30 décembre 2016

[Lettre à Nos Frères Prêtres] L'ennemi de la grâce du Christ

SOURCE - Lettre à Nos Frères Prêtres - décembre 2016

En 2017, va être célébré le cinq centième anniversaire de l’affichage par le moine augustin Martin Luther, sur une église de Wittenberg, de 95 thèses qui, en particulier, condamnent la pratique des indulgences, telle que l’enseigne l’Église, mais également d’autres points touchant à la foi, comme le Purgatoire.
     
Cet acte public est considéré usuellement comme le début de ce qu’on appelle communément, mais faussement, la « Réforme », alors qu’il s’agit en vérité d’une révolution, d’une destruction de la véritable foi, d’une apostasie et d’une révolte contre Dieu et son Christ. Dès 1517, en réalité, et malgré les péripéties qui suivront, Martin Luther a rompu de cœur avec l’Église du Christ, et ne suit plus que ses vues personnelles erronées.
Le moine Martin Luther
Pourtant, Martin Luther fut auparavant un moine pieux et zélé. Né en 1483 d’une bonne famille chrétienne, Martin est attiré très tôt par la religion, le rapport avec Dieu, plus tard la théologie. Alors que son père souhaite qu’il devienne juriste, il décide de se faire moine augustin, entrant dans cet ordre en 1505. Ordonné prêtre en 1507 (il était déjà diplômé en philosophie), il obtient le doctorat en théologie en 1512. A partir de cette date, sa vie sera celle d’un enseignant et d’un prédicateur. 
     
Luther avait reçu une formation assez poussée, et il a certainement été influencé sur le plan intellectuel par la lecture de plusieurs grands auteurs, qu’il s’agisse d’Aristote, de Guillaume d’Ockham ou de Gabriel Biel. Mais il est clair que Luther recevait ces influences selon son propre tempérament, qui était très affirmé, comme sa carrière subséquente le montrera. Il est donc peu probable que le contact avec ces écrivains ait réellement été déterminant dans son évolution.
Un grand passionné
En fait, Luther était doté un tempérament riche et passionné, celui qui fait les grands hommes quand ceux qui en jouissent acceptent de le mettre au service de la vérité et du bien. Il possédait une nature réaliste et lyrique à la fois, puissante, impulsive, courageuse et douloureuse, sentimentale et presque maladivement impressionnable. Ce violent avait de la bonté, de la générosité, de la tendresse. Avec cela, un orgueil indompté, une vanité pétulante, une obstination coriace.
     
L’intelligence comme aptitude à saisir l’universel, à discerner l’essence des choses, à suivre les nuances du réel, n’était pas très forte chez lui : ce n’était pas un spéculatif, un métaphysicien. En revanche, il avait à un degré étonnant l’intelligence du particulier et du concret, une ingéniosité astucieuse et vivace, une capacité à discerner les forces et les faiblesses d’autrui, un art consommé de trouver les manières de se tirer d’embarras : c’était un remarquable esprit pratique.
     
Le corollaire d’un tel tempérament, ce sont les fortes tentations dont Luther était l’objet, sans doute en ce qui le concerne tentations contre la chasteté, attrait pour la bonne chère, propension à la colère, esprit d’indépendance, penchant à l’orgueil. Lorsqu’on affronte ces tentations et qu’avec la grâce du Christ on les surmonte, non seulement elles ne nous font pas déchoir, mais ce combat nous vaut des mérites, et la puissance de la passion maîtrisée vient donner de l’énergie à l’homme. C’est le sens de la parole de Hegel : « Rien de grand ne s’est fait sans passion ».
L’obsession du salut
Dans sa vie spirituelle, Luther veut sauver son âme, conformément à la parole de Jésus-Christ : « Que sert à l’homme de gagner l’univers s’il vient à perdre son âme ? » (Lc 9, 25). C’est en soi une excellente chose. Pour cela, Luther veut éviter le grand ennemi du salut qui est le péché, la souillure morale. Mais, sur cette terre, à cause des suites malheureuses du péché originel, il est impossible de se prémunir contre toutes les tentations, et même contre tous les péchés, au moins véniels. C’est pourquoi un dicton spirituel inspiré de l’Écriture (Pr 24, 16) affirme très justement : « Le juste pèche sept fois par jour ».
     
