31 mars 2017

[Paix Liturgique] En Italie, la liturgie traditionnelle permet la renaissance d'un sanctuaire eucharistique

SOURCE - Paix Liturgique - lettre 588 - 31 mars 2017

Le jour de Pâques 1171, dans une église de Ferrare, au moment où le célébrant rompt l’hostie lors de la fraction du pain, celle-ci se transforme en chair et un puissant jet de sang arrose la voûte qui surplombe l’autel. Reconnu par l’Église, ce miracle eucharistique fera de l’église Sainte-Marie in Vado un sanctuaire prisé des habitants de la région jusqu’à ce qu’en 2012 un tremblement de terre n’endommage l’édifice et conduise à sa fermeture. Rouvert partiellement fin 2013, le sanctuaire, qui n’était plus desservi que par deux missionnaires originaires de Tanzanie, est depuis la rentrée 2016 confié à la fraternité sacerdotale Familia Christi dont les jeunes prêtres célèbrent la forme extraordinaire du rite romain. Et le lieu de culte, jusque-là déclinant, reprend vie.
I – FOI, TRADITION ET MESSE EN LATIN : LA RENAISSANCE DE SAINTE-MARIE IN VADO
Dimanche 26 mars 2017, article de Luigi Pansini pour le quotidien Il Resto del Carlino.

À Ferrare, les membres de la Familia Christi, société sacerdotale reconnue le 8 septembre 2016 par l’archevêque, Mgr Negri, ont redonné vie au sanctuaire du Très Précieux Sang, endommagé par le séisme de mai 2012.

Don Matteo est à Ferrare. Avec sa longue soutane noire et, bien entendu, son vélo. Sauf qu’il ne s’agit pas de Terence Hill jouant la comédie (NdT: l’acteur incarne depuis 2000 la figure d’un prêtre de campagne pour une série télévisée italienne à succès) mais d’un vrai prêtre catholique. Ou, plus exactement, de sept qui, depuis octobre 2016, veillent aux destinées du sanctuaire de Sainte-Marie in Vado sous le signe du retour à la Tradition. Immédiatement reconnaissables à leur soutane, les membres de la Familia Christi ont pris le relais des Missionnaires du Précieux-Sang, repartis en Tanzanie. Accueillis en septembre dernier par Mgr Negri, ils sont jeunes (le vicaire, don Emanuele, a 32 ans), nombreux (17 en comptant les séminaristes) et bien décidés à faire resplendir de nouveau le sanctuaire du Très Précieux Sang après les dégâts provoqués par le tremblement de terre.

Logés dans l’ancien couvent des Jésuates (NdT : ordre mendiant supprimé par Clément IX en 1668) en raison de l’inaccessibilité du presbytère, on les voit chaque matin prendre le chemin de l’église pour la messe en latin. En effet, et c’est unique en Italie (*), ils ont fait de la liturgie traditionnelle, désormais appelée « forme extraordinaire du rite romain », le quotidien de la paroisse. De la sacristie sortent chandeliers astiqués et chasubles. Le banc de communion est réapparu pour l’eucharistie, la barrette comme couvre-chef du prêtre et, lors des célébrations solennelles, le chant grégorien. Un retour au passé anachronique aux yeux, et aux oreilles, du profane ?

« En réalité, nous n’avons fait qu’ajouter notre offre à celle de la forme ordinaire qui est maintenue. Plus qu’un obstacle, la redécouverte de nos racines en liaison avec la tradition est un enrichissement » explique le curé, don Riccardo Petroni. La compréhension est selon lui un faux problème car devant Dieu c’est le mystère qui prévaut : « La communication ne passe pas seulement à travers la langue. Les gestes, les sons, les parfums sont autant de codes bien plus universels auxquels la liturgie sait recourir. La rendre immédiatement compréhensible signifie lui retirer sa nature propre, à savoir sa dimension surnaturelle. »

« La musique la plus diffusée est l’anglais et, loin d’éloigner les jeunes, elle les incite à s’y intéresser » ajoute don Emanuele : « Il faut s’affranchir d’une certaine aversion idéologique envers le latin et d’une conception erronée qui veut que comprendre une parole signifierait automatiquement la faire sienne. »

(…)

Et les fidèles, jusqu’ici plus habitués aux accents africains, comment ont-ils réagi ? Plusieurs, mal à l’aise face à l’audacieuse nouveauté, ont changé d’église. Certains, initialement déboussolés, sont revenus. D’autres s’habituent peu à peu. « Une dame me demandait comment nous pouvions être aussi joyeux alors que nous prions en latin » s’amuse don Matteo. « Comme s’il y avait contradiction ! Elle fait maintenant partie de nos fidèles assidus ».

