12 juin 2013

[Abbé Karl Stehlin, fsspx] Le pape et la papauté

SOURCE - Abbé Karl Stehlin, fsspx - supérieur de la Maison autonome des Pays de l'Est - version française par La Porte Latine - juin 2013

Récemment toute l’Eglise attendait l’élection du nouveau pape. L’attente était d’autant plus grande qu’elle était précédée d’événements inattendus. En effet, c’est avant tout la démission de Benoit XVI qui a pesé sur l’élection du pape François.

Au moment de son élection le nouveau pape était pour des millions de catholiques une personne plutôt inconnue. Son choix a surpris beaucoup de fidèles. Et les observateurs ont toute suite remarqué les différences entre les personnalités de Benoit XVI et de François. Le nouveau pape a décidemment étonné son entourage pontifical à plusieurs reprises. Il est certainement une personne suscitant les émotions, un personnage médiatique.

A peine commençait-il à s’installer sur le Siège de Pierre que certains l’ont déjà jugé. Nombreux sont ceux qui n’arrivaient pas à calmer leurs tendances aux conclusions hâtives, à la prise de parole sans une réflexion et une science suffisantes. Chaque information nouvelle venant de Rome et concernant le pape François suscitait immédiatement les commentaires ou des analyses critiques. Est arrivée aussi la nouvelle concernant le discours du pape et les commentateurs de service l’ont déjà classée comme étant conciliaire, œcuménique voire syncrétiste. Commençaient alors à apparaître chez certains la réticence et l’amertume auxquelles se joignaient rapidement des paroles tristes et hostiles.

Et ce n’est pas fini. Les esprits imprégnés du personnalisme souvent n’arrivent plus à distinguer entre la personne et la fonction qu’elle exerce. De là vient toute une série de comportements erronés. L’antipathie vis-à-vis la personne exerçant une fonction diminue le respect dû à la fonction même. Or les catholiques ne peuvent nier la fonction pontificale, pourtant nous savons que certains pratiquent leur foi tout simplement comme si le Siège Apostolique n’existait pas, ou comme s’ils n’en avaient pas besoin. L’exemple le plus radical d’une telle pensée c’est le sédévacantisme.

Beaucoup oublient que le catholicisme est de par sa nature romain et papal. Et je n’entends pas ici uniquement le catholicisme des latins, c’est à dire des fidèles du rite latin. Car également le catholicisme des fidèles de rites orientaux, y compris des uniates (gréco-catholiques) est romain. C’est que la romanité s’exprime avant tout dans la conscience, dans la manière de penser, de réagir. En effet, il n’est pas strictement nécessaire d’utiliser la langue latine dans la liturgie pour réfléchir d’une manière romaine, même si cette pensée romaine deviendrait certainement impossible si l’Eglise d’Occident cessait de célébrer la messe et les sacrements en latin, cessait de prier le bréviaire en latin. Si le fleuve devient sec à la source, son estuaire sera également sec.

La romanité c’est avant tout l’amour de l’Eglise qui est personnifiée sur cette terre par la personne du pape. La romanité c’est l’ultramontanisme qui peut se résumer par la perception du monde à travers « les lunettes romaines » ; un regard sur le monde depuis la ville de Rome, et plus précisément depuis la basilique saint Pierre. Louis Veuillot est un excellent exemple de cette attitude ultramontaine dont l’dévouement au pape confondait plus d’un évêque libéral en France. Suivre son exemple c’est non seulement retrouver la christianitas, la civilisation chrétienne, mais également la romanitas, la civilisation latine et romaine, la plus belle incarnation de cette civilisation chrétienne générale.

Alors plus on nous accuse de ne pas reconnaître le pape, de désobéir au pape, de ne pas aimer le pape, plus nous devons témoigner de notre romanité, romanitas, c’est-à-dire de notre attachement au pape. Nous reconnaissons le pape dans l’Eglise, tout comme les enfants reconnaissent leur père dans la famille ; ce père peut avoir des hauts et des bas, des qualités mais aussi des véritables défauts, il peut remporter des victoires mais aussi causer des défaites. Mais indépendamment de toutes ces variations, ce père reste immuablement père.

