la hiérarchie tant en matière liturgique, qu’en matière pastorale, tant dans le domaine de l’enseignement catéchétique que dans le domaine social et politique … Le succès de ces expériences est loin d’être probant. Les églises se vident. Les séminaristes quittent les séminaires, ceux qui y restent abandonnent leur « froque », sont en quête de nouveautés. Il faut rejeter toutes les « traditions ». J’ai connu cela au Séminaire français de Rome … dans les années 1964-1968.
Dans cette situation tout à fait révolutionnaire, Mgr Lefebvre, sollicité par quelques jeunes étudiants et surtout préoccupé lui-même par la crise sacerdotale, organise, dès 1969, un séminaire à Fribourg puis à Ecône, dans le Valais en Suisse. C’est, alors, immédiatement, - on peut y voir la main de la Providence -, un franc succès… à l’échelle mondiale. Les vocations viennent de tous les continents. Là, le sacerdoce est aimé. La sainte liturgie antique aussi. On ne veut que celle-là ! Des maisons sont créées, des écoles catholiques s’ouvrent. Aussi, fort de ce succès, Mgr Lefebvre lance aux autorités de l’Eglise : « Laissez-nous donc faire l’expérience de la Tradition. Laissez-nous la liturgie antique de l’Eglise ». Pour l’heure, il n’en est pas question. On cherche plutôt à la supprimer indûment. S’y sont plus particulièrement employés ses ex-confrères du séminaire français, des années 1925, comme le cardinal Garonne, le cardinal Villot (rien moins que Secrétaire d’Etat), pour ne citer que les plus connus. Et lorsque Mgr Lefebvre, à cette époque, demande « Laissez-nous faire l’expérience de la Tradition », c’est dans cette atmosphère très conflictuelle. Rome n’envisage nullement de laisser faire cette expérience dans le cadre juridique précis d’une œuvre sacerdotale, la FSSPX. Non ! Rome veut supprimer ce qui apparaît comme un obstacle à l’ « aggiornamento conciliaire ».
Mais le temps passe, les hommes aussi. La révolution conciliaire montre chaque jour d’avantage son échec … Rome commence à poser un regard nouveau sur le problème de la réforme liturgique, sur le problème de la messe. Nous sommes en 1988, juste après les sacres faits par Mgr Lefebvre sans l’autorisation romaine. Cette abolition de la messe dite de Saint Pie V, raison essentielle du combat de Mgr Lefebvre, retient enfin l’intelligence des prélats. Le cardinal Ratzinger, soutenu par le cardinal Stickler, aujourd’hui décédé, montre, dans plusieurs ouvrages, que cette interdiction est injuste, anti-canonique, qu’il faut faire droit à la demande des « traditionalistes ». En même temps, les œuvres sacerdotales de ce « courant traditionaliste » deviennent plus stables, plus fortes. On peut alors envisager de leur donner une structure juridique dans le sein de l’Eglise en faisant droit à leur légitime demande en matière liturgique.
L’année jubilaire arrive. Nous sommes en l’an 2000. Rome, à cette occasion, reprend contact avec les pères de Campos au Brésil, avec les évêques de la FSSPX. Ces derniers ne suivront pas, malheureusement. Mais l’union des cœurs et des intelligences peut se faire avec les pères de Campos et sur la liturgie et sur l’interprétation du Concile. Rome leur concède une forme canonique que je considère comme formidable. Elle leur laisse toute liberté en matière de gouvernement, d’apostolat et de liturgie, par l’octroi d’une Administration Apostolique. À l’intérieur de cette Administration, tous les prêtres peuvent faire réellement « l’expérience de la Tradition », comme Mgr de Castro Mayer le souhaitait.
