Pour «réparer les crimes de l’avortement», la Fraternité Saint-Pie X utilise la chapelle du CHUV pour y dire des prières expiatoires. Depuis une dizaine d’années. Assurant qu’elle «tombe des nues», la direction de l’hôpital prend des mesures pour défendre le droit à l’interruption de grossesse
Cela se passe le 13 de chaque mois à 19h30 à la chapelle du CHUV, le centre hospitalier universitaire vaudois. Des croyants intégristes sont appelés à se rendre dans ce lieu de culte afin d’y prier «pour réparer les crimes de l’avortement». Ainsi que Le Temps l’a constaté, l’invitation figure dans le bulletin mensuel de la Fraternité Saint-Pie X, un courant plus familièrement connu sous le nom d’Ecône.
Il ressort de la même publication
que, le samedi 13 mai, au moment même où le pape François célébrait à Fatima,
au Portugal, le centenaire des apparitions de Marie, la Fraternité commémorait
le miracle de son côté par une «messe votive» au CHUV.
Chapelle sans surveillance
permanente
Le principal établissement
hospitalier vaudois est-il donc devenu un lieu de présence privilégié pour le
mouvement religieux conservateur? «Tout le monde ici tombe des nues», répond
François Rouiller, responsable de l’aumônerie du CHUV, assurant tout ignorer de
ces manifestations. «En soi, nous ne pouvons pas exclure que de telles prières
aient pu avoir lieu, même sans notre accord», précise-t-il, car la chapelle
n’est pas surveillée en permanence.
Propriété du CHUV, et donc de
l’Etat de Vaud, la chapelle en question est un lieu œcuménique, dédié au
soutien spirituel pour les patients et leurs familles. Elle est gérée par le
service d’aumônerie de la cité hospitalière, pour lequel une vingtaine de
théologiens, pasteurs et prêtres assurent une présence sept jours sur sept, en
collaboration avec les Eglises protestantes et catholiques.
François Rouiller insiste
sur le fait qu’il n’existe aucun lien entre l’aumônerie, sa chapelle et la
Fraternité. Il se demande du reste comment cette communauté a fait pour
célébrer une messe votive sans accès à la sacristie.
«La vie doit être défendue»
Le jeune abbé Jean de Loÿe,
30 ans, responsable de la paroisse lausannoise de la Fraternité Saint-Pie
X, confirme au Temps l’existence de ces prières. Non seulement elles
ont lieu à la chapelle, mais elles se tiennent depuis au moins une dizaine
d’années, affirme-t-il. «Il ne s’agit pas d’une manifestation revendicative.
Mais la vie doit être défendue», explique-t-il.
L’abbé ne veut donner aucune
précision sur le choix du CHUV pour ces prières. On peut toutefois imaginer que
cet hôpital n’est pas choisi au hasard, étant l’un des sites où se pratiquent
le plus d’avortements en Suisse romande. Selon les chiffres fournis par le
CHUV, 757 interruptions de grossesse ont été effectuées en 2015 au Département
femme-mère-enfant. Au niveau suisse, l’Office fédéral de la statistique a
enregistré pour la même année 10 255 cas. Une légère baisse est constatée
depuis quelques années, surtout parmi les jeunes femmes.
Une bénévole à l’œuvre ?
Une congrégation religieuse qui
se flatte d’organiser des prières réparatrices au CHUV, une direction d’hôpital
qui n’a rien vu, quelle est la réalité? Ce qui semble sûr, c’est qu’il n’y a
jamais eu dans la chapelle de l’hôpital de rassemblement important de chrétiens
traditionalistes. «La chapelle est un lieu apprécié par beaucoup d’employés de
l’hôpital qui l’utilisent pour y faire de la méditation pendant les pauses,
relève Pierre-François Leyvraz, le directeur général du CHUV. Elle est ouverte
à toutes les croyances et nous ne voulons pas faire de la police.»
Tout en répétant n’avoir rien
remarqué, les responsables de l’hôpital formulent l’hypothèse qu’une ancienne
bénévole de l’hôpital pourrait être au centre de ces prières, qui ne
réuniraient qu’un nombre très réduit de personnes. Le nom de cette bénévole
apparaît en tout cas aussi dans le bulletin de la Fraternité.
Le CHUV réagit
Interrogé par Le Temps, le
conseiller d’Etat Pierre-Yves Maillard, responsable politique du CHUV en tant
que chef du Département de la santé et de l’action sociale (DSAS), indique que
«si cette pratique est avérée, la direction du CHUV fera en sorte que ce lieu
de recueillement propriété de l’Etat ne soit plus utilisé pour la diffusion de
messages mettant en cause le droit à l’avortement».
Au CHUV, des mesures sont en
effet annoncées. Le service de sécurité a reçu l’instruction de fermer la
chapelle le 13 du mois entre 19h et 20h. De plus, une lettre sera envoyée ces
prochains jours à la Fraternité Saint-Pie X pour lui signifier cette
interdiction d’accès et lui demander de supprimer de son bulletin
l’annonce des prières. «L’avortement est un droit. En tant que service de
l’Etat nous défendons la loi et ne voulons pas du prosélytisme dans nos
locaux», ajoute le directeur Pierre-François Leyvraz.
Un droit remis en cause
Le mouvement d’Ecône, présent à
Lausanne depuis une trentaine d’années, a récemment créé la surprise avec son
emménagement en février dans la chapelle de l’ancien Institut Mont-Olivet.
L’interruption de grossesse est légalisée en Suisse depuis 2002, dans les
douze premières semaines. Une légalisation que les milieux conservateurs n’ont
pas acceptée et tentent de remettre en cause.