La fonction du pape dans l’Eglise et celle du père dans la famille ont des nombreuses caractéristiques en commun. Elles sont nobles toutes les deux et trouvent leurs fondements en Dieu Lui même. Le pape est notre père et toute paternité sur la terre est un écho de la paternité du Père céleste. La paternité c’est aussi la participation aux attributs divins : la providence, la justice, le gouvernement. La paternité signifie aussi le commencement, l’édification, le gouvernement et la défense. La paternité est donc l’une des images les plus significatives de Dieu, l’une de de ses ressemblances.

Certes, le péché originel fait que ces belles images de Dieu sont susceptibles de corruption, de déformation dans les âmes, mais cela n’empêche pas ces images d’exister. Il y a des pères qui contredisent le sublime idéal de la paternité ; il y en a beaucoup plus qui sont des exemples vivants incarnant l’idéal en question. Grâce à eux on comprend mieux ce que cela signifie que Dieu est Père, ce que cela veut dire que le pape est père. Et cette dignité paternelle demeurera toujours la même de sorte que toute personne ayant été investie sur la terre de cette dignité peut retourner à l’idéal de la paternité tel que l’on rencontre en Dieu.

La paternité est encore semblable à une belle œuvre de musique. L’œuvre en elle-même est admirable, mais si le musicien la joue négligemment, les notes pourront sonner faux. Cela ne rend pas cette œuvre critiquable pour autant, encore moins son compositeur. Plutôt que de critiquer l’œuvre et son compositeur il faut pointer les fautes de musicien et indiquer les moyens de jouer une musique rigoureusement fidèle à la partition.

Que de belles paroles Mgr Marcel Lefebvre a prononcé sur la Rome catholique. Dans sa déclaration de 21 novembre 1974 nous lisons :
« Nous adhérons de tout cœur, de toute notre âme à la Rome catholique, gardienne de la foi catholique et des traditions nécessaires au maintien de cette foi, à la Rome éternelle, maîtresse de sagesse et de vérité. »
L’œuvre de défense de la Tradition catholique par Monseigneur a été précisément marquée par la défense du Siège Apostolique et de la papauté. Plus particulièrement son refus de la collégialité était une conséquence de son amour pour la papauté. Catholiques que nous sommes, fidèles de la Tradition, nous devrions nous en sentir obligés.

De même que le père de famille peut chanceler parfois dans sa tâche, de même à Rome peut se manifester la tendance néo-moderniste et néo-protestante. Et malheureusement c’est ce qui est arrivé à l’époque du dernier concile. Que faire lorsque le père compromet sa tâche, la dénature, s’y montre infidèle? Que doivent faire les enfants lorsqu’ils voient que leur père a été pris dans les tenailles d’une mauvaise compagnie et commet des erreurs? Ces enfants luttent pour lui, prient pour lui, se sacrifient pour lui. Ils font tout leur possible pour le sauver. Ils doivent dire non à ses erreurs, mais continuent de dire oui à sa personne. Et si ce père ne parvient pas à les écouter, ces enfants l’entourent encore davantage de leurs prières et sacrifices, mettant leur confiance en Dieu pouvant faire retrouver à leur père le droit chemin.