Mais vous pouvez voir la différence entre la demande de Mgr Lefebvre en 1969 et la réponse de Rome en 2002, date de la réconciliation des pères de Campos avec Rome. Cette expérience se fait dans un cadre légal, dans une situation apaisée. Et c’est ainsi que toutes les communautés « traditionalistes », la FSSP, l’Institut du Christ Roi, la communauté de Chemeré-le-Roi, la monastère de Dom Gérard … obtiennent, à des temps historiques différents et d’une manière différente, et un statut canonique et le droit légitime à l’usage de tous les sacrements dans leur forme ancienne. « Laissez-nous faire l’expérience de la Tradition », le « slogan » de Mgr Lefebvre, hier, devient pour beaucoup une réalité. Il a fallu attendre près de quarante ans pour obtenir cela. Grâce à la détermination de Mgr Lefebvre. Il faudra bien qu’il soit un jour sur les autels … C’est aussi ce qu’a obtenu, en 2006, l’Institut du Bon Pasteur : l’usage exclusif de la messe tridentine ... À nous aussi est donnée cette liberté … encore que notre liberté d’action soit bien moins grande que celle des pères de Campos dans leur Administration Apostolique. Car autre est une Administration Apostolique, autre un simple Institut de droit pontifical. Nos implantations - mais non point notre droit à la liturgie « ancienne », la nuance est capitale - sont dépendantes de l’autorité de l’ordinaire du lieu, l’évêque, alors qu’il suffit à l’autorité d’une Administration Apostolique d’avertir l’évêque résidant d’une nouvelle création ou fondation …Vous pouvez mesurer la différence. C’est ce qu’on appelle l’exemption. Pour moi, cette structure est essentielle au retour de l’ordre ecclésial. Peu d’évêques pensent ainsi… Mais c’est à cette seule condition que l’expression de Mgr Lefebvre « laissez-nous faire l’expérience de la Tradition » prendra toute sa valeur et sa portée. Voilà ce que Mgr Fellay devrait demander à Rome. C’est bien plus important que de vouloir débattre sur la doctrine, comme il semble toujours le vouloir. Dans une « guerre », occuper le terrain est plus important que « palabrer ». Ne croyez-vous pas que la réforme de Cluny triompha grâce à l’exemption des moines vis-à-vis des évêques résidants ? Vous qui êtes historien, vous pourriez, je pense, le confirmer.
Et c’est alors que, comme pour couronner ces trente-six années de combat et de conflit liturgique, Benoît XVI publie, le 7 juillet 2007, le Motu Proprio Summorum Pontificum reconnaissant le droit et la légitimité de la célébration du rite tridentin dans l’Eglise, pour chaque prêtre, sans autre autorisation particulière à demander. Il donne la paix à l’Eglise en matière liturgique et demande aux évêques : « laissez donc faire l’expérience de la Tradition » même pour vos prêtres diocésains. Il faudra certainement du temps pour que les choses se fassent ainsi, mais le principe est affirmé. C’est l’essentiel. Le reste est de l’accidentel. J’attends avec beaucoup d’impatience le jour où Benoît XVI, lui-même, à Rome, « ad caput », célébrera cette messe dans ce rite. Cela viendra bien.
À Rolleboise, avec le titre de vice-chapelain, vous avez pour mission de « célébrer une messe dominicale et la messe quotidienne selon le missel extraordinaire », de célébrer les autres sacrements et d’enseigner le catéchisme. Le village compte 400 habitants. Qui vient à cette messe dominicale ?
