S'il fallait décrire la caractéristique du Bon Pasteur et
donc celle du sacerdoce de Notre Seigneur Jésus-Christ,
on pourrait la résumer en un don de soi à Dieu
et aux âmes. Malgré la faiblesse humaine qui joue là plus
qu'ailleurs, le sacerdoce de Jésus-Christ est un don de soi
à Dieu et aux âmes. Si le prêtre oublie cela, la conséquence pour lui et pour les autres ne peut être que dé-
plorable. il n'amoncellerait que des ruines, ruines, on le
sait qui se restaurent moins vite que les ruines de guerre
dans les villages dévastés. le sacerdoce - être prêtre - ce
n'est pas une affaire, on y gagne trop peu et quand même
on y gagnerait quelque chose, c'est un crime que de juger
le sacerdoce à sa valeur commerciale et au taux plus ou
moins élevé dont il paie le capital qu'on y engage. il n'est
pas non plus un refuge pour les imbéciles, les fainéants,
les timorés, tous ceux qui manquent d'initiative. ii n'est
pas un fauteuil bien capitonné où mollement l'on vient
s'asseoir pour une longue sieste. il n'est pas la barque
confortable et savamment équilibrée, où dans une manœuvre
facile, on peut bercer son rêve humain le long de
la traversée. il n'est pas une voie de garage contre le mal,
contre le risque de vivre et où on se retirerait pour être
tranquille et finir en paix ses jours. il n'est pas un refuge
en cas de dépit amoureux, il n'est pas une manière de
prospérer sans travailler, de dominer sans valoir, d'être
noble sans ancêtre. il est aux âmes et à Dieu, le don de
soi.
Aux jeunes qui liront ces lignes, à quoi en vous le sacerdoce
s'adresse-t-il ? lorsque son appel se fait entendre,
à quoi en vous s'adresse-t-il ? Quelle corde doit-il
faire vibrer ? Quelle résonance éveiller ? Et quoi, en vous,
lui répond, si quelque chose y répond ? S'il était une affaire,
il s'adresserait à votre instinct commercial. S'il était
un refuge, il s'adresserait à votre peur de vivre. S'il était
un fauteuil, il s'adresserait à votre paresse. S'il était une
voie de garage, il s'adresserait à votre besoin de sécurité.
S'il était ceci ou cela encore qu'il n'est pas, il s'adresserait
à votre orgueil. Et ce serait une pitié que de vous entendre
lui répondre, un effroi de voir gravir ces jeunes gens
avec de telles dispositions, les degrés qui montent vers le
Saint des Saints. il est un don de soi, c'est ce qui définit
le Bon Pasteur.
C'est à votre foi qu'il parle, vous suppliant au nom de
cette même foi, de regarder le monde, de comprendre
l'immensité de la besogne dans un tel monde sans Dieu,
et de compter avec certaine angoisse, sur les champs illimités,
les trop rares pasteurs au travail. C'est à votre
conscience aussi, à votre sens de la beauté morale, parce
que dans cette conscience se formule le devoir, précis
quand on est loyal, vaste quand on est généreux. C'est
enfin à votre cœur surtout : cœur d'enfant, cœur de jeune.
C'est, en effet, le cœur qui dicte les grandes réponses aux
grands appels. En lui se préparent les grands dévouements,
se conçoivent les initiatives superbes. C'est là aussi
qu'est la douleur, et c'est là enfin qu'est l'amour. C'est
dans son cœur de femme que Marie-Madeleine entendit
l'appel au pardon. C'est dans son pauvre cœur d'homme
que le larron entendit l'appel au repentir. C'est dans son
cœur de jeune homme malheureux que le Prodigue entendit
l'appel au retour. Et si ce n'est pas dans leur cœur
d'abord que les pécheurs du lac ont entendu l'appel, ce
fut bien, finalement, dans leur cœur, qu'ils durent l'entendre
le jour où répondre, c'était, en se donnant, se donner
jusqu'à la mort. C'est dans son cœur que saint Paul
l'entendit. C'est de son cœur que jaillit le cri « Seigneur,
que voulez-vous que je fasse ? ». C'est dans son cœur que
le jeune riche de l'Evangile l'entendit, et c'est faute de
cœur qu'il ne sut pas répondre. Combien de jeunes aujourd'hui, il faut bien l'avouer, sont secs, égoïstes. Faute
de cœur, ils ne comprennent plus le don d'eux-mêmes.
Il faut vouloir pourtant donner beaucoup. Votre foi,
votre conscience, votre cœur qui seuls, jeunes gens, doivent,
en vous révélant le vrai sens du sacerdoce, vous
faire répondre à son appel doivent aussi vous encourager
- puisqu'il est un don de soi - à apporter le plus possible.
Nos ressources, il est vrai, ne dépendent pas de nous.
Mais en un sens elles en dépendent. il y a des valeurs
qu'on ne peut se donner. Mais il y en a que, pouvant se
les donner, on ne se les donne pas.
