17 mars 2017

[Abbé Jean-Michel Gleize, fsspx - La Porte Latine] Vers le mariage des prêtres?

SOURCE - Abbé Jean-Michel Gleize, fsspx - La Porte Latine – 17 mars 2017

Un nouveau débat en vue ?
1. Dans un entretien récemment accordé au journal allemand Die Zeit (1), le Pape François a déclaré que, pour remédier au manque de prêtres, il ne serait pas impossible d’ordonner au sacerdoce des hommes mariés dans l'Église catholique latine, à condition qu’il s’agisse de « viri probati », c’est à dire d’hommes d'âges mûrs et ayant fait leur preuve dans la vie chrétienne. Dans cette éventualité, il resterait à déterminer quelles seraient les fonctions précisément départies à cette catégorie de prêtres. Mais en tout état de cause, l’Eglise ne reviendrait pas sur la loi du célibat, et ne laisserait donc pas aux séminaristes la liberté de se marier.
     
2. Y aurait-il là, en perspective, une nouvelle brèche dans la morale de l’Eglise catholique ? Dans le journal Le Figaro, Jean-Marie Guénois sous-titre en effet : « L’Eglise pourrait évoluer sur le célibat sacerdotal ». Pour y voir clair, quelques précisions s’imposent.
Quelques distinctions.
3. Le célibat n’est pas la continence. Et celle-ci n’est pas non plus la chasteté absolue. Le célibat est la situation d’une personne qui n’est pas engagée dans les liens du mariage. Cette situation peut correspondre non seulement à un état de fait mais encore à un état de vie, librement choisi, où l’on renonce au mariage, en embrassant donc la chasteté absolue, c’est à dire l’abstinence totale et définitive de tout rapport sexuel. Ce choix est légitime s’il est accompli en vue d’un motif supérieur à celui du mariage, comme la consécration religieuse ou sacerdotale. Et c’est justement pourquoi cet état de vie du célibat consacré l’emporte en excellence sur l’état du mariage, ainsi que le rappelle Pie XII : « Cette doctrine qui établit l’excellence et la supériorité de la virginité et du célibat sur le mariage a été solennellement définie, comme un dogme de foi divine, au concile de Trente, et les Pères et les Docteurs de l’Eglise ont toujours été unanimes à l’enseigner. Nos prédécesseurs et Nous-même, chaque fois que l’occasion Nous en a été donnée, Nous n’avons cessé de l’exposer et de la recommander vivement » (2).
     
4. La continence est le fait de s’abstenir d’user du mariage. Cette abstinence est temporaire chez ceux qui ne sont pas encore mariés et envisagent de l’être et elle peut même l’être aussi chez ceux qui sont déjà mariés. Elle est définitive et absolue chez ceux qui n’envisagent pas le mariage, en particulier parce qu’ils choisissent l’état de vie du célibat consacré.
     
5. Enfin, dernière précision, il y a une différence entre la Tradition et les lois de l’Eglise. La loi du célibat ecclésiastique apparaît très tôt dans l’Eglise latine, probablement dès l’époque des apôtres : les études classiques du cardinal Stickler (Le Célibat des clercs, Téqui, 1998) et du père jésuite Christian Cochini (Origines apostoliques du célibat sacerdotal, Lethielleux, 1981) l’ont établi suffisamment. Le principe du célibat des prêtres est formulé dans les textes législatifs vers le début du IVe siècle (3), par le concile d’Elvire, mais cela ne signifie pas que l’usage n’en ait pas prévalu auparavant et de fait le Pape saint Sirice en 386 et le concile de Carthage de 390 se réfèrent à une tradition remontant jusqu’aux apôtres (4). A partir de là, l’Eglise est toujours restée fixée dans son enseignement. Cela signifie que le célibat sacerdotal ne fait pas seulement l’objet d’une loi et d’une discipline ecclésiastiques, qui seraient réformables selon la simple volonté d’un Pape. La pratique du célibat sacerdotal représente surtout une tradition apostolique irréversible, tradition qui atteste un dogme de foi divine, le dogme de la supériorité de l’état du célibat consacré sur l’état du mariage. Un peu comme la discipline du baptême des bébés n’est pas qu’une discipline, mais représente aussi une tradition qui atteste le dogme du péché originel.
     
6. La loi particulière de l’Eglise d’Orient est tardive, puisqu’elle remonte seulement à la fin du VIIe siècle, avec le canon 13 du concile in Trullo II (ou Quinisexte) de 691. Ce canon autorise les prêtres, diacres et sous-diacres, qui auraient été déjà mariés avant leur ordination, à conserver leurs épouses et à user du mariage, sauf pendant le temps où ils assurent le service de l’autel. Le canon 26 interdit à un célibataire de se marier une fois qu’il a été ordonné prêtre. Le canon 48 prévoit qu’un évêque déjà marié avant son sacre devra se séparer de son épouse et ne plus user du mariage. Comme l’a montré le cardinal Stickler (5), avant le VIIe siècle, l’Eglise d’Orient retenait en principe, comme l’Eglise latine, la loi du célibat sacerdotal, héritée des apôtres. La nouvelle législation survenue postérieurement représente donc une régression. Et elle ne va tout de même pas jusqu’à autoriser un prêtre à se marier ; elle accorde seulement la possibilité d’ordonner prêtre un homme précédemment marié, en ne l’obligeant qu’à une continence temporaire. Si, dans sa prudence, Rome autorisa les églises locales d’Orient à conserver leur usage propre, elle n’en encouragea pas moins celles de ces églises qui désiraient revenir à la pratique latine du célibat et de la continence complète (6).
     