Dans le cas du pape et de la papauté nous avons affaire non pas à une fonction naturelle mais surnaturelle. Et puisqu’elle est surnaturelle elle est infiniment plus haute, plus digne de vénération que ce qui est simplement naturel. Dans l’Eglise catholique nous devons respecter l’ordre qui s’appuie non pas sur la perfection morale des personnes individuelles, comme c’est le cas des anges, mais qui est établi d’après une division objective du pouvoir dont le foyer se trouve dans la fonction du Souverain Pontife
« Tu dois savoir, écrivait saint Bernard de Clairvaux au pape Eugène III, que tu est appelé souverain non pas à cause de la plénitude de la perfection mais par comparaison par rapport aux grands de ce monde. Ne pense pas que je compare les mérites, je compare les fonctions. Que chacun voit en toi le serviteur du Christ, et le plus haut parmi les serviteurs, quoique cela, comme je viens de le dire, ne stipule pas la sainteté de quiconque ».
Nous devons redécouvrir à nouveau la fonction pontificale. Nous devons prendre de nouveau conscience que le pape jouit sur la terre d’un pouvoir suprême auquel ses éventuels vices ne changent rien. Les saints ont parfaitement lié l’amour pour les papes avec la conscience qu’un pape n’est pas forcément un ange, qu’un pape peut même parfois mener une vie scandaleuse. (Il est vrai cependant que jamais un pape n’a répandu des erreurs parmi les fidèles !) Et en comparaison avec les monarques laïcs, et plus encore avec les fonctionnaires républicains ou d’autres « représentants du peuples », la longue suite des papes paraît comme un cortège presque angélique.

Voici comment sainte Catherine de Sienne écrivait au pape Urbain VI, troublée qu’elle était de ses soucis pontificales:
« O très Saint-Père, soyez patient quand on vous dit ces choses, parce qu’elles ne sont dites que pour l’honneur de Dieu et votre salut, comme doit le faire le fils qui aime tendrement son père : il ne peut souffrir qu’on fasse une chose qui serait un tort ou une honte pour son père, et il veille toujours avec zèle, parce qu’il sait qu’un père qui gouverne une grande famille ne peut voir plus qu’un homme, et qu’alors, si ses enfants légitimes ne veillaient point à son honneur et à ses intérêts, il serait bien souvent trompé. Il en est ainsi pour vous, très Saint-Père : vous êtes le père et le seigneur de toute la chrétienté. Nous sommes tous sous les ailes de Votre Sainteté. Votre autorité s’étend à tout ; mais votre vue est bornée comme celle de l’homme, et c’est une nécessité que vos enfants voient et fassent, dans la sincérité de leur cœur et sans aucune crainte servile, tout ce qui est utile à l’honneur de Dieu, au vôtre, et au salut des brebis qui sont sous votre houlette. »
La dignité exceptionnelle de la fonction papale est très bien exprimée par les appellations suivantes : Vicarius Christi in terra, Suprema jurisdictio, Suprema potestas. Dans une seule personne se retrouve un triple pouvoir : celui du prêtre, celui de maître, celui du roi, c’est-à-dire le pouvoir de sanctifier, d’enseigner et de gouverner. Le symbole en est la tiare dont les trois couronnes expriment également le pouvoir donné par Dieu au pape sur le ciel, la terre et le purgatoire. Aujourd’hui les papes ne portent plus la tiare, ils l’ont même supprimé de leurs propres blasons. Elle demeure encore, heureusement, sur les blasons du Saint Siège et de l’Etat du Vatican. Ces deux blasons diffèrent par la disposition des clefs de saint Pierre. Ces justement avec ces clefs, c’est-à-dire le pouvoir reçu de Dieu, que le pape peut, comme saint Pierre autrefois, ouvrir ou fermer des nombreuses portes au ciel, sur la terre et au purgatoire.

Vénérer la papauté c’est vénérer saint Pierre l’Apôtre, car le Siège Apostolique est le Siège de Pierre. Et tous les papes sont véritablement des successeurs de Pierre. Cet apôtre nous le connaissons bien par les pages de l’Evangile. Nous connaissons également ses faiblesses, malgré lesquelles Notre-Seigneur l’a fait Son vicaire sur la terre. Si donc saint Pierre est passé par les doutes et les défaites, ne nous étonnons pas que des situations semblables ont pu se produire parmi ses successeurs sur la chaire de Pierre à Rome.

Une crise dans l’Eglise est toujours une crise de la papauté. Des crises, il y en a eu au cours de l’histoire bimillénaire de l’Eglise, quoique celle qui a touché l’Eglise au moment du dernier concile et qui perdure dans cette phase postconciliaire est la plus désastreuse. Est-ce pour autant que doit diminuer notre amour pour l’Eglise et le Siège Apostolique ? Malgré sa terrible agonie nous ne cesserons pas d’aimer l’Eglise, au contraire, nous l’aimerons encore davantage malgré ses souffrances et ses nombreuses blessures.

Je connais des familles dont les membres pleurent, car leur père a perdu la foi, est devenu brisé, alcoolique, a commis des graves erreurs, a mis sa famille dans une situation très difficile. Comment un prêtre réconforte une telle famille ? Il encourage à prier pour un tel père, pour sa conversion, pour sa repentance. Le prêtre rappelle des exemples tirés de l’histoire de l’Eglise, des conversions miraculeuses obtenues par la prière et les sacrifices des enfants, de l’épouse, des proches parents. Et surtout il demande à ce que la famille ne méprise jamais son père mais prie davantage pour lui.

A-t-on déjà vu une bonne famille abandonner son père parce qu’il est tombé malade ? Et combien même il serait lui-même la cause de sa maladie, cela ne change rien au fait qu’il faut garder un tel malade, continuer à le soigner. D’autre part le bien de la famille exige une perception réaliste des choses. On ne peut pas se voiler la face, ne pas tirer les conséquences qui s’imposent. En effet, le respect et l’amour d’un père malade ne consistent pas à nier l’existence de sa maladie, à affirmer que tout va bien dans le meilleur des mondes.

Il est facile de faire une analogie entre la situation de telles familles et l’état de la crise actuelle dans l’Eglise, dans la papauté. Un poison mortel empoisonne depuis cinquante ans la doctrine, la liturgie, le sacerdoce, les fidèles de l’Eglise. Ce poison néo-moderniste, néo-protestant, progressiste et libéral touche tout le monde ; l’Eglise entière en est touchée depuis le plus petit de ses membres jusqu’au plus grand, jusqu’au Saint-Père à Rome. Mais cela reste notre Eglise, notre père. Nous n’avons pas d’autre Eglise ou d’autre père dans ce monde ! Plus nous voyons que le Saint-Père se tait face à la crise dans l’Eglise, voire l’aggrave par son propre comportement, plus il nous faut agir, dans la mesure de nos capacités, pour sauver la famille qu’est l’Eglise. Et on ne peut pas sauver une famille sans son père. Quelles sont donc les possibilités ? Sommes nous un concile œcuménique ? Sommes nous la Providence Divine ? Non, mais le Bon Dieu peut rendre efficaces nos désir de secourir le Saint-Père.

Alors inscrivons sur les bannières de notre vie catholique c’est mots d’ordre : Amour de la papauté, Défense de la papauté, Sacrifice, s’il faut, de sa vie pour l’Eglise, et donc avant tout pour la papauté. Le renouveau que nous attendons ne peut venir que par la réforme de la tête. Mais si nous ne savons même plus comment elle est cette tête, comment peut on la soutenir ? Si nous avons le dégoût de l’institution même de la papauté, comment peut-on devenir ses défenseurs ? Comment contribuer à sa guérison ? Comment le fils peut-il aider à guérir son père s’il éprouve de l’aversion pour lui et l’a déjà chassé de son cœur ? Bien que nous soyons, en tant que fidèles à la Tradition catholique, stigmatisés par les hommes d’Eglise, par la hiérarchie, nous devons cependant continuer à lutter spirituellement, par les sacrifices, pour l’Eglise et pour le pape. Car le moyen par lequel nous pouvons réaliser au mieux notre devoir par rapport à l’Eglise ce sont la prière et la pénitence.

Sainte Catherine de Sienne, en apprenant l’amplification de la crise de l’Eglise et de la papauté s’écriait : « Malheur à moi, oh mon âme malheureuse, source de tout mal ! » C’est en effet dans les péchés qu’elle voyait la source des malheurs accablants l’Eglise. Cette attitude nous apprend où devons nous chercher des vraies stimulations pour notre apostolat. Tout d’abord la purification de nos âmes, la pureté de nos intentions, la vie habituelle dans l’état de la grâce sanctifiante, voilà des choses qui peuvent réellement contribuer à la consolidation de toute l’Eglise, qui peuvent aider le pape à accomplir ses devoirs.

Ne croyez-vous pas que le combat de Saint-Père contre le mal lui sera d’autant plus facile que nous serons plus avancés dans la sainteté ? Et si la lutte ne lui sera certainement pas épargnée, ne pensez-vous pas qu’il dépend de nous de l’accompagner dans cette bataille ou de l’abandonner dans la solitude ? C’est pourquoi je vous le demande : priez pour le Saint-Père !

Mgr Lefebvre disait un jour :
« Loin de nous de douter si nous devons prier à l’intention du pape. Au contraire, nous doublerons plutôt nos prières et nos supplications afin que le Saint Esprit veuille lui donner la lumière et la force nécessaires pour maintenir et défendre la foi ».
Plus les choses vont mal à Rome, plus nous devons prier individuellement et en communauté dans nos chapelles et nos églises.

Je soulignerais de nouveau que le pouvoir papal est un pouvoir surnaturel, or au niveau surnaturel tout commence par la prière, tout dépend de la prière. C’est pourquoi veillons sur nos pensées, ne nous arrêtons pas uniquement sur les images, sur les paroles extérieures. Si à cause des faits objectifs, des faits graves contre la doctrine catholique immuable venant du plus haut point de l’Eglise, tels l’œcuménisme ou la collégialité, si à cause de ces faits nous sommes obligés de s’opposer au pape, que cette attitude nous remplisse de douleur. Et malgré cette opposition nécessaire gardons à l’égard de la hiérarchie ecclésiastique le respect du à sa dignité.

Notre-Seigneur nous a appris que si nous devons désobéir à nos supérieurs, nous devons cependant respecter la dignité qui leur a été conférée par le Bon Dieu (cf. Mt 23, 2-3). C’est pourquoi en suivant l’exemple de saint Augustin, de saint Maximilien Kolbe gardons cette règle d’or : haïssons le péché, aimons celui qui erre.

En ce qui concerne notre prochain, gardons un esprit sincèrement chrétien, caractérisé par le réalisme et l’objectivité. Ces deux caractéristiques correspondent au commandement de Notre-Seigneur : Ne jugez pas, et vous ne serez pas jugés (Lc 6, 37). Alors ne jugeons pas les intentions humaines, celles-ci Dieu seul les connaît. Par contre nous pouvons nous prononcer sur les actes extérieures selon qu’il est écrit : Vous les reconnaitrez à leurs fruits (Mt 7, 16).

Les actes humains doivent être prudents, par conséquent jugés, y compris les actes d’un père. Il nous faut refuser d’obéir aux ordres mauvais, mais ce refus il faut aussi l’accomplir de manière à ce que l’on puisse voir clairement que notre intention n’est pas de dédaigner le père ; que notre intention est seulement de remplir notre devoir d’obéissance supérieure envers Dieu Lui même ; que notre intention est de réparer les abus de pouvoir commis par Son vicaire sur la terre. Ainsi cette attitude restera bienveillante quoique exprimée sous une forme de refus.

Dire non au pouvoir ne fait pas de vous automatiquement un révolutionnaire. Lorsque Paul VI abandonnait l’insigne de sa dignité surnaturelle, la tiare, des nombreux catholiques s’y sont opposés intérieurement, la mort dans l’âme. Il arrive parfois qu’un roi va jusqu’à rejoindre la révolution ; certains de ses sujets défendent alors sa couronne abandonnée afin de la lui rendre le jour où il se repentira. Et puis la bienveillance vis-à-vis d’un père errant c’est une vertu véritable, qui portera certainement des fruits doux, même s’il faudra les attendre. A contrario, les condamnations amères améliorent rarement la situation.

Si donc il nous arrivera de refuser l’obéissance, et nul ne peut exclure qu’il ne devra le faire un jour pour défendre la foi, posons alors cet acte de refus d’un cœur endolori, d’une âme triste et déchirée. Que nos cœurs se nourrissent alors de l’amour surnaturel envers le père qui s’éloigne de l’essentiel de sa vocation paternelle. Et si notre opposition devra être publique, ne ménageons pas nos larmes, car après tout il s’agit de notre père.

C’est dans une telle situation que s’est trouvé saint Paul lorsqu’il a dû dire non à saint Pierre. Dans l’épitre aux Galates nous lisons : « Mais lorsque Céphas vint à Antioche, je lui résistai en face, parce qu’il était digne de blâme. » (Gal 2, 22). Oui, à ce moment là Céphas était digne de blâme, mais cependant il resta digne d’amour. Et saint Paul lui a montré les deux, en le reprenant avec l’amour que l’on doit envers un père.

Une telle attitude est une tâche extrêmement délicate, d’autant plus qu’elle est contraire à notre nature blessée. Cependant nous avons l’Immaculée à notre aide ; tournons nous vers elle en demandant les forces nécessaires. A Fatima elle nous a donné l’exemple de l’amour du pape et de la papauté. Hyacinthe, ayant reçu de Marie la vision du pape, la racontait vivement à François et à Lucie :

« J’ai vu le Saint-Père dans une très grande maison. Il était agenouillé auprès d’une table, son visage caché dans ses mains et il pleurait. Dehors il y avait beaucoup de personnes qui lui jetaient des pierres, d’autres criaient et disaient des grossièretés. Pauvre Saint-Père, nous devons beaucoup prier pour lui ».
Nous répétons aujourd’hui au pape François la demande concernant la Tradition catholique que Mgr Lefebvre formulait autrefois au pape Jean-Paul II :
« Très Saint Père, pour l’honneur de Jésus-Christ, pour le bien de l’Eglise, pour le salut des âmes, nous vous conjurons de dire un seul mot, une seule parole, comme Successeur de Pierre, comme Pasteur de l’Eglise universelle, aux Evêques du monde entier : „Laissez faire” ; „Nous autorisons le libre exercice de ce que la Tradition multiséculaire a utilisé pour la sanctification des âmes” ».
Enfin, nous ne pouvons oublier que malgré les erreurs de son vicaire visible, temporel, c’est toujours Jésus-Christ qui continue à gouverner l’Eglise. Et c’est Lui qui a la puissance et la force pour vaincre l’ennemi des âmes. Tournons nous donc vers Lui et Sa Mère Immaculée, en demeurant dans la prière et la pénitence à l’intention du Souverain Pontife. Répétons nous souvent, en les paraphrasant, ces paroles de saint Ambroise adressées à sainte Monique pleurant le sort de son fils Augustin encore incroyant : « Le père de tant de larmes ne peut pas ne pas retourner à la Tradition catholique et apostolique ».

Que surtout dans ces temps particulièrement troublées par la gravité de la crise de la papauté nous accompagne cette belle prière tirée des Litanies de tous les saints : « Dieu tout-puissant et éternel, ayez pitié de votre serviteur, notre pontife François, et dirigez-le, par votre bonté, dans la voie du salut éternel ; afin que, par votre grâce, il désire ce qui vous plaît, et l’accomplisse de toutes ses forces. »
Abbé Karl Stehlin, supérieur de la Maison autonome des Pays de l'Est