SOURCE - Jean Madiran - Présent - 11 aout 2012
Mercredi prochain nous allons prier pour la France : comme nous l’avons toujours fait au quatrième des mystères glorieux, et plus spécialement en la fête nationale du 15 août : « Notre Dame de l’Assomption, priez pour la France, priez pour ses chefs, priez pour nous. » Mais cette année, pour la première fois depuis longtemps, nous aurons la joie de prier pour la France à l’invitation de nos évêques et peut-être de l’ensemble de notre clergé.
Timidement sans doute, mais bien réellement, la plus ancienne et la principale de nos fêtes nationales est, au moins en principe, rétablie en tant que telle dans l’Eglise.
C’est l’évêque du diocèse où depuis plus d’un demi-siècle je publie mes écrits, c’est le cardinal-archevêque de Paris qui, en sa qualité de président de la Conférence épiscopale, a cette année appelé à la prière pour la France. Je me réjouis de me trouver en communion explicite avec lui. Et je me réjouis de la confirmation visible du fait que par sa hiérarchie légitime, et quelles qu’aient été les acrobaties plus ou moins récentes de son clergé, l’Eglise finisse toujours par retomber sur ses pieds. Plus ou moins vite.
Selon l’autre quotidien catholique de Paris, le Cardinal « renoue ainsi avec une vieille tradition, de façon à ne pas laisser les groupes de catholiques les plus extrêmes figurer seuls dans le débat public ». Il semble bien que cette interprétation ne soit pas étrangère à l’intention exprimée par le Cardinal.
Mais alors, il y a erreur sur les personnes, et contre-vérité historique.
Loin d’avoir le monopole du débat public, les catholiques dits « les plus extrêmes » ont précisément le monopole contraire, celui d’en être exclus, que le débat soit politique ou religieux, justement à cause de leur « extrémisme » réel ou supposé, qui, seuls exclus à ce point, les disqualifie irrévocablement.
Qu’on me pardonne, s’il y a lieu, un témoignage que l’on pourra trouver trop personnel, mais il m’apparaît que j’y suis obligé, car se font de plus en plus rares ceux qui sont en mesure de témoigner sur la persistance d’une exclusion ininterrompue depuis une soixantaine d’années.
Très tôt, dès 1955, j’avais reçu un avertissement dont, alors, je n’avais pas compris la portée. A la suite d’une controverse publique (celle de Ils ne savent pas ce qu’ils font), j’avais eu le privilège d’une discussion de plusieurs heures avec Beuve-Méry et sa bande de catholiques de gauche, Sauvageot, Georges Hourdin, Stanislas Fumet, Dubois-Dumée, le Père dominicain Boisselot. Ils m’avaient invité pour me proposer le dialogue. Mais à la condition qu’il demeure privé. Ils refusaient absolument ce que je réclamais absolument : qu’il soit public. Car je le voulais public (et doctrinal), ils le voulaient privé (et personnel). C’était la clef. Chacun resta sur sa position. Et nous en sommes toujours là : c’est toujours la clef.
A l’époque j’avais pensé qu’il s’agissait d’une particularité de la bande catholique à Beuve-Méry (mais cela faisait déjà beaucoup, Le Monde, La Vie catholique illustrée, qui deviendra La Vie toujours illustrée mais ex-catholique, La Quinzaine, qui ne deviendra rien, l’Actualité religieuse dans le monde, Radio-Cinéma-Télévision qui deviendra Telerama, etc.). J’avais en réalité devant moi, sans le savoir, à vivre plus d’un demi-siècle pour constater, reconstater, vérifier qu’il s’agissait d’une loi générale, absolue, irrévocable, à la fois religieuse et laïque, temporelle et spirituelle, profane et sacrée, qui ne me visait pas personnellement, mais tous ceux qui s’inspiraient plus ou moins du courant de pensée contre-révolutionnaire. En 1977 le P. Congar (par étourderie ?) me consentit d’abord le débat public que l’on sait : très vite il fut sans doute rappelé à l’ordre (dominicain en l’occurrence), il se retira sur la pointe des pieds, en me répétant, lui aussi, qu’il restait à ma disposition pour tout dialogue privé. Quantité de bons confrères « extrémistes » ont depuis soixante ans subi le même genre d’exclusion du débat public mais, parfois ou souvent, sans analyser ni apercevoir la nature exacte et la généralité pratique de l’interdit, issu en réalité de la praxis marxiste-léniniste.
Tournons la page plutôt que de nous attarder sur ces épisodes passés. Mais il vaut toujours mieux savoir quelle est la clef persistante qui nous exclut du débat public entre les idées pour nous enfermer dans le dialogue entre sensibilités personnelles. Tournons donc la page, d’autant plus qu’il y a aujourd’hui d’autres anomalies dans la présentation que l’on nous fait de l’Assomption, il faudra bien que nous en parlions dès lundi.
