SOURCE - Paix Liturgique - lettre 587 - 24 mars 2017
Du 29 mars au 1er avril, se tiendront à Herzogenrath, petit bourg situé au nord d'Aix-la-Chapelle, les 18èmes rencontres liturgiques de Cologne.
Paix liturgique y sera représentée et a demandé à l'abbé Guido Rodheudt, le coordinateur de ces journées, de nous les présenter. C'est un événement particulièrement important cette année car il est le premier à se pencher sur le bilan des 10 ans du motu proprio de Benoît XVI. Une communication adressée par le cardinal Sarah sera lue durant ces rencontres dont le principal conférencier sera Mgr Sample, archevêque de Portland, authentique pasteur d'âmes ouvert à l'une comme l'autre forme du rite romain (voir notamment nos lettres 404 et 570).
I – NOTRE ENTRETIEN AVEC L'ABBÉ RODHEUDT
1) Bonjour M. l'abbé, pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?
Abbé Rodheudt : Je suis né en 1964 à Aix-la-Chapelle. Je n'appartiens pas à la génération élevée dans la liturgie traditionnelle. J'ai étudié la philosophie et la théologie à Bonn et à Augsbourg avant d'être ordonné prêtre pour le diocèse d'Aix-la-Chapelle en 1989. Je me suis ensuite consacré à mon ministère en paroisse ainsi qu'à la rédaction et à la présentation de ma thèse de philosophie à l'université de Ratisbonne. Depuis 2000, je suis curé d'Herzogenrath. En 2001, en compagnie d'autres confrères, j'ai participé à la création d'un réseau de prêtres et de diacres désireux de se serrer les coudes face aux obstacles rencontrés au sein de l'institution ecclésiastique à cause de leur orthodoxie doctrinale et liturgique. Ce réseau rassemble près de 500 prêtres qui sont convaincus que l'évangélisation doit être conduite selon le Magistère et accompagnée par l'administration consciencieuse des sacrements. Depuis 2009, je suis l'aumônier et le co-organisateur des rencontres internationales de liturgie de Cologne. J'écris aussi régulièrement sur les questions liturgiques et culturelles pour différentes revues catholiques dont Vatican Magazin et Una Voce Korrespondenz.
2) Que représentent les rencontres liturgiques de Cologne ?
Abbé Rodheudt : Depuis bientôt 20 ans, nos journées s'efforcent d'illustrer et de préserver la solennité de la liturgie romaine et de valoriser son effet positif sur la vie de l'Église en général. Nées comme une initiative de prêtres et de laïcs de l'archevêché de Cologne, elles ont reçu le soutien d'une initiative similaire promue par un groupe de Hambourg et celui d'Una Voce Allemagne. Depuis 2009, ma paroisse, Sainte-Gertrude, accueille ces rencontres que je co-organise. Ce cadre paroissial stable leur a donné une certaine impulsion. Il ne s'agit pas d'une conférence pour initiés organisée dans un lieu isolé mais d'une activité parfaitement insérée dans la vie ordinaire d'une paroisse. Nous avons en moyenne 200 participants durant les 4 jours que dure cette conférence, dont une soixantaine de prêtres séduits par cette opportunité qui leur est offerte de nouer de nouveaux contacts et d'échanger sur de nombreux sujets. Comme il s'agit d'une conférence sur un thème donné et non d'une conférence thématique pour spécialistes, la variété des participants est grande. Il y a toujours un bel équilibre entre prêtres et laïcs, hommes et femmes, jeunes et anciens, théologiens et profanes. Au fil des ans, ces journées ont permis l'instauration d'un climat bénéfique à nos travaux ; un climat ouvert et favorable à la discussion, auquel a également contribué – grâce au motu proprio Summorum Pontificum – l'assurance de bénéficier de la célébration de la messe traditionnelle. C'était d'ailleurs le pari initial : sortir le trésor de la tradition liturgique du placard où il avait été remisé et lui faire une nouvelle place dans la vie quotidienne de l'Église. Il convient de saluer à ce propos le rôle joué par les évêques qui sont venus célébrer l'usus antiquiorparmi nous. Cette bonne ambiance incite souvent les participants à prendre date, dès la fin d'une édition, pour la suivante. Malheureusement, il y a encore des évêques et des diocèses qui ne font pas l'effort de s'intéresser à nos travaux et à l'esprit dans lequel ils se déroulent, de sorte que nous devons encore faire face à une certaine suspicion comme au préjugé de n'être mus que par la nostalgie.
3) Quel est le thème de cette année ? Qui sont les principaux invités ?
Abbé Rodheudt : Cette année, le titre de nos rencontres est « 10 ans de motu proprio Summorum Pontificum : une source d'avenir ». L'un des fondements de notre initiative est de voir le motu proprio non pas comme un simple geste de générosité envers les fidèles attachés à la liturgie traditionnelle mais comme une invitation à nous concentrer de nouveau sur ce qui constitue l'essence de la liturgie afin de le rendre fécond en vue du renouveau de la vie liturgique de l'Église. Notre principal invité cette année est Mgr Sample, archevêque de Portland, qui manifeste dans son diocèse une grande ouverture envers la messe traditionnelle. Un autre évêque américain sera parmi nous, Mgr Steven Lopes, qui vient du Texas et est à la tête de l'Ordinariat anglo-catholique de la Chaire-de-Saint-Pierre qui rassemble les anglicans d'Amérique du Nord revenus à la pleine communion avec Rome. Mgr Lopes interviendra au cours de la conférence et célébrera une messe pontificale selon le Missel de l'Ordinariat à Sainte-Gertrude le 30 mars.
Le RP Cassian Folsom OSB, ancien prieur des Bénédictins de Nursie, célébrera la messe d'ouverture et témoignera de l'expérience des conséquences des tremblements de terre qui ont détruit le monastère et la basilique Saint-Benoît. Nous aurons aussi parmi nous un prélat romain, Monseigneur Markus Graulich, ainsi que les Professeurs Peter Kwasniewski, lui aussi en provenance des États-Unis, et Helmut Hoping, enseignant de liturgie et de dogmatique à l'université de Fribourg-en-Brisgau. Il y aura aussi des communications en matière de musique et d'art sacrés mais aussi au sujet des Églises d'Orient. Le cardinal Sarah ayant dû annuler sa venue, pourtant confirmée par écrit précédemment, nous aurons une table ronde autour de Mgr Sample, des Professeurs Graulich et Kwasniewski, (USA) et de moi-même, au sujet de la "réforme de la réforme" de la liturgie romaine permise par le pape Benoît XVI. Nos journées se termineront le 1er avril à 10 heures avec une messe pontificale selon la forme extraordinaire du rite romain célébrée par Mgr Sample. En raison de travaux à Sainte-Gertrude, la cérémonie se tiendra dans le secteur hollandais de notre ville, à l'ancienne abbaye de Rolduc. Il y aura enfin un moment convivial pour conclure autour de l'écrivain Martin Mosebach qui rendra hommage pour l'occasion à Benoît XVI.
4) À propos du cardinal Sarah : son clair et courageux appel à célébrer ad Orientem est resté lettre morte. Est-ce selon vous le signe que la réforme de la réforme est enterrée ou bien au contraire une opportunité pour relancer la forme extraordinaire comme source de renouveau de la forme ordinaire ?
Abbé Rodheudt : Les raisons du peu d'empressement manifesté par le pape François pour répondre favorablement à la demande d'orienter versus Deum les prières communes de l'Église, en Orient comme en Occident, m'échappent. Par sa déclaration, le cardinal Sarah nous a simplement rappelé que si le concile Vatican II a permis la célébration versus populum, celle-ci n'est pas imposée et encore moins exclusive. Quant à l'expression de « réforme de la réforme », je ne sais pas si le Pape entend ou non l'abolir. Il ne s'agit en réalité que d'une formule introduite par son prédécesseur qui donne son sens à un moment de l'histoire de la théologie et de la liturgie. Il me semble légitime d'affirmer que le motu proprio Summorum Pontificum a permis la naissance d'un esprit qui tend au renouveau de la liturgie romaine et qui s'appuie sur les grands principes fondateurs de la tradition latine pour permettre une "réforme de la réforme". Par conséquent, il ne me semble pas possible (et certainement pas souhaitable) d'interdire telle ou telle idée ou telle ou telle formule en raison des intentions présumées de Benoît XVI.
Nous sommes heureux et reconnaissants que le cardinal Sarah nous ait adressé, nonobstant l'annulation de sa venue, une communication argumentée portant sur les 10 ans du motu proprio. Ce texte, qui sera lu aux participants, permettra d'une certaine manière au Préfet du Culte divin d'être présent parmi nous en nous faisant partager ses orientations. Surtout, et enfin, sa lectrure nous aidera à nous sentir soutenus dans notre conviction que la vie de l'Église ne peut être détachée de la sainteté de sa grande et ininterrompue tradition liturgique.
5) Vu d'Allemagne, quel bilan tirez-vous de ces dix ans de Summorum Pontificum ?
Abbé Rodheudt : Tout d'abord, Summorum Pontificum a représenté une grande libération. Il était profondément erroné de traiter la colonne vertébrale de la culture européenne comme une antiquité poussiéreuse. Parmi les prêtres et les laïcs, la libération de la praxis liturgique a donné lieu à une nouvelle conscience de ce que la liturgie et la sacralité représentent vraiment. Les jeunes prêtres et les séminaristes, en particulier, sont très désireux de connaître « l'ancienne messe » bien que ce soit parfois risqué pour eux quand leurs évêques se refusent à un dialogue auquel ils prétendent par ailleurs être particulièrement ouverts. Attention, cela ne signifie pas que ces jeunes ecclésiastiques ne considèrent que la liturgie traditionnelle mais que sa découverte les conduit à envisager la liturgie réformée avec plus de dignité et de responsabilité, surtout quand il s'agit de faire face aux options innombrables du nouveau Missel. Il est significatif, à cet égard, que les convertis comme les catholiques non pratiquants ou en recherche, choisissent souvent la liturgie traditionnelle, quand il leur est permis de la rencontrer, comme demeure. Ils ressentent intuitivement qu'elle repose sur quelque chose qui est à l'abri de l'influence de l'esprit des temps (« Zeitgeist » en langue originale) et de ses multiples déclinaisons. De ses origines, depuis saint Grégoire le Grand, et jusqu'à aujourd'hui, la tradition liturgique a toujours été imprégnée d'un esprit missionnaire. Et cela continuera. Toutes les tentatives d'étouffer cet esprit, au nom d'une idéologie ou d'une autre, failliront lamentablement, comme le béton ne parvient jamais à empêcher totalement l'herbe de trouver en fin de compte son chemin...
II – LES RÉFLEXIONS DE PAIX LITURGIQUE
1) Cette conférence, la première de l’année à se pencher sur les 10 ans du motu proprio de Benoît XVI, nous rappelle que l’Allemagne est « l'autre pays de la liturgie traditionnelle ». Tout d’abord, les deux principaux instituts traditionnels, la Fraternité sacerdotale Saint-Pie X et la Fraternité sacerdotale Saint-Pierre, y ont un séminaire (Zaitzkofen pour la FSSPX et Wigratzbad pour la FSSP). Ensuite, de Romano Guardini (Italien de naissance mais ayant grandi et passé toute sa vie en Allemagne) à Klaus Gamber et Joseph Ratzinger, l’Église y a trouvé quelques-uns de ses plus grands liturgistes du XXème siècle. L’école liturgique allemande classique, profondément orientée vers le Seigneur, est toujours féconde, il suffit de penser aux travaux de Michael-Uwe Lang, prêtre allemand membre de l’Oratoire de Londres, ou, dans un registre plus profane, de Martin Mosebach par exemple. Enfin, c’est enfin un fidèle d’origine allemande, le docteur de Saventhem, qui a présidé à la fondation de la Fédération internationale Una Voce et qui, le premier, eut l’idée de recourir à l’outil des enquêtes d’opinion pour montrer que l’attachement des fidèles à la liturgie latine et grégorienne n’était pas limité à un petit cercle de nostalgiques.
2) Il est vrai que l’Allemagne avait été auparavant un des pays du Mouvement liturgique le plus en pointe, avec Dom Odon Casel, de l’abbaye bénédictine de Maria Laach, ou Monseigneur Johannes Wagner, animateur du Deutsches Liturgisches Institut (DLI), fondé sur le modèle du Centre de pastorale liturgique (CPL) français, etc. En Allemagne comme en France, le Mouvement liturgique a favorisé un solide attachement intellectuel à la liturgie romaine et, paradoxalement, préparé le terrain à l’émergence d’une résistance très forte aux bouleversements de la fin des années 60. En fait, le Mouvement liturgique a engendré à la fois la réforme conciliaire et l’opposition à cette réforme. C’est ce que Benoît XVI remarquait dans sa Lettre aux évêques du 7 juillet 2007 : « Il s’est vite avéré que beaucoup de personnes restaient fortement attachées à cet usage du rite romain, qui leur était devenu familier depuis l’enfance. Ceci s’est produit avant tout dans les pays où le Mouvement liturgique avait donné à de nombreuses de personnes une remarquable formation liturgique, ainsi qu’une familiarité profonde et intime avec la forme antérieure de la célébration liturgique. »
3) « En Allemagne, 44% des catholiques pratiquants assisteraient régulièrement à la messe traditionnellesi le motu proprio était appliqué ! » titrions-nous le 20 avril 2010 en présentant les résultats du sondage conduit en février 2010 pour notre compte par Harris Interactive auprès de 2611 personnes majeures résidant en Allemagne. Dans le détail, il apparaissait que 25% des pratiquants d’outre-Rhin assisteraient tous les dimanches à la forme extraordinaire du rite romain si elle était célébrée dans leur paroisse ; et que 19% le feraient, eux, une fois par mois (par comparaison, les résultats de la même enquête organisée le mois précédent à Paris indiquaient que "seulement" 33% des pratiquants locaux – 20% tous les dimanches et 13% une fois par mois - se rendraient au moins une fois par mois à une telle célébration).
4) Le Réseau des prêtres catholiques («Netzwerk katholischer Priester») dont nous parle l’abbé Rodheudt semble, à bien des égards, comparable à l’Opus sacerdotale française, dans la mesure où il rassemble des prêtres diocésains désireux de demeurer fidèles à la plénitude doctrinale et spirituelle du sacerdoce catholique. À la différence près, et importante, que sa naissance n’est pas contemporaine des bouleversements conciliaires mais bien plus récente puisqu’elle ne survient qu’en 1993, année des secondes rencontres inter-religieuses d’Assise mais aussi de l’encyclique Veritatis Splendor. Nous tenterons de profiter de notre présence à Herzogenrath pour mieux comprendre la genèse de cette initiative tout en sachant que, plus encore qu’en France, une grande partie de la hiérarchie ecclésiastique allemande était, et demeure, fortement hostile à toute forme de tradition liturgique comme doctrinale.