7. L’esprit authentique de l’Eglise veut donc que les prêtres renoncent à l’état et à l’usage du mariage. La loi du célibat sacerdotal est en même temps une loi de chasteté absolue. Cette exigence s’explique en raison de la supériorité de l’état de vie du prêtre et du caractère sacré de ses fonctions. L’usage particulier des églises locales d’Orient représente une entorse historique, contraire à cet esprit de l’Eglise, que Rome a été obligée d’admettre mais à laquelle elle ne s’est jamais parfaitement résignée.
Des hommes éprouvés ?
8. A quoi peut bien rimer, alors, le projet de François ? A une pure et simple régression, contraire à l’esprit de l’Eglise. L’excellence du sacerdoce réclame un état de vie proportionné, à l’exemple du Christ et des apôtres. Par son célibat et sa chasteté absolue, le prêtre est un exemple et un signe. Exemple du renoncement et de la vertu parfaite à laquelle doivent tendre les fidèles. Signe de l’excellence de la vie de l’esprit, qui est la vie même de Dieu, sur la vie terrestre et simplement corporelle. Signe aussi de l’excellence de la contemplation des réalités éternelles, par rapport aux convoitises de la chair et à la vie mouvementée d’ici-bas. Cette excellence est telle que la pénurie de prêtres ne saurait fournir un prétexte pour la remettre en cause. L’Eglise a toujours préféré la qualité à la quantité. Et le meilleur moyen d’obtenir davantage de vocations n’est-il pas de recourir à la prière et à la pénitence, pour mériter d’abord des saints prêtres et ensuite beaucoup de saints prêtres ? Ce sont là des moyens proportionnés, puisqu’ils sont d’ordre surnaturel, comme la vocation qu’ils nous méritent.
     
9. Pire encore, le dessein du Pape ouvre la voie à une évolution qui ne s’arrêtera probablement pas à mi-chemin. Après avoir admis en principe et répandu dans la pratique l’ordination d’hommes mariés, il sera bien difficile de reculer devant le mariage des prêtres. Et il ne manquera pas de doctes pour expliquer au bon peuple de Dieu le caractère inéluctablement positif de l’évolution : après tout, que le mariage ait lieu avant ou après l’ordination, cela ne change pas grand’chose. L’essentiel est d’avoir admis la compatibilité des deux.
     
10. Ce genre de manœuvre, s’il s’avère opérant, aura eu son premier banc d’essai avec Amoris laetitia. Tout en réaffirmant le principe de l’indissolubilité du mariage, le Pape y autorise en effet une pratique contraire à ce principe, en admettant que les couples concubins ou divorcés remariés bénéficient dans l’Eglise du même traitement pastoral que les couples légitimement mariés. De même, tout en réaffirmant la loi du célibat, il sera possible, en pratique, d’agir au rebours de cette loi, c’est à dire d’ordonner prêtres les hommes mariés, puis même de marier les prêtres. Et ce, bien sûr, « dans certains cas », en raison du manque de prêtres. N’est-ce pas là ce que l’on devrait désigner, en propres termes, comme une « morale de situation » ?
     
Abbé Jean-Michel Gleize, prêtre de la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X
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Notes
(1) « Interview » parue dans le journal Die Zeit le jeudi 9 mars 2017, dont la substance a été reprise par Le Figaro et La Croix.
(2) Pie XII, « Discours du 15 septembre 1952 aux Supérieures Générales des Congrégations de droit pontifical » dans Acta apostolicae sedis, p. 823, cité par Léon Cristiani, dans L’Ami du clergé, n° 49 du 3 décembre 1959, p. 739.
(3) Et non pas au XIe siècle, comme l’écrit Jean-Marie Guénois dans Le Figaro. Ce qui apparaît de nouveau au XIIe siècle, lors du concile de Latran de 1139, ce sont seulement les anathèmes portés contre les prêtres qui ne respecteraient pas leur célibat.
(4) Cf. la Lettre pascale de Son Excellence Mgr Luigi Carli, évêque de Segni, du 12 mars 1970, p. 19.
(5) Cf. le chapitre III « La pratique de l’Eglise d’Orient » dans le livre déjà cité. L’auteur prouve (p. 74 et sv) que cet usage particulier n’a pu s’autoriser d’aucune tradition ecclésiastique antérieure, sinon en falsifiant les textes.
(6) Le Cardinal Stickler remarque : « Jusqu’à maintenant, la reconnaissance de cette discipline différente a été l’objet, de la part des autorités romaines, d’une considération courtoise qui, cependant, ne peut guère être considérée comme une approbation officielle de la modification apportée à l’ancienne discipline de la continence » (p. 82).