Répondre à cette question m’oblige à faire allusion à un petit drame. Les gens qui viennent à Rolleboise, vivre de cette messe tridentine, écouter les sermons, suivre les catéchismes… sont pour la plupart, du moins à l’origine, des fidèles de la FSSPX qui allaient tout près de là, en l’église d’un petit village, près de Mantes-la-Jolie, à Jouy Mautvoisin. Cette église a été pendant de longues années desservie par les prêtres du prieuré Saint-Jean, de la FSSPX. Le diocèse l’ayant quasiment abandonnée, un groupe de fidèles catholiques, organisé en association loi 1901, avec l’aide substantielle de la municipalité, la restaure. Ils avaient, dès lors, la libre gestion et de l’église et de l’association. Ils en assuraient la présidence. Mais ils ne souhaitaient qu’une chose : voir les prêtres de la FSSPX continuer leur ministère. Malheureusement, en mal d’autorité, le prieur voulut, un jour, prendre la présidence. Il s’y est mal pris. Ses supérieurs n’ont pas dû voir le danger. Ce fut le conflit. Une procédure s’en suivit, diligentée, tenez-vous bien, par le prieur. Il obtint gain de cause. Certains fidèles bien légitimement, ceux qui assuraient l’administration de l’association, se sont retirés. Ils se sont réfugiés dans une grange, chez une personne amie. M l’abbé de Tanouärn de l’IBP les a pris en pitié. J’ai proposé mes services. Le Motu Proprio est arrivé. D’autres fidèles de la région de Bonnières, toute proche, les rejoignent. Ils entretiennent de bons contacts avec leur curé. Mes relations avec Mgr Aumonier - je le connais depuis 1964 au séminaire français - permirent de trouver rapidement une solution. Une convention est signée entre le diocèse de Versailles et l’Institut du Bon Pasteur. La convention a été signée le premier dimanche de l’Avent 2008 jusqu’à la fin août. Elle vient d’être renouvelée.
Vous n’êtes donc pas tenu de célébrer la nouvelle messe ni de concélébrer ?
Je ne suis tenu ni à célébrer la nouvelle messe, ni à concélébrer. Je le refuserais du reste. Je veux bien, par contre, assister à la messe chrismale pour montrer l’unité du « presbyterium » autour de l’évêque. En matière liturgique, je reste en effet toujours attaché à la position de Mgr Lefebvre et à la position du cardinal Ottaviani exprimée dans sa lettre de présentation à Paul VI du Bref examen critique : « Toujours les sujets, pour le bien desquels est faite la loi, ont eu le droit et plus que le droit, le devoir, si la loi se révèle tout au contraire nocive, de demander au législateur, avec une confiance filiale, son abrogation. C’est pourquoi nous supplions instamment Votre Sainteté de ne pas vouloir que – dans un moment où la pureté de la foi et l’unité de l’Eglise souffrent de si cruelles lacérations et des périls toujours plus grands, qui trouvent chaque jour un écho affligé dans les paroles du Père commun – nous soit enlevée la possibilité de continuer à recourir à l’intègre et fécond Missel romain de saint Pie V, si hautement loué par Votre Sainteté et si profondément vénéré et aimé du monde catholique tout entier ».
Ce n'est pas au moment où le droit à l’usage de la messe « tridentine » est enfin légalement reconnu que je vais célébrer la nouvelle messe. Elle reste, pour moi, toujours équivoque. Elle favorise toujours l’hérésie protestante. Tant qu’elle sera célébrée « telle qu’elle » dans l’Eglise, il est vain d’espérer une restauration du sacerdoce, il est vain d’espérer, malgré tous les appels, les prières, un retour de la jeunesse dans les séminaires. Pour monter « à l’autel de Dieu », il faut un idéal fort, il faut une compréhension du vrai sacerdoce catholique. Il faut que soit rappelée la distinction essentielle entre le sacerdoce des fidèles et le sacerdoce hiérarchique. Or le rite nouveau, ce rite « moderne » pour s’exprimer comme Mgr Gamber, - expression que j’aurais préféré rencontrer dans le § 1 du Motu Proprio de Benoît XVI - entretient toujours la confusion du sacerdoce des fidèles d’avec le sacerdoce ministériel. Il faut une réelle confession de la sainte Eucharistie, du saint sacrifice propitiatoire de la Croix, renouvelé sur l’autel. Ce sacrifice, son actualité, est la raison du prêtre. C’est pourquoi il faut nécessairement procéder à la « réforme de la réforme ». Cette idée est celle de Benoît XVI. Il en a très souvent parlé alors qu’il était encore cardinal. Je prie pour que la Providence lui laisse le temps de mener à bien cette œuvre. Il s’y emploie par petites touches successives mais certaines : la restauration du latin, la célébration face à l’Orient, ou du moins face à la croix, la communion sur les lèvres, à genoux, par les mains du prêtre… Tout cela est important et montre le chemin à suivre... Voilà aussi une des raisons du retour de la messe tridentine dans l’Eglise.