Il s'agit - pour les élus du sacerdoce - d'exploiter leurs
ressources, de juger de leurs possibilités, avec le devoir,
généreusement reconnu, d'offrir beaucoup au sacerdoce,
parce que quoiqu'on lui offre, ce n'est jamais assez. le
sacerdoce, c'est le don de soi.
Et comment, prêtres nous-mêmes, ne pas nous sentir
désolés, scandalisés presque, lorsque, en route vers le sacerdoce
où ils devront se donner, les jeunes élus semblent
gaspiller leurs ressources ou ne guère se soucier de
les garder en les développant ? le jour venu, qu'aurontils
à donner ? Du creux de leurs deux mains, que laisseront-ils
sur la pierre de l'autel, pour l'offrande ? Du génie,
de l'éloquence, on ne leur en demande pas, s'ils n'en ont
pas. Mais, on leur demande du travail, de la conscience,
du bon sens, de la piété, de l'effort vertueux. C'est une
souffrance, quand on aime, de ne pas pouvoir tout ce
qu'on veut. On se console en faisant tout ce qu'on peut.
A ce prix seulement, la conscience est en paix. les grands
moments d'une jeunesse appelée, c'est quand l'adolescent,
pensif et grave, seul devant Dieu se regarde l'âme
et se dit : « Au sacerdoce qu'apporterai-je ? » Sa
conscience lui répond : « Ce que tu prépares ». les riches,
au temple apportent leur agneau, les pauvres, la paire de
tourterelles. ii est des cas où ceci vaut cela, et même plus.
Mais il est des cas où non. Parce qu'il est des cas où la
pauvreté n'est que de la paresse coupable, et où la richesse
serait le devoir rigoureux.
Nous ne jugeons personne. Nous faisons appel à
tous. Et aux jeunes que Dieu appelle, nous disons : le sacerdoce
est un don de soi. Mettez-vous à même, en vous
donnant, de donner quelque chose. Quoi ? Non pas une
fortune, non pas des talents ou des aptitudes toutes particulières.
Non ! Mais votre âme au moins. Même s'il n'y
avait qu'elle à donner, eh bien donnez votre âme. C'est
elle le principal. On peut vous dispenser du reste si vous
ne l'avez pas. On ne vous dispense pas de votre âme. Et
durant les années de préparation sacerdotale, on ne dispense
pas les séminaristes de la préparer car, le matin du
sacerdoce, ni Dieu, ni l'Eglise, ni le monde ne peuvent
les dispenser de donner cette âme.
Enfin aux parents : qu'avons-nous à dire, nous,
prêtres?
Nous avons à vous dire : «le sacerdoce est le don
de vos enfants aux âmes et à Dieu». Il s'impose donc
d'abord à vous de ne pas empêcher que cela se réalise. il
ne suffit pas de reconnaître en principe, la beauté morale
du don de soi à quelque noble cause, ni d'admettre que
la personne humaine, arrivée à un point de son développement,
ait le droit d'être elle-même selon ses aptitudes
ou sa destinée reconnue, il faut en logique et en honnê-
teté, si la question se pose, permettre que ces choses
soient: même s'il s'agit d'un fils, même s'il s'agit du plus
aimé des fils, même s'il s'agit d'un fils unique et même si
ce fils veut être prêtre. les jardiniers respectent la loi des
graines, les parents doivent respecter la loi vitale de leur
fils et s'il est vrai qu'un jour, par goût réfléchi, par
conscience éclairée, sous une poussée de Dieu, l'enfant
songe à se donner dans le sacerdoce, où prendront-ils
l'autorité de l'obliger à un autre rêve en lui interdisant
celui-là?
A qui est un enfant ? A Dieu d'abord. A lui-même
ensuite. A ses parents enfin. Et cet ordre est inviolable.
il est hélas violé parfois, par ceux-là même qui ont constitué
un foyer chrétien, par ceux-là même qui ont veillé à
l'éclosion d'une vie chrétienne. De quel droit le faire ? De
quel droit, si des parents le font, s'en justifier, se prétendre
tranquilles et chrétiens quand même ? De quel droit permettre à un fils de se donner à n'importe qui, sauf à
Dieu ? De quel droit, divin ou humain, social, maternel
ou paternel, obliger quelqu'un, même son enfant, à s'user
lui-même en se dévorant d'égoïsme, quand sa loi intime
la plus sacrée serait de s'user en se livrant comme prêtre
à Dieu et aux âmes?
De quel droit? ... S'impose à vous, chers parents,
l'obligation de ne pas non plus fausser la définition du
sacerdoce dans la conscience de vos enfants. C'est si facile
pourtant, et hélas, trop fréquent, inconsciente légèreté, ambition sotte, manque de sens chrétien, qu'importe
la chose, si le résultat est là, qui fait un peu honte et qui
navre. Supposez - et ce n'est pas calomnie - supposez des
parents qui devant leur enfant disent et redisent : « le sacerdoce
c'est un bon métier », d'où viendrait au petit,
l'idée du sacerdoce «don de soi»?
S'ils disent: «Paresseux comme tu es, chétif, bon à
rien, tu ne peux faire qu'un prêtre!», comment croira-t'il
à la noblesse de son rêve ? S'ils disent: «riches comme
nous sommes, intelligent comme tu l'es et capable d'être
quelqu'un dans la vie, tu ne peux pas être prêtre » ; comment
l'enfant verra-t-il dans le sacerdoce, un dévouement
? Ainsi parler en toute occasion, c'est éteindre des
étoiles, et c'est en défigurant le sacerdoce dans une jeune
âme qui en rêve, commettre contre ce rêve divin un
péché dont les suites ne se peuvent calculer. S'impose
alors l'obligation de permettre au sacerdoce de vos fils,
un don aussi beau qu'il peut l'être. Aimez-vous Dieu ou
ne l'aimez-vous pas ? De la réponse tout dépend. Je n'envisage
que la première question. Si vous aimez Dieu...
On ne se moque pas des gens qu'on aime ; on ne
trouve pas que tout soit toujours assez bon pour ceux
qu'on aime. Dieu, quand on l'aime, s'il demande un fils,
qu'en fera-t-on ? On ne le refusera pas. Mais est-ce assez
ce non-refus si on aime ? Jamais trop beau, jamais trop
bon, jamais trop pur, l'enfant qu'on prépare pour Dieu.
Sur cette donnée, tout un travail paternel et maternel se
poursuit. Non seulement, on n'en veut pas à Dieu de ce
qu'il prend le meilleur - si c'est le meilleur qu'il prend -
mais on se félicite de ce que le choix tombe si bien. les
vrais parents chrétiens pensent qu'à plus noble service
doivent répondre plus nobles serviteurs, que ce n'est pas
enfouir ses capacités que de les employer pour Dieu dans
l'Eglise et qu'il y aurait blasphème insultant, entre deux
fils, à choisir pour Dieu le moindre. « Je ne sais qu'en
faire, prenez-le ». On ne dit pas de pareilles choses, on
ne les pense pas quand on aime vraiment Dieu. Dans les
larmes mêmes du sacrifice, il y a pour un père et une
mère, une légitime fierté à se dire : « il a tout pour lui,
Dieu le veut. il s'y connaît. le meilleur à garder, mais le
plus beau à offrir. Tant mieux!».
En outre, si des parents aiment Dieu, quand Dieu
choisit leur fils, ils aident à la mise en valeur du sujet, pour
qu'au matin du sacerdoce, à la présentation au pied des
autels, le nouveau prêtre ait du laurier à sa couronne, le
laurier du savoir et du talent, s'il se peut, et toujours
comme il se doit le laurier plus sacré d'une vertu intacte
ou retrouvée, d'une âme loyale et généreuse, d'un dévouement
qui attend son heure.
Les parents peuvent beaucoup pour la préparation
de l'enfant à son avenir sacerdotal. ils peuvent tellement
que sans eux, la tâche ne se réalise jamais en perfection,
et qu'à cause d'eux hélas, trop souvent, elle est compromise
sans retour. Que peuvent-ils ? Deux derniers mots :
ils peuvent garder ; garder à sa pureté une jeune fille, garder
à son intégrité morale un jeune homme, vous savez,
vous parents, ce que c'est aujourd'hui. Mais garder un appelé
de Dieu à son idéal, un cœur de dix-huit ans à sa
chasteté, garder, dans le monde, un enfant qui ne soit pas
du monde, vous en devinez j'espère le problème, les
risques, les échecs possibles.
Or nul, mieux que les parents ne peut garder. Ils font
l'âme de la maison, ils créent son atmosphère. ils constituent
autour de cette jeune conscience tremblante et menacée,
la vigilance discrète sans laquelle tant de périls
deviennent mortels.
Combien à vingt-cinq ans ou plus, ne se donneraient
pas si à dix-huit ans, les parents ne les gardaient pas. ils
peuvent encourager, et ce n'est pas inutile. A peu près
toujours, les jeunes gens que Dieu appelle, sont un peu
solitaires dans la vie. ils représentent dans leur génération,
l'exception. S'ils ne poussent pas contre le vent, sur
le rivage désert, ils ne poussent pas non plus ensemble
dans l'épaisse forêt. leur ascension représente un effort
constant, une lutte sans arrêt contre les milieux hostiles.
Et souvent ils tremblent, ils hésitent, ils ont peur. leur
propre poids les écrase, la hauteur où porter leur cime
les décourage. Voilà ce qu'il était peut-être utile de dire,
à l’heure où manquent tant les prêtres. il faut aider nos
vocations en les suscitant, les gardant, les protégeant.
Seigneur, donnez-nous beaucoup de saints prêtres
(sources : oeuvres du R.P. Bellouard O.P. )