20 juillet 2017

[Gino Hoel - Golias] Messe en latin : la grande illusion

SOURCE - Gino Hoel - Golias - 20 juillet 2017

Summorum Pontificum, motu proprio de Benoît XVI libéralisant la messe de Pie V (elle est devenue la « forme extraordinaire » du rite latin, à côté du rite conciliaire de Paul VI, « ordinaire »), serait – dix ans après – une réussite, à en croire la presse catholique.

Ainsi en France avant la décision du pape allemand, une cent-vingtaine de messes tridentines étaient célébrées toutes les semaines ; en 2017, nous en sommes à 221. Bravo ! Merci Papa Ratzinger ! D’autant que beaucoup de jeunes y participent, on vient de loin parfois pour admirer le dos du prêtre récitant à voix basse Institution et Consécration, les doigts joints, avec un diacre et un sous-diacre pour l’assister, sans compter les enfants de chœur masculins en soutanelle rouge. L’encens permet de rappeler que nous entrons ici dans le Mystère ; la magie n’est pas loin, le sacré est partout. Il ne s’agit plus de célébrer la messe mais d’y assister, comme lorsqu’on va au cinéma, au théâtre ou au concert admirer un beau spectacle. On s’en met plein les yeux et les oreilles, on est au « théâtre divin »(1).

A l’époque, Benoît XVI voulait couper l’herbe sous le pied des intégristes. Il s’agissait de sortir la messe des discussions jamais interrompues entre Rome et la Fraternité sacerdotale Saint-Pie-X (FSSPX) fondée par Mgr Lefebvre, même après le schisme provoqué par ce dernier en 1988 avec l’ordination sans mandat pontifical de quatre évêques. De cette manière, le pape aujourd’hui émérite pensait que l’on se recentrerait alors sur les différends théologiques (entre autres l’acceptation de Vatican II). A juste titre mais ce fut une victoire à la Pyrrhus. Car ce motu proprio provoqua bien des dégâts : dans les diocèses, les paroisses, les séminaires… Il fallait désormais faire une place non seulement à l’usus antiquior mais aussi à l’idéologie qui va avec, celle de l’extrême droite catholique qui a vu dans cette décision une validation de ses thèses. Summorum Pontificum a accentué la désertion des chrétiens conciliaires pour qui, décidément, l’Eglise n’avait rien compris, qu’il valait mieux emprunter certains chemins de traverse, s’affranchir de cette institution ankylosée et terrifiée par l’avenir qu’elle ne comprenait pas (cela n’a pas changé), devenue inattentive aux signes des temps. Le motu proprio a juste permis de réunir les chrétiens tradis jusqu’alors isolés, parcourant parfois des dizaines, voire des centaines de kilomètres pour « assister » à la messe tridentine. « Ils part[irent] cinq cents mais par un prompt renfort, [ils] [se] v[irent] cinq mille en arrivant au port… »

Aujourd’hui, ces braves gens se réjouissent de ces jeunes séminaristes et laïcs empruntant les voies du traditionalisme qui a réponse à tout et surtout se positionne contre le monde. Pour ces jeunes sans repères ou en difficulté avec leur personnalité, la messe rubricisée, codifiée, où le prêtre agit en lieu et place du Christ avec ce sentiment de toute-puissance, est un cadre rassurant qui permet de soigner leur ego souffrant. Ces élus sont à part, choisis pour servir d’où la soutane (voire la barrette, ici et là), la défense de thèses réactionnaires, comme signes distinctifs qui conditionnent les rencontres. De fait, ce n’est pas pour rien que le nombre de prêtres diocésains baisse quand ceux de ces communautés augmentent : il ne reste plus que des fondamentalistes (on exagère à peine) pour choisir la voix presbytérale. Ceux qui ont opté pour le service d’un territoire ont conditionné leur engagement à l’agenda tradi (il s’agit de regarder sur les différents sites diocésains les dernières ordinations) et peinent avec les orientations pastorales définies par les évêques dans les diocèses, eux-mêmes submergés par ce déferlement romantique dans l’Eglise.
Mais cela leur permit de faire illusion. Car l’appel aux communautés tradis – comme la Communauté Saint-Martin, la Fraternité Saint-Pierre (FSSP) et l’Institut du Bon-Pasteur (IBP), pour ne citer que les plus célèbres – leur a permis de repousser les inévitables débats sur le ministère presbytéral, la formation et la place des laïcs, la place et le rôle des femmes dans l’Eglise… Il s’agit d’une vision à court terme qui – s’ils ne changent pas leur fusil d’épaule – risque fort d’isoler davantage encore l’Eglise sur les grands sujets (notamment politiques et sociétaux).

François voudrait abolir ce motu proprio avec la reconnaissance de la FSSPX qui serait la seule autorisée (à plus ou moins long terme) à célébrer l’ancien rite dans le cadre d’une prélature personnelle. Rien ne serait fait – les discours différents de la Congrégation pour la doctrine de la foi (CDF) déconcertent jusqu’à la Fraternité elle-même – et le renvoi de l’intraitable cardinal Müller, remplacé par l’archevêque jésuite Ladaria Ferrer, ne rassure pas les lefebvristes pour qui il s’agit d’un changement dans la continuité. Quoi qu’il en soit, abrogé ou non, Summorum Pontificum aura instillé un venin vivace dans les veines de l’Eglise qui n’en finit pas de l’empoisonner ; ce motu proprio n’était pas qu’un décret pontifical, il était aussi la légitimation des idées les plus obscures auxquelles Vatican II avait – on le croyait – définitivement tourné le dos. Dix ans après, Summorum Pontificum n’a rien réglé, il a au contraire accentué les difficultés, créé désordres et divisions ; le pire, c’est que ce n’est que le début !

Note : 1. Cf. Ph. Martin, Le théâtre divin – Une histoire de la messe XVIe-
XXe siècles, CNRS Editions, Paris, 2010.