Luther souffre des assauts de ces tentations, même s’il les repousse. Il voudrait, comme saint Pierre lors de la Transfiguration, être déjà parvenu à la vie céleste, avoir déjà « revêtu le Christ », se trouver dès maintenant dans un état de rectitude parfaite qui n’appartient pas à cette vie terrestre, sauf exceptions très particulières.
      
Luther étant doué d’une nature impatiente et impérieuse, son désir passionné de perfection, de sainteté immédiate, assurée et tranquille, provoque de continuels retour sur lui-même, et un profond sentiment de malaise intérieur. Il oublie, d’une part, qu’à tous les moments de sa vie il peut compter sur Jésus et sur sa grâce secourable et souveraine ; d’autre part, qu’en se reconnaissant humblement pécheur, en luttant chaque jour avec courage et persévérance, en recourant aux sacrements, en faisant pénitence, en priant la Vierge, bref en usant des moyens de salut toujours efficaces, il peut, avec la grâce de Dieu, progresser et se sanctifier.
     
A cause de cette discordance entre son désir du salut et la vie « militante » du chrétien sur cette terre, une certaine obsession du salut l’envahit, plus exactement l’obsession de la certitude de son salut : et parce que les tentations continuent à le harceler, créant chez lui un sentiment de culpabilité, il finit en quelque sorte par désespérer de la vie chrétienne, de l’efficacité de la grâce et des moyens ordinaires de la recevoir et de la conserver (prières, sacrements, jeûnes, etc.).
Préférer les consolations de Dieu au Dieu des consolations 
L’une des causes de cette sorte de désespoir est que Luther semble avoir recherché avant tout, dans sa vie spirituelle, ce que les auteurs appellent les « consolations sensibles », qu’il paraît s’être attaché trop fortement à ce goût expérimental de la piété, à ces assurances ressenties que Dieu donne quand il veut attirer une âme à lui, mais dont il la prive également quand il le juge opportun, car il n’y a là que des moyens pour aimer Dieu, et non des buts de la vie spirituelle.
      
Pour Luther, au contraire, tout le problème est de se sentir en état de grâce, de savourer sa propre sainteté. Il a dû ressentir certaines grâces mystiques, ces fruits cachés de la grâce du Christ, et il en garde une violente nostalgie, surtout lorsqu’il se trouve confronté aux tentations ordinaires, mesquines, agaçantes, humiliantes, de la vie chrétienne et religieuse.
      
Pour retrouver à tout prix cette sensation intérieure de joie et de plénitude, et c’est une autre cause de sa déviation, il s’appuie davantage sur ses forces personnelles, sur ses efforts, sur ses pénitences, que sur la grâce toute-puissante : il met en quelque sorte toute sa fougue naturelle à rechercher la perfection surnaturelle. 
     
Il pratique, en réalité, une forme subtile de pélagianisme, comptant sur ses propres œuvres. Et lorsque Dieu lui montre la vanité d’une telle démarche, dans le cadre des purifications que toute âme qui veut trouver Dieu doit subir, lorsqu’il voit mieux l’étendue de son péché par la lumière divine, alors son édifice de perfection semble chavirer, s’effondrer.
      
Ce pourrait être pour lui la nuit purificatrice si, comme le proposait saint Augustin, patron de son ordre religieux, il se quittait alors lui-même pour se jeter en Dieu comme dans l’océan de sainteté capable de laver tous les péchés de l’homme : « Vis fugere a Deo, fuge in Deum », « Veux-tu fuir devant Dieu (à cause de ton péché) ? Fuis en Dieu même ». Mais au lieu de cela, il quitte la prière et se réfugie dans l’action extérieure pour y trouver des consolations : la réussite, la gloire, etc. 
Un nouveau système religieux sur la base de son expérience 
Touché de cette sorte de désespoir, au lieu de réformer lui-même, de modifier humblement ses conceptions personnelles erronées avec l’aide d’un guide spirituel éprouvé, de retrouver ainsi la voie de la sanctification et de la perfection, il va élaborer une nouvelle théologie. 
     
C’est donc par rapport à lui-même, sur la base de sa vie intérieure personnelle, de son expérience spirituelle intime, que Luther va bâtir ce système religieux inédit, qui n’aura plus rien à voir avec l’enseignement de l’Écriture et de l’Église, ni avec la vérité du christianisme.