SOURCE - Abbé Jean-Michel Gleize, fsspx - Le Courrier de Rome - février 2018
1. L’hérétique en général, et le protestant en particulier, se définissent comme ceux qui refusent l’autorité d’un Magistère ecclésiastique divinement institué. « Si l’on s’en tient à l’étymologie et à la voix unanime de toute la Tradition », dit Billot, « l’hérétique est à proprement parler celui qui, ayant reçu par le sacrement de baptême la qualité de chrétien, refuse de se régler sur le Magistère de l’Église pour connaître les vérités qu’il faut croire et se choisit ailleurs la règle d’après laquelle il faut décider quelles sont les vérités de foi et quel est l’enseignement du Christ. Et l’hérétique peut s’affranchir du Magistère soit en suivant un autre magistère religieux et d’autres docteurs, soit en adoptant le principe du libre examen et en professant l’indépendance absolue de la raison, soit enfin en refusant de croire seulement un des articles que l’Église propose comme dogmes de foi 1.» L’hérétique nie donc précisément que Dieu ait rendu nécessaire la profession des vérités de foi dans la dépendance de l’autorité de l’Église. Lorsqu’il reconnaît tout de même le « magistère » (au sens dérivé et très diminué de ce terme) des Écritures divinement inspirées, il garde au moins un point commun avec le catholique, puisqu’il reconnaît ces Écritures comme l’expression de la Révélation divine.
1. L’hérétique en général, et le protestant en particulier, se définissent comme ceux qui refusent l’autorité d’un Magistère ecclésiastique divinement institué. « Si l’on s’en tient à l’étymologie et à la voix unanime de toute la Tradition », dit Billot, « l’hérétique est à proprement parler celui qui, ayant reçu par le sacrement de baptême la qualité de chrétien, refuse de se régler sur le Magistère de l’Église pour connaître les vérités qu’il faut croire et se choisit ailleurs la règle d’après laquelle il faut décider quelles sont les vérités de foi et quel est l’enseignement du Christ. Et l’hérétique peut s’affranchir du Magistère soit en suivant un autre magistère religieux et d’autres docteurs, soit en adoptant le principe du libre examen et en professant l’indépendance absolue de la raison, soit enfin en refusant de croire seulement un des articles que l’Église propose comme dogmes de foi 1.» L’hérétique nie donc précisément que Dieu ait rendu nécessaire la profession des vérités de foi dans la dépendance de l’autorité de l’Église. Lorsqu’il reconnaît tout de même le « magistère » (au sens dérivé et très diminué de ce terme) des Écritures divinement inspirées, il garde au moins un point commun avec le catholique, puisqu’il reconnaît ces Écritures comme l’expression de la Révélation divine.
2. Il est alors possible d’argumenter contre ce genre
d’hérétiques, en s’appuyant sur la part de vérité qu’ils
concèdent encore. Le procédé logique de la réfutation
peut être utilisé dans le cadre d’une argumentation théologique,
et la doctrine sacrée y recourt pour défendre ses
propres principes, ainsi que le montre saint Thomas.
« Dans l’ordre des sciences philosophiques, les sciences
inférieures non seulement ne prouvent pas leurs principes,
mais ne disputent pas contre celui qui les nie, laissant
ce soin à une science plus haute ; la plus élevée de
toutes, au contraire, qui est la métaphysique, dispute
contre celui qui nie ses principes, à supposer que le négateur
concède quelque chose. […] La science sacrée donc,
n’ayant pas de supérieure, devra elle aussi disputer contre
celui qui nie ses principes. Elle le fera par le moyen
d’une argumentation, si l’adversaire concède quelque
chose de la Révélation divine : c’est ainsi qu’en invoquant
les autorités de la doctrine sacrée, nous disputons
contre les hérétiques, utilisant un article de foi pour combattre
ceux qui en nient un autre 2.»
3. Aristote indique ce genre de procédé dans les
Seconds analytiques, au livre I : c’est la démonstration
qui débouche sur quelque chose d’impossible (demonstratio
ducens ad impossibile), que l’on a parfois appelé
aussi la « réduction à l’absurde ». Celle-ci consiste dans
un syllogisme où l’on part à la fois et de la thèse de l’adversaire
que l’on combat soi-même (dans la première
prémisse ou majeure) et d’un autre principe admis à la
fois par l’adversaire et par soi-même (dans la seconde
prémisse ou mineure). Utilisant ce procédé, la théologie
réfute l’hérétique de la façon suivante : elle pose comme
majeure du syllogisme la thèse de l’hérétique (qui est la
négation de la thèse catholique) ; elle pose ensuite
comme mineure le point commun accordé par tous,
catholiques et hérétiques ; on en déduit une conclusion
manifestement impossible et fausse. Si la conclusion est
fausse, il est sûr qu’il y a fausseté dans les prémisses,
parce que les prémisses sont cause de la fausseté ou de la
vérité de la conclusion. Or, on ne peut pas dire que c’est
la mineure qui est fausse, parce qu’elle exprime quelque
chose d’incontestable, et pour le catholique et pour l’adversaire
du catholique. Reste que ce soit la thèse de l’adversaire,
prise pour majeure, qui soit fausse. Le raisonnement
qui opère la réduction à l’absurde du protestantisme
est alors le suivant : la Révélation divine nie que les
vérités révélées soient celles que propose le Magistère de
l’Église institué par le Christ (thèse fondamentale du protestantisme)
; or l’Écriture est l’expression de la Révélation
divine (thèse que concède le protestantisme) ; donc
l’Écriture nie que les vérités révélées soient celles que
propose le Magistère institué par le Christ (conclusion
manifestement fausse).
4. Tout le travail de la controverse apologétique qui mit
jadis aux prises les docteurs catholiques avec les protestants
consista à manifester l’impossibilité de cette
conclusion. C’est d’ailleurs ainsi qu’a commencé la théologie
de l’Église : les théologiens de l’époque moderne,
postérieure à Luther, ont d’abord étudié l’Église à partir
des sources de l’Écriture, dans une optique défensive et
apologétique, pour réfuter le protestantisme. Ils se sont
basés sur les textes du Nouveau testament, reconnus par
les hérétiques comme des preuves d’autorité.
5. Leur tâche peut nous paraître obsolète, à nous,
hommes du XXIe siècle, qui respirons à pleins poumons
l’atmosphère empoisonnée d’un relativisme œcuméniste
effréné. Songeons pourtant qu’en 1559 paraissait le premier
volume des Centuries de Magdebourg de Mathias
Francowitz, alias Flaccius Illyricus, un Dalmate fervent
disciple de Luther. L’ensemble fut achevé en 1574.
« Rédigés avec un grand déploiement de documents, de
dates et de témoignages, les treize gros in folio furent
accueillis avec enthousiasme par les protestants d’Europe
comme le coup le plus mortel qui ait jamais été asséné
aux catholiques 3
. » Stanislas Hosius, le légat du pape aux
Pays-Bas, les tenait comme l’ouvrage le plus pernicieux
qui ait jamais été rédigé. C’est dans ce contexte que saint
Robert Bellarmin est nommé professeur, préfet des
études et directeur spirituel du collège de la Compagnie
de Jésus à Louvain. Il est âgé de 28 ans. Son premier
cours se déroule le 17 octobre 1570. Il déclare d’emblée
à ses élèves : « Je garantis que chacun d’entre vous fera
plus de progrès en huit semaines consacrées à la Somme
[de saint Thomas d’Aquin] qu’en plusieurs mois d’études
personnelles de la Bible et des Pères 4.» Ses cours
impressionnent à l’étranger : le collège anglais de Douai
se les procure et les dicte à ses étudiants. On conserve en
archives dans la Compagnie 4 volumes manuscrits des
notes du jeune professeur : 1 500 pages sur double colonne.
Il suit saint Thomas pas à pas. Il se met à étudier l’hébreu pour battre les protestants sur le propre terrain de
leur exégèse. Le premier volume des Controverses, fruit
de ce cours, paraît en 1586 ; le second en 1588 ; le dernier
en 1593. Les protestants y reconnaissent l’autorité
du catholicisme.
6. Un point reste pourtant essentiel et c’est celui que
nous avons tâché de mettre en lumière dans un article
précédent 5
. Ces Controverses de saint Robert Bellarmin,
comme toutes celles des grands docteurs catholiques de
l’époque, sont essentiellement d’ordre théologique et le
travail d’exégèse qui s’y trouve mis au service de la
défense du Magistère divinement institué procède tout
entier à la lumière des enseignements révélés. La raison
n’y est pas seule, non plus que l’Écriture. Si les protestants
peuvent ainsi bénéficier d’une lecture raisonnable,
celle-ci leur vient en dernière analyse des lumières de ce
Magistère qu’ils affectent d’ignorer. Mais la lecture raisonnable, même éclairée par ces lumières, et aussi nécessaire
soit-elle, ne suffit pas encore, car la foi reste toujours
en dernière analyse un don gratuit de Dieu. Tout
comme le Magistère, la théologie propose et dispose,
mais c’est Dieu qui donne. Les Controverses ont opéré
des conversions, l’une des plus retentissantes étant celle
de Benjamin Antony Carier, chanoine de Cantorbéry et
aumônier ordinaire du roi Jacques Ier. Et ce fut là un
signe, attestant que l’œuvre de saint Robert Bellarmin
était bien une œuvre d’Eglise.
Abbé Jean-Michel Gleize
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- LOUIS BILLOT, SJ, L’Église. II – Sa constitution intime, thèse 11, n° 421, Courrier de Rome, 2011, p. 52.
- SAINT THOMAS D’AQUIN, Somme théologique, Prima pars, question 1, article 8, corpus.
- JAMES BRODRICK, SJ, Saint Robert Bellarmin, l’humaniste et le saint, Desclée de Brouwer, 1963, p. 44.
- ID., ibidem, p. 32.
- Cf. « L’apologétique à l’épreuve de la raison seule » dans ce même numéro du Courrier de Rome.