Vous participez, néanmoins, aux réunions du doyenné comme le prévoit la convention. Comment le clergé du diocèse a-t-il accueilli l’ « expérience » de Rolleboise ?
Je dois participer en effet, aux différentes réunions des prêtres du diocèse. Je suis, de fait, invité à participer aux réunions du doyenné. Elles sont régulières. Le doyen est très « ouvert ». Mais certains de ses confrères sont plus « craintifs » et lui ont demandé d’aller doucement. Alors, pour l’instant, je suis invité à prendre part seulement au repas… Certains, me dit-on, seraient gênés, pour les discussions, par ma présence… Alors tel prêtre du doyenné m’invite à sa table pour faire meilleure connaissance. Je ne fus invité, pour l’instant qu’une fois… Je pense qu’il faut aller doucement. C’est « eux » qui sont un peu craintifs. Moi, je suis prêt à participer à toutes leurs réunions.
Si donc les contacts avec les prêtres du doyenné sont encore timides, par contre, j’ai les meilleures relations avec mon « chapelain », le curé de Bonnières. Il est très délicat, attentif, respectueux de notre communauté, désireux de répondre positivement à nos demandes légitimes. Lorsqu’il vient dire la messe, dans le cadre de la convention, en tant que chapelain, il ne célèbre que la messe tridentine. Il la dit mieux que moi. Il faut dire qu’il passa quatre ans au séminaire d’Ecône…
Mgr Aumonier m’a très gentiment reçu dans son diocèse. Nous sommes de « vieux » amis du Séminaire français. Des amis intimes…Nous étions, à l’époque, très proches sur bien des points. Il a un peu évolué… Je lui ai demandé dernièrement s’il voulait bien me donner le titre plein et entier de chapelain. J’ai argumenté en utilisant le droit canon… Par l’intermédiaire de son vicaire épiscopal, il m’a fait savoir qu’il préférait le statu quo… ce statut canonique devant régler un autre problème sur son diocèse. Je m’en contente donc d’autant plus que le curé de Bonnières est intelligent et agit avec beaucoup de délicatesse… Mais on peut dire que ce ne sont pas, malgré tout, « les grands amours ». On sent qu’ils craignent un peu. Ce n’est pas encore demain que les instituts sacerdotaux dépendant de la Commission Ecclesia Dei auront des « paroisses personnelles » avec le droit strict et exclusif de la messe tridentine. Je crois réellement qu’il faut patienter… Toutefois le mouvement vers le retour à la messe tridentine est aujourd’hui inéluctable.
Quel regard portez-vous sur la situation actuelle de la FSSPX et la position de ses responsables (je pense aux récentes déclarations de Mgr Fellay et de Mgr Tissier de Mallerais) ?
Je trouve mes confrères très durs, trop durs. Il est tant qu’ils « normalisent » leur situation avec Rome. Je pense que le grand succès de la visite du Pape à Paris les fera réfléchir. Ils ne peuvent pas se maintenir en marge de ce grand courant ; ils ne peuvent pas s’isoler. Ce serait terrible. Ils trahiraient Mgr Lefebvre et tout son combat qui est un combat d’Eglise, pour l’Eglise.
Les évêques de la FSSPX, auxquels je reste attaché, me paraissent trop catégoriques. Les déclarations de Mgr Tissier de Mallerais au magazine américain The Angelus sont manifestement excessives. Elles viennent d’être repris dans le dernier numéro de Fideliter. Et tout ce qui est excessif est sans valeur. Le discours de Mgr Fellay, à Saint Malo, le 15 août denier, est également trop brutal. L’un et l’autre attaquent de front. Mgr Lefebvre n’agissait pas ainsi. Il défendait une tradition, la tradition catholique, Il défendait la doctrine catholique, la sainte messe, la sainte liturgie. Il rappelait la doctrine du catéchisme, il rappelait l’enseignement du Christ-Roi en citant les encycliques de Léon XIII, de saint Pie X, de Pie XI, de Pie XII. C’était l’enseignement qu’il donnait aux séminaristes. Il ne s’agissait pas d’attaques personnelles contre les papes. Là, Mgr Tissier de Mallerais et Mgr Fellay sont redoutables. Pour l’un, Benoît XVI est le pire des modernistes, pour l’autre, le pire des libéraux. Un peu de mesure ! Tout de même.