Ici, l’habit fait décidément le moine. « Il s’agit d’un élément immédiat d’identification. Il devient plus facile de nous demander conseil ou de nous lancer une insulte », rigole don Riccardo. En somme, il ne manque que le saturne, le chapeau à large bord ? « Non, il n’a rien d’obligatoire, il ne sert que pour se promener. Si on doit servir d’épouvantail, autant bien le faire ! » Et le dialecte romain de chasser le latin.
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(*) C’est vrai si l’on considère les paroisses territoriales, mais rappelons l’existence de la paroisse personnelle de la Trinité des Pèlerins à Rome confiée en 2008 par Benoît XVI à la Fraternité Saint-Pierre et la célébration quotidienne de la messe dans quelques églises non paroissiales.
II – LES COMMENTAIRES DE PAIX LITURGIQUE
1) Désormais émérite, l’archevêque de Ferrare-Comacchio, Mgr Luigi Negri, fait partie des prélats italiens ayant accueilli avec bienveillance le motu proprio Summorum Pontificum en 2007. À l’époque évêque de Saint-Marin-Montefeltro, il avait immédiatement remercié le pape Benoît XVI pour son « geste exemplaire ». En 2011, lors d’une visite du Saint-Père dans son diocèse, la messe célébrée pour l’occasion avait frappé les observateurs par le grand recueillement de la foule : « Pour la première fois depuis bien longtemps », commentions-nous dans notre lettre 297, « la quasi-totalité des fidèles assistant à une messe papale ont communié sur les lèvres et même souvent à genoux, répondant volontiers au rappel fait par haut-parleurs des normes liturgiques en vigueur pour la communion. » Bien que n’ayant jamais célébré lui-même la forme extraordinaire de façon pontificale, rappelons aussi que Mgr Negri avait délivré, en 2015, un superbe sermon au peuple Summorum Pontificum rassemblé en la basilique vaticane (à lire ici). Atteint par la limite d’âge, Mgr Negri a présenté sa démission fin 2016. Qui a été immédiatement acceptée…

2) Issue d’une association de fidèles liée au Serviteur de Dieu don Giuseppe Canovai (1904-1942), prêtre romain rappelé à Dieu à 38 ans alors qu’il était conseiller de nonciature en Argentine, la Familia Christi est désormais une société de vie apostolique érigée dans l’archidiocèse de Ferrare, sous statut Ecclesia Dei (comme sont en France les Missionnaires de la Miséricorde, du diocèse de Fréjus-Toulon). Composée essentiellement de jeunes romains, la Familia Christi est guidée par don Riccardo Petroni, désormais curé de Sainte-Marie in Vado. Mal vue à Rome par le Vicariat (1) car trop traditionnelle, trop dynamique, et trop bien insérée dans le paysage sacerdotal de la Péninsule où les cloisonnements sont bien moins étanches qu’en France, la Familia Christi bénéficiait depuis plusieurs années du soutien de Mgr Negri qui avait accueilli quelques-uns de ses séminaristes quand il était encore à Saint-Marin. En tant que nouvelle communauté traditionnelle née d'un prêtre et de séminaristes diocésains, on pourrait tout à fait parler de communauté Summorum Pontificum, formant des prêtres prêts à l'exercice paroissial.

3) À Rome, ayant été éloigné de la paroisse où il était vicaire pour l’aumônerie d’un hôpital, don Riccardo Petroni avait obtenu des autorités civiles la permission de célébrer la messe traditionnelle en la chapelle du Palais Altemps, superbe musée de sculptures antiques situé entre le Tibre et la place Navone. Le lieu ne relevant pas de son autorité, le Cardinal-Vicaire n’avait pas pu s’y opposer.

4) Il convient sans doute de laisser du temps au temps pour juger de la solidité et de l’ampleur réelle du renouveau impulsé à Sainte-Marie in Vado par l’arrivée de la Familia Christi. Bien entendu, pour les derniers fidèles du sanctuaire, qui s’étaient habitués à leurs missionnaires venus de Tanzanie, le changement a été important. Alors que les jeunes prêtres italiens se font rares – les vocations y restent encore bien plus nombreuses qu’en France mais, en proportion, le vieillissement du clergé y est comparable –, voici tout d’un coup qu’en arrivent sept, accompagnés d’une dizaine de séminaristes. Jeunes, Romains – donc directs et volontiers gouailleurs dans leur approche – et, encore plus inattendu !, traditionnels... Comme le relève l’auteur de l’article, la nouveauté avait de quoi déboussoler même les fidèles les mieux disposés. Concrètement, comme toujours en matière de liturgie traditionnelle, une fois tombés les premiers préjugés, la greffe traditionnelle commence à prendre : la renaissance du sanctuaire, au rythme de la forme extraordinaire du rite romain, n’en est qu’à ses débuts. Nous aurons certainement l’occasion d’y revenir.
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(1) Évêque de Rome en titre, le Pape est représenté en pratique par un Cardinal-Vicaire, Depuis 2008, ce Vicaire est Mgr Agostino Vallini, intimement hostile à la diffusion de la messe traditionnelle en dehors de la paroisse personnelle. Il arrive en fin de mandat cette année.