JEAN MADIRAN
Article extrait du n° 7663 de Présent du Samedi 11 août 2012
Mercredi prochain nous allons prier pour la France : comme nous l’avons toujours fait au quatrième des mystères glorieux, et plus spécialement en la fête nationale du 15 août : « Notre Dame de l’Assomption, priez pour la France, priez pour ses chefs, priez pour nous. » Mais cette année, pour la première fois depuis longtemps, nous aurons la joie de prier pour la France à l’invitation de nos évêques et peut-être de l’ensemble de notre clergé.
Timidement sans doute, mais bien réellement, la plus ancienne et la principale de nos fêtes nationales est, au moins en principe, rétablie en tant que telle dans l’Eglise.
C’est l’évêque du diocèse où depuis plus d’un demi-siècle je publie mes écrits, c’est le cardinal-archevêque de Paris qui, en sa qualité de président de la Conférence épiscopale, a cette année appelé à la prière pour la France. Je me réjouis de me trouver en communion explicite avec lui. Et je me réjouis de la confirmation visible du fait que par sa hiérarchie légitime, et quelles qu’aient été les acrobaties plus ou moins récentes de son clergé, l’Eglise finisse toujours par retomber sur ses pieds. Plus ou moins vite.
Selon l’autre quotidien catholique de Paris, le Cardinal « renoue ainsi avec une vieille tradition, de façon à ne pas laisser les groupes de catholiques les plus extrêmes figurer seuls dans le débat public ». Il semble bien que cette interprétation ne soit pas étrangère à l’intention exprimée par le Cardinal.
Mais alors, il y a erreur sur les personnes, et contre-vérité historique.
Loin d’avoir le monopole du débat public, les catholiques dits « les plus extrêmes » ont précisément le monopole contraire, celui d’en être exclus, que le débat soit politique ou religieux, justement à cause de leur « extrémisme » réel ou supposé, qui, seuls exclus à ce point, les disqualifie irrévocablement.
Qu’on me pardonne, s’il y a lieu, un témoignage que l’on pourra trouver trop personnel, mais il m’apparaît que j’y suis obligé, car se font de plus en plus rares ceux qui sont en mesure de témoigner sur la persistance d’une exclusion ininterrompue depuis une soixantaine d’années.
Très tôt, dès 1955, j’avais reçu un avertissement dont, alors, je n’avais pas compris la portée. A la suite d’une controverse publique (celle de Ils ne savent pas ce qu’ils font), j’avais eu le privilège d’une discussion de plusieurs heures avec Beuve-Méry et sa bande de catholiques de gauche, Sauvageot, Georges Hourdin, Stanislas Fumet, Dubois-Dumée, le Père dominicain Boisselot. Ils m’avaient invité pour me proposer le dialogue. Mais à la condition qu’il demeure privé. Ils refusaient absolument ce que je réclamais absolument : qu’il soit public. Car je le voulais public (et doctrinal), ils le voulaient privé (et personnel). C’était la clef. Chacun resta sur sa position. Et nous en sommes toujours là : c’est toujours la clef.
A l’époque j’avais pensé qu’il s’agissait d’une particularité de la bande catholique à Beuve-Méry (mais cela faisait déjà beaucoup, Le Monde, La Vie catholique illustrée, qui deviendra La Vie toujours illustrée mais ex-catholique, La Quinzaine, qui ne deviendra rien, l’Actualité religieuse dans le monde, Radio-Cinéma-Télévision qui deviendra Telerama, etc.). J’avais en réalité devant moi, sans le savoir, à vivre plus d’un demi-siècle pour constater, reconstater, vérifier qu’il s’agissait d’une loi générale, absolue, irrévocable, à la fois religieuse et laïque, temporelle et spirituelle, profane et sacrée, qui ne me visait pas personnellement, mais tous ceux qui s’inspiraient plus ou moins du courant de pensée contre-révolutionnaire. En 1977 le P. Congar (par étourderie ?) me consentit d’abord le débat public que l’on sait : très vite il fut sans doute rappelé à l’ordre (dominicain en l’occurrence), il se retira sur la pointe des pieds, en me répétant, lui aussi, qu’il restait à ma disposition pour tout dialogue privé. Quantité de bons confrères « extrémistes » ont depuis soixante ans subi le même genre d’exclusion du débat public mais, parfois ou souvent, sans analyser ni apercevoir la nature exacte et la généralité pratique de l’interdit, issu en réalité de la praxis marxiste-léniniste.
Tournons la page plutôt que de nous attarder sur ces épisodes passés. Mais il vaut toujours mieux savoir quelle est la clef persistante qui nous exclut du débat public entre les idées pour nous enfermer dans le dialogue entre sensibilités personnelles. Tournons donc la page, d’autant plus qu’il y a aujourd’hui d’autres anomalies dans la présentation que l’on nous fait de l’Assomption, il faudra bien que nous en parlions dès lundi.
JEAN MADIRAN
Article extrait du n° 7663 de Présent du Samedi 11 août 2012