Nous n’avons rien entendu de tel ni dans le discours du Pape aux Bernardins, ni dans son discours devant la foule immense réunie aux Invalides. Aux Bernardins, il a fait l’apologie de la civilisation chrétienne, œuvre essentiellement bénédictine. Son insistance sur le « quaerere Deum » fut particulièrement heureuse et sa conclusion sur l’ « objectivité » de cette recherche de Dieu et sa nécessité montre la légèreté de la critique de Mgr Tissier de Mallerais. Le « subjectivisme », caractéristique du modernisme, n’est pas du côté que l’on croit ! Aux Invalides, sa présentation du sacerdoce, de la messe, de la présence réelle, du chant grégorien, son appel à la vocation sacerdotale à ces milliers de jeunes auraient plu à Mgr Lefebvre. Pourquoi continuer à se « braquer » ? Pourquoi ne pas s’ouvrir un peu ? Pourquoi ne pas remarquer le changement ? Est-ce par fidélité ? Elle serait mal comprise ! J’aurais envie de leur dire : Ne faites pas du « lefébvrisme ».
La FSSPX parlait jadis de son « ministère de suppléance ». Désormais, dans le bulletin de Saint-Nicolas de Chardonnet par exemple, est employée l’expression de « ministère critique ». Qu’en pensez-vous ?
Je trouve cette expression particulièrement malheureuse et surtout grave. On s’éloigne ainsi de la pensée de Mgr Lefebvre et de son mode d’agir. Comme je vous l’ai dit, tout à l’heure, Mgr Lefebvre ne voulait donner de leçons à personne. Dans cette agitation conciliaire, une vraie révolution, Mgr Lefebvre voulait garder un trésor, le trésor de l’Eglise. Il agissait en évêque, en vrai confesseur de la foi.
Face à la destruction du sacerdoce, il rappelait la doctrine sacerdotale. Il la puisait dans les encycliques de saint Pie X, dans la vie du Curé d’Ars, dans les œuvres et les auteurs de l’Ecole française, dans les ouvrages de M. Olier, du cardinal de Bérulle. Un des « disciples » de Mgr Lefebvre, M. l’abbé Troadec, a eu le mérite de réunir un ensemble de textes de Mgr Lefebvre sur ce sujet. Et c’est très bon. Dans aucune de ces pages, que j’ai lues pendant ces vacances, Mgr Lefebvre n’usurpe « un ministère », un « ministère critique ». Mgr Lefebvre n’exerce aucune censure. Il enseigne. Il édifie. Il construit.
Face à la diminution grave du clergé, il construit concrètement, réellement, des séminaires. Il parcourt la France, le monde entier. Sa parole, sa doctrine, sa douceur, sa personnalité attirent la jeunesse. Un peu comme Benoît XVI ! Il se serait confiné en « critiques », il n’aurait pas rempli le moindre séminaire…
Face à la révolution libérale, au relativisme qui conduit la jeunesse vers un nihilisme destructeur, il rappelle, là aussi, la doctrine catholique, l’absolu de la doctrine catholique, l’absolu de l’appel du Christ et de sa Loi. Les discours actuels du Pape Benoît XVI lui ressemblent beaucoup. Il n’y a là rien de négatif, rien de pessimiste.
Vraiment l’expression est malheureuse. Ce n’est pas avoir connu Mgr Lefebvre, ni l’avoir entendu que de parler, pour lui et son œuvre, de « ministère critique ». Mgr Lefebvre était essentiellement joyeux, positif. Un vrai bâtisseur comme le fut Mgr Lefebvre toute sa vie, tant en Afrique qu’en Europe, conjugue les vertus de prudence, d’espérance et de force. Voilà mon point de vue.
Propos recueillis par Yves Chiron