Là où il y a des hommes il y a de l’hommerie ! Et le monde
ecclésiastique n’échappe pas à cette loi. L’histoire de l’Eglise le
prouve abondamment à chacune de ses pages.
Certains s’en scandalisent, surtout à notre époque où l’on a perdu la
juste vision de l’homme dans sa partie la plus noble, l’âme, dont
l’existence elle-même est niée par beaucoup, au nom d’un matérialisme
philosophique pur et dur. On ne croit ainsi plus au péché originel dont,
jusqu’à preuve du contraire, les clercs ne sont pas plus préservés que
les autres. On a donc jeté aux oubliettes tout ce que la théologie et le
catéchisme enseignaient jadis sur cette question capitale. Notamment
quant à ses séquelles que l’on garde plus ou moins à vie, malgré la
purification et la grâce baptismales, et qui font que même les plus
grands saints ne peuvent s’empêcher de façon absolument parfaite de
tomber dans quelques péchés, certes très légers mais péchés quand même.
Il y eut ainsi entre eux des controverses, voire des querelles qui
demeurent comme des morceaux d’anthologie dans l’histoire de la pauvre
humanité : entre St Pierre et St Paul, entre St Jérôme et St Augustin,
entre St Thomas d’Aquin et St Bonaventure etc.. Alors comment n’y en
aurait il pas, avec son lot de déchaînement des passions, entre ceux qui
sont moins ou bien moins saints et qui constituent l’écrasante majorité
des hommes quels qu’ils soient?
En ces aléas de l’existence présente, impossibles à éviter tout à fait,
le monde ecclésiastique a le secret des noms d’oiseaux dans un mode ou
une apparence tellement châtiés qu’ils ne sont compréhensibles que par
les initiés. Que les non initiés sachent que se jeter à la figure, par
exemple, « intellectualiste » ou, à l’opposé, « volontariste » font
partie des plus grandes injures !... Ainsi se sont opposées pendant un
bon nombre de siècles de grandes écoles de pensée philosophique et
théologique comprenant chacune une cohorte de saints et de docteurs de
l’Eglise, notamment celles représentées par deux des plus grandes
familles religieuses de l’Eglise : les dominicains, d’un côté, et les
jésuites, de l’autre.
Il suffit de connaître un peu les différences de personnalité de chacun
des fondateurs de ces deux ordres, nécessairement marqués en profondeur
par elles dans leurs règles, constitutions ou styles de vie religieuse,
pour voir l’origine de telles invectives. Dieu donne, en effet, à
chacune de ses créatures une individualité, un caractère unique et
nécessairement limité de telle sorte qu’ensemble elles se complètent et
constituent un tout harmonieux, image la plus complète possible de la
perfection infinie de Dieu. St Dominique était plutôt un contemplatif
donc ainsi fut son ordre, notamment dans sa plus belle figure qu’est St
Thomas d’Aquin. St Ignace, ancien capitaine, était à l’évidence plutôt
un homme d’action donc ainsi fut sa fameuse Compagnie de Jésus dans
laquelle les œuvres apostoliques ou missionnaires furent nettement plus
développées que chez les fils de St Dominique. Mais il ne faut pas
tomber dans les schémas réducteurs et simplistes car St Dominique et
beaucoup de ses fils furent aussi de grands apôtres et missionnaires
(auprès des Cathares pour le premier). A l’inverse, les fameux Exercices
spirituels de St Ignace montrent que lui et nombre de ses fils furent
de grands contemplatifs et hommes d’oraison ainsi que de grands
théologiens. Il n’empêche que pris dans leur globalité chez les premiers
l’accent est mis sur la contemplation pure, alors que chez les seconds
l’accent est mis sur l’activité apostolique.
D’où une différence d’accentuation aussi dans la vie intellectuelle et
spéculative, en réalité comparable dans son importance chez ces deux
familles spirituelles. Dans la 1ère, l’accent est mis sur l’étude
spéculative à son plus haut niveau, cad portant sur Dieu en lui-même et
dans son œuvre qu’est la création, que ce soit au niveau de la seule
raison (théodicée et métaphysique), que ce soit au niveau de la foi
(théologie dogmatique). Dans la seconde, l’accent est mis sur l’étude de
l’homme dans ses actes en vue de sa fin dernière (psychologie, éthique,
théologie morale et ascétique). Ce qui constitue une merveilleuse
complémentarité et une grande richesse pour l’ensemble de l’Eglise.
Mais deux défauts ou tendances ont pu en naître chez certains de leurs
représentants. D’un côté, celle à oublier que la fin ultime n’est pas
dans la contemplation elle-même ou dans la seule activité intellectuelle
mais dans l’union de charité à Dieu qui se réalise le plus dans la vie
apostolique et réside dans la volonté (comme en Dieu : « Dieu est Amour »
; et comme chez les saints : l’héroïcité des vertus). De l’autre côté,
celle à oublier que pour que cette union soit la plus parfaite possible
la volonté doit nécessairement être suffisamment éclairée et guidée par
les plus hautes étude ou contemplation possibles de Dieu dès ici bas
(l’intellect n’est pas supérieur mais antérieur, par nature, à la
volonté).
Mais, de nos jours, cette opposition n’existe malheureusement plus entre
ces deux ordres également atteints par les ravages des nouvelles
philosophie et théologie dans la pensée ; et ceux de l’œcuménisme dans
l’esprit apostolique ou missionnaire. Elle existe, par contre, entre,
d’un côté, la pensée moderne et le modernisme ; et, de l’autre, la
pensée de l’Eglise éternelle qui se récapitule en celle de St Thomas
d’Aquin. La première reproche à la seconde son intellectualisme au nom
de son agnosticisme, son erreur fondamentale qui interdit tout discours
raisonné sur Dieu dont elle refuse même d’affirmer la simple existence
et a fortiori sa Révélation. Et la seconde reproche inversement à la
première son volontarisme, à l’image des « impératifs catégoriques » de
Kant ou de la soi disant éthique moderne et évolutive, car non ancrée
dans la reconnaissance et connaissance des lois divines et immuables,
naturelle et surnaturelle, mais dans les seuls a priori ou diktats de la
volonté humaine, individuelle et collective.
Cette opposition existerait, par contre, chez les tenants de la fidélité
intégrale à St Thomas et à la Tradition de l’Eglise. « Volontariste »
est, en effet, l’injure suprême, dans la bouche de ceux qui se
considèrent donc « intellectualistes » (sinon se complaisent dans leur
intellect), à l’adresse de certains de leurs semblables. Tel est le cas
dans la querelle interne à F.S.S.P.X avec la perspective de sa
reconnaissance entière par la volonté presque exclusive de Rome et qui
doit se traduire par l’octroi d’un statut très spécial et presque unique
dans l’Eglise : celui de prélature personnelle, certes préféré par la
Fraternité, car doit la protéger le mieux possible de l’ingérence des
évêques diocésains, toujours modernistes pour la plupart, étant entendu
qu’il est impossible de ne pas avoir certaines relations de dépendance
par rapport aux autorités légitimes de l’Eglise, principalement romaines
mais même épiscopales. Ce serait donc volontarisme ou seulement «
impératif catégorique » que d’accepter cela seulement parce que cela
vient de la Rome encore conciliaire et car « il ne faut jamais sous
estimer son adversaire ». Comme si le successeur de Pierre ne devait
être vu que comme n’importe quel adversaire et non d’abord comme la
pierre sur laquelle s’édifie nécessairement toute œuvre d’Eglise ou hors
de laquelle on ne construit que sur le sable ! Comme si ce n’était pas
un impératif de foi et de salut éternel que de ne pas refuser tout lien
de dépendance concrète par rapport au fondement divin de l’Eglise qu’est
le successeur actuel de Pierre, quelle que soit sa valeur personnelle !
N’est ce pas de façon bien plus patente volontarisme que d’agir ou de
réagir non par prudence mais par crainte en ne se fondant que sur des
conjectures, sans lumières ou preuves suffisantes, ou que sur des procès
d’intention soit par rapport à Rome, soit par rapport à Mgr Lefebvre
qu’on tente de récupérer en prétendant que, comme en 1988, il n’aurait
jamais accepté cette nouvelle proposition, comme si la situation
présente était identique à celle de son temps ! A moins qu’ils aient la
science infuse ou le don de prophétie ? Ce qu’à Dieu plaise ! Mais, en
attendant que cela soit dûment prouvé, gardons raison !