SOURCE - Eric Letty - Monde&Vie n°818 - 2 novembre 2009
Qui ne connaît l’histoire de Jonas, avalé par un énorme poisson qu’Hermann Melville tenait pour un cachalot ? Vous ne considérerez pourtant plus ce passage de la Bible de la même manière après avoir lu « Jonas ou le désir absent ».
Quel étrange animal que ce Jonas ! Non moins étrange, à dire vrai, que le Léviathan qui l’avala. Chacun connaît, ou croit connaître, ce chapitre quelque peu insolite de l’Ancien Testament, « l’un des livres les plus courts de la Bible », précise l’abbé de Tanoüarn dans le petit livre qu’il lui consacre : Dieu commande à son prophète d’aller prêcher à Ninive la grande et cruelle ville assyrienne, pour avertir ses habitants qu’il punira bientôt leurs crimes. Peu soucieux de s’acquitter de cette tâche, Jonas s’enfuit sur un bateau, mais une violente tempête se lève et les marins tirent au sort celui qui sera sacrifié pour apaiser les dieux. Désigné, Jonas est jeté à la mer et avalé par un monstre marin, un énorme poisson dans le ventre duquel il demeure trois jours et trois nuits avant d’être recraché à son point de départ. Force lui est d’obéir à Yahvé et de prendre le chemin de Ninive, à laquelle il annonce dans sa prédication sa ruine prochaine. Cependant les habitants de la ville païenne se repentent et Dieu leur fait miséricorde, au grand scandale de Jonas. Avouons-le, si elle n’était pas insérée dans la Bible, nous rangerions cette histoire avec les Contes de mille et une nuits.
Quel étrange animal que ce Jonas ! Non moins étrange, à dire vrai, que le Léviathan qui l’avala. Chacun connaît, ou croit connaître, ce chapitre quelque peu insolite de l’Ancien Testament, « l’un des livres les plus courts de la Bible », précise l’abbé de Tanoüarn dans le petit livre qu’il lui consacre : Dieu commande à son prophète d’aller prêcher à Ninive la grande et cruelle ville assyrienne, pour avertir ses habitants qu’il punira bientôt leurs crimes. Peu soucieux de s’acquitter de cette tâche, Jonas s’enfuit sur un bateau, mais une violente tempête se lève et les marins tirent au sort celui qui sera sacrifié pour apaiser les dieux. Désigné, Jonas est jeté à la mer et avalé par un monstre marin, un énorme poisson dans le ventre duquel il demeure trois jours et trois nuits avant d’être recraché à son point de départ. Force lui est d’obéir à Yahvé et de prendre le chemin de Ninive, à laquelle il annonce dans sa prédication sa ruine prochaine. Cependant les habitants de la ville païenne se repentent et Dieu leur fait miséricorde, au grand scandale de Jonas. Avouons-le, si elle n’était pas insérée dans la Bible, nous rangerions cette histoire avec les Contes de mille et une nuits.
Mais précisément, elle figure dans le Livre saint et l’abbé Guillaume de Tanoüarn nous fournit les clés de sa compréhension dans un petit ouvrage (112 pages) intitulé Jonas ou le désir absent. Et c’est en effet par une réflexion sur la vanité du désir humain, auquel il oppose avec saint Paul la charité, qu’il ouvre son livre, en philosophe.
Pourquoi Jonas ? Parce que les textes prophétiques de l’Ancien Testament, écrit l’abbé de Taoüarn, « ne se comprennent vraiment qu’en référence à tel ou tel mystère du Christ. » Concernant Jonas, le Christ Lui-même indique cette référence : « Comme Jonas resta dans le ventre du poisson trois jours et trois nuits, ainsi le Fils de l’Homme restera dans le sein de la terre trois jours et trois nuits », annonce-t-il dans l’Evangile selon saint Matthieu.
« Le ventre du poisson, le Christ l’indique clairement, c’est le ventre de la terre, écrit l’abbé de Tanoüarn. Jonas, jeté à la mer par les marins, affronte la mort et il descend aux enfers », où il supplie Dieu de l’entendre.
Sans désir, pