10 février 2018

[Abbé Jean-Pierre Boubée, fsspx - Le Chardonnet] Suffit-il d’assembler pour unir ?

SOURCE - Abbé Jean-Pierre Boubée, fsspx - Le Chardonnet - février 2018

Comme tous les ans, l’Église a consacré la semaine du 18 au 25 janvier à «prier pour l’unité». En effet, le début correspond à la fête de la chaire de saint Pierre, et la fin à la conversion de saint Paul: ces deux symboles se prêtent aisément à la volonté de voir la foi se propager pour sauver de nouvelles âmes.

Cette période est désormais consacrée à une surenchère de scandales et d’apostasies publiques tant de la part des curés dans les paroisses que de celle des évêques. Tant et si bien que Dieu doit contenir sa colère devant tant de blasphèmes qui crient vers le Ciel. 
Cette semaine ne fut-elle pas autorisée par le pape saint Pie X?
Auparavant, une distinction s’impose: les papes non modernistes n’ont pas utilisé le terme d’unité de l’Église, comme si cette caractéristique lui manquait. Le pape donna son approbation en 1909 à des prières durant cette semaine «Pour la conversion des frères égarés». Son souci était le retour des hérétiques vers l’unité de l’Église. 
Ne trouvez-vous pas que cette division entre chrétiens donne un piètre exemple de ce qu’a voulu le Christ?
Ce furent les protestants qui envisagèrent cette réalité: en effet, à la différence de toutes les hérésies de l’histoire de l’Église, la leur a introduit le libre examen, la lecture de la Bible à la seule lumière de sa propre raison. Le résultat ne se fit pas attendre, et ce fut une constellation d’opinions les plus disparates. Autant de protestants, autant d’églises. D’où cette constatation de Bossuet dans son Histoire des variations des églises protestantes publié en 1688. 
Panique chez les protestants! 
Ils auraient dû se rendre compte que sans «autorité magistérielle», ils étaient voués à cette explosion. Mais plutôt que de se poser le problème de «la vérité», ils préférèrent «replâtrer». Dès 1857, reprenant une initiative antécédente, un catholique libéral et un pasteur, au Royaume-Uni, créent l’Association pour la Promotion de l’Unité de la Chrétienté. Elle comptera 6 000 membres. Dès 1864, le Saint-Siège demande aux catholiques de se retirer. Mais l’interdiction pour les catholiques se fera plus exigeante lors des rencontres de Chicago en 1886: déjà à cette époque, on tentait de remiser les différences dogmatiques pour s’entendre sur un socle commun de croyance. 
      
Vers 1910, l’œcuménisme prend sa tournure moderne d’une recherche de convergence entre les chrétiens de différentes confessions qui aboutira à la création du Conseil œcuménique des Églises en 1948. Protestants et sectes autoproclamées, ainsi que les orthodoxes s’y uniront. 
Le tournant de Vatican II
La papauté n’a jamais permis à l’Église catholique de pénétrer dans cette grande «foire de religions». Cependant, le concile Vatican II marque un véritable tournant en énonçant que «ces églises et Communautés séparées, bien que nous les croyions souffrir de déficiences, ne sont nullement dépourvues de signification et de valeur dans le mystère du Salut» (Unitatis redintegratio n°03). Autrement dit, Dieu daigne se servir des sectes protestantes en tant que telles pour sauver les âmes.
     
Jusqu’alors, on savait que l’erreur ne pouvait qu’entraver la démarche des gens sincères ; leur aboutissement ne peut pas être par l’erreur et les sectes, mais malgré elles. 
    
Aux antipodes, Jean-Paul II nous précise: «Il est extrêmement important de faire une présentation correcte et loyale des autres églises dont l’Esprit ne refuse pas de se servir comme des moyens de salut» [1]. 
     
On comprend comment furent initiées ces grandes réunions où la prière de chacun est considérée à égalité, comme à Assise — la première en ce lieu fut le 27 octobre 1986 — On y voit le pape lui-même, dans une église dépouillée du Saint Sacrement et des signes de vénération à la Vierge, et les représentants des autres religions s’assembler avec un rameau d’olivier à la main «pour prier». 
Mais n’est-ce pas une avancée de montrer au monde un visage de paix et d’unité ? 
Ce ne furent jamais les catholiques qui divisèrent la tunique du Christ. C’est la raison pour laquelle on parle des «sectes» qui se séparent. Le terme lui-même désigne le fait de se couper de l’unité. «
     
On comprend donc pourquoi le Siège Apostolique n’a jamais autorisé ses fidèles à prendre part aux congrès des non-catholiques: il n’est pas permis, en effet, de procurer la réunion des chrétiens autrement qu’en poussant au retour des dissidents à la seule véritable Église du Christ, puisqu’ils ont eu jadis le malheur de s’en séparer»[2]. 
     
L’Église n’a pas besoin des artifices des hommes pour être «Une» Lors de l’approche de sa mort, devant ses Apôtres, le Christ a prié longuement pour l’unité. «Rassemblez-les dans l’unité… afin que tous soient un comme vous, Père, vous êtes en moi et moi en vous.»[3] Il veut faire participer les chrétiens à une unité qu’Il vit déjà. «Mon Père et moi nous sommes un.» (Jean X, 30), c’est-à-dire une seule et même substance. N’est-ce pas ce que nous proclamons dans notre Credo en disant que le Fils est «consubstantiel au Père» ? 
     
Incarné, le Fils est encore «un» avec le Père. Il appelle les siens à pénétrer dans cette unité, dans cette vie trinitaire: c’est la grâce sanctifiante. Dieu appelle l’homme à vivre dans son unité. Cette profonde communication de Dieu à l’homme le transforme au point de le «consommer dans l’unité»[4]  ; elle se fait pour tous les élus, au point qu’il existe une communion des élus dans l’Église. Plus une chose est parfaite, plus elle a d’unité. L’unité d’un tas de sable n’est pas celle d’un être vivant ! L’Église possède donc un état de perfection dès son origine, dès son existence dans les desseins de la Providence éternelle. Dans son être, elle jouit de l’unité d’un être vivant, car elle est faite par cette «consommation dans l’unité». Une unité spirituelle et divine chez les êtres spirituels dépasse nécessairement en intensité une unité physique. 
     
L’Église n’a besoin que d'elle-même pour exister et demeure par conséquent indépendante de toute condition humaine et terrestre. C’est elle qui conduit l’homme à la perfection et non l’inverse. 
     
Notre Seigneur Jésus-Christ prie «afin qu’ils soient consommés dans l’unité»[5], d’une unité qui précède et dépasse ceux qu’elle transforme. 
     
La tendance moderne voudrait que l’Église ne soit transcendante que par l’œuvre de l’homme. Or l’Église nous précède, et c’est de son unité que nous recevons la perfection. L’œcuménisme est donc stérile: il fabrique la communion des hommes sur la négation de la transcendance de l’unique Église du Christ. Nous ne devenons «un» en Dieu que par l’union que nous communiquent la foi et la grâce. «Une seule foi, un seul baptême», dit clairement saint Paul ; car la foi en éclairant l’âme l’introduit dans le domaine où elle sera purifiée et vivifiée par la grâce. 
     
Même l’obéissance aux chefs visibles de l’Église ne peut faire fi de cette réalité. Cette vertu est de l’ordre moral, donc de l’agir humain: elle ne peut qu’être conditionnée par l’ordre ontologique de la grâce qui nous est communiquée. À ce titre, elle est garante de l’unité: le Souverain Pontife est au service de la vérité dont il est le dépositaire.
     
On s’aperçoit alors que la communion avec l’Église n’est pas à «géométrie variable», comme le vocabulaire moderne le laisse entendre avec ses «pleines communions». Les pontifes modernes ont créé un tiraillement entre l’appartenance à l’unité, et l’apparence d’une désobéissance. Face à ce paradoxe seulement, les réactions peuvent être classifiées par «degré de communion». À un faux problème s’oppose une fausse réponse. Jésus dit sans doute possible: «Vous ne croyez pas, parce que vous n’êtes pas de mes brebis. Mes brebis entendent ma voix: je les connais et elles me suivent». Il n’existe qu’un unique bercail. 
     
Pour conclure, laissons la parole à Saint Cyprien: «Dans l’Évangile, il y a une image du mystère de cette unité, du lien de cette entente qui doit être parfait: c’est le vêtement sans couture de notre Seigneur Jésus-Christ. Il n’est pas divisé ni déchiré… 
     
Ce vêtement, on le reçoit tout entier, on le possède sans qu’il soit abîmé ou coupé. Ce vêtement, (Jn 19, 23), c’est l’image de l’unité qui vient d’en haut, c’est-à-dire du ciel et du Père. Celui qui reçoit cette unité et la possède ne peut pas la déchirer, mais il l’obtient tout entière, une fois pour toutes, solidement. Celui qui déchire et divise l’Église ne peut pas posséder le vêtement du Christ» [6].
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1 Catechesi tradendae – 16 octobre 1979 – n° 32. 
2 Encyclique Mortalium Animos, 6 janvier 1928. 
3 Jean XV, 21. 
4 Jean XVII, 23. 
5 Jean XVII, 23.
6 Saint Cyprien, L’unité de l’Église