11 juin 2013

[Carole Suhas - lejpb.com] Sur les bancs de l’école de dieu et de la tradition

SOURCE - Carole Suhas - lejpb.com - 11 juin 2013
Martin, vous voulez bien amener madame à l’abbé Aldalur, s’il vous plaît ?” Martin, 12 ans s’empresse d’acquiescer à la demande de son aîné. Une volée de marches et le bureau du directeur de l’école Saint-Michel-Garicoïts de Domezain apparaît. Une légère odeur de bougie se fait sentir sur le pas de la porte. “Merci Martin.” David Aldalur, abbé traditionaliste de 30 ans, est le directeur de l’école la plus controversée du Pays Basque.

À quelques mètres de l’école municipale, cet établissement d’un autre genre – “d’une autre époque”, diront certains villageois – accueille une centaine d’élèves, du primaire au collège, dans les plus strictes règles imposées par la tradition chrétienne. Sur l’écusson emblème du lieu, le visage du saint Michel Garicoïts, né à Ibarre en 1797, sous lequel est brodée la maxime “Dieu et la tradition”. “Nous sommes des catholiques de tradition, ce qui veut dire que nous assumons tout ce que l’Église a fait depuis toujours”, explique l’abbé Aldalur.

Même pour l’institution catholique, ce sont des “intégristes”. “On nous qualifie d’intégristes car on nous stigmatise, mais si on parle d’intégrisme dans le sens où l’on garde la foi catholique dans son intégralité, nous assumons”, réagit l’abbé.
La voie de l’excellence
Dans la salle d’étude, de jeunes collégiens travaillent assidûment, sous l’œil de l’un des frères. “Ils passent un examen, indépendant de celui du brevet des collèges, pour s’assurer de leur niveau”, souffle M. Aldalur. Cette rigueur est le premier “argument de vente” de l’établissement, qui n’a pas de contrat avec l’Éducation nationale. Celui qui a assuré son succès ses dernières années. Certaines familles n’hésitent pas à venir s’installer à Domezain ou aux alentours pour y scolariser leurs enfants. “Il y a trois ou quatre familles qui sont venues habiter ici”, raconte-t-on au village. “Il y en a qui viennent de Bordeaux, de la région lyonnaise ou de Toulouse”, confirme David Aldalur. Depuis qu’il est arrivé à la tête de l’école il y a trois ans, l’effectif a pratiquement doublé. “Je suis même obligé de freiner les inscriptions”, ajoute-t-il.

Mayeul et Amaury, respectivement 13 et 14 ans, sont bordelais. Leurs parents les ont inscrits au pensionnat à Domezain. “On rentre chez nous tous les 15 jours à peu près”, confient-ils. Un “choix de vie” de parents séduits par la méthode forte. “Les parents qui font la démarche de venir nous voir sont découragés par le système scolaire qui ne produit que des résultats médiocres, et sont effrayés par la mauvaise influence d’un monde qui leur fait peur.”

Inquiets de l’ambiance relâchée des écoles où “tout le monde se tutoie, où la politesse n’existe plus, où on n’apprend plus à se tenir correctement sur une chaise”, les parents se tournent vers Domezain pour garantir la voie de l’excellence à leurs enfants. Moyennant 400 euros par mois pour les pensionnaires ou 200 euros pour les externes.
Soutane et messe en latin
Toutes les matières du tronc commun y sont enseignées. Les élèves passent ensuite leur brevet des collèges en candidat libre. Le Gaffiot, dictionnaire de latin, est de rigueur. “Comme cela, ils peuvent au moins comprendre la messe.” À 11 h 30, quelques classes s’ébrouent, des chaises raclent le parquet. Hommes en soutane et jeunes garçons en polo d’où dépasse un col de chemise se croisent dans les couloirs ornés de photographies de Bethléem et Jérusalem, avant de se diriger vers la petite chapelle aménagée de l’école. “Tous n’y vont, pas on fait un roulement une fois par semaine”, explique le jeune abbé.

Dans la salle où se prépare l’un des prêtres, les jeunes garçons revêtent leur tenue tandis que Mayeul et Amaury endossent le rôle de sacristains. Une vocation ? “Non, on a été choisis d’office à la rentrée”, corrige Amaury qui entrevoit plutôt son avenir dans la gestion. “Ouais, c’est parce qu’on est les plus sages”, rigole discrètement Mayeul, en jetant un coup d’œil espiègle à l’abbé Aldalur. Quelques-uns d’entre eux, après avoir passé leur bac, entreront au séminaire. “J’ai présenté cinq élèves au séminaire et deux ont pris la soutane l’an dernier. Un autre envisage de le faire l’année prochaine”, se rengorge l’abbé Aldalur, lui-même entré dans les ordres à l’âge de 18 ans. Debout devant les bancs en bois de la chapelle, quelques élèves, mais aussi des personnes venues de l’extérieur.

L’école Saint-Michel-Garicoïts regroupe deux bâtiments, l’un pour le réfectoire, les cuisines et la salle d’étude, l’autre pour les salles de classe et les dortoirs des collégiens. Entre les deux, une vaste cour où se dresse une statue du Christ. Pas de jeunes filles à l’horizon. “Nous n’acceptons les filles qu’en primaire ; au collège, il y a seulement des garçons”, répond David Aldalur. “Sur un plan pédagogique, les garçons ne sont pas des filles, il y a tout simplement une différence de formation : les garçons ne réagissent pas de la même façon au travail, les filles sont naturellement plus sérieuses alors que les garçons ont davantage besoin d’être tenus et je pense que pour cela les abbés produisent de plus beaux fruits”, précise le directeur. Un projet d’installation de sœurs est néanmoins à l’étude dans l’établissement. “La touche féminine est plus juste pour nos petits.”
Rupture avec l’Église
Si l’abbé Aldalur affiche un air confiant face à son œuvre et celle de ses prédécesseurs, parler de cet endroit est quasiment tabou à Domezain et provoque beaucoup d’animosité. L’arrivée, à la fin des années 1980, de la Fraternité sacerdotale Saint-Pie X à la tête de l’école créée par le dur abbé Goyenetche a fait l’effet d’une bombe au village. Pour certains, la fraternité est une secte. Créée en 1970 par Mgr Lefebvre, excommunié en 1998, la fraternité est en conflit avec l’institution catholique à qui elle reproche sa trop grande modernité depuis le concile de Vatican II. Mgr Lefebvre a notamment fait parler de lui en avouant admirer les régimes de Franco et Salazar et en soutenant politiquement Jean-Marie Le Pen.

Rejetant les réformes de Vatican II, la fraternité ne se définit pas comme orthodoxe. “Nous n’obéissons pas toujours aux réformes qui nous sont demandées car nous pensons qu’elles tuent notre foi.” Pour autant, l’abbé Aldalur reconnaît l’autorité du pape François. Ses positions heurtaient déjà les consciences en 1990, elles creusent un écart encore plus grand en 2013. À Domezain, peu de personnes ont noué contact avec eux. “Ils vivent chez eux et nous chez nous”, confie-t-on avec méfiance. “Ils se servent du nom de saint Michel Garicoïts, mais ils ne sont plus vraiment dans le giron de l’Église.”
De nouvelles classes et une chapelle
L’école Saint-Michel-Garicoïts a des envies de grandeur. Alors que les inscriptions à la prochaine rentrée devraient grimper en flèche, le jeune directeur prévoir d’agrandir l’école en y construisant des dortoirs neufs – 150 lits au total – ainsi que de nouvelles classes destinées à accueillir des élèves de seconde “et pourquoi pas de première”. Un projet réclamé à cor et à cri, selon lui, par les familles. “Lorsqu’ils arrivent au lycée, les élèves sont obligés de partir à Châteauroux ou à Carcassonne pour continuer à suivre notre enseignement”, soit celui de la fraternité, explique le directeur.

Cet agrandissement, ainsi que la rénovation du trinquet accolé à l’école, coûterait 3 millions d’euros, financés par de généreux donateurs privés. À en croire l’abbé Aldalur, qui attend maintenant des retours de la municipalité sur les permis de construire, le budget serait quasiment bloqué.

Outre l’agrandissement scolaire, un projet de chapelle à clocher trinitaire typiquement souletin est également à l’étude. Problème ? Il y a déjà une église à Domezain. “Nous n’avons pas le droit d’y entrer pour faire des messes alors nous n’avons pas de lieu de culte”, se plaint M. Aldalur. Sous l’autorité du diocèse de Bayonne, et donc de Mgr Aillet, la paroisse de Domezain refuse tout contact avec ces lefebvristes qui sont “en dehors de l’Église”. “Ils sont rigoristes à l’extrême, ce que n’est quand même pas Mgr Aillet”, confirme Michel Oronos, ancien curé de St-Étienne-de-Baïgorry et auteur d’un livre sur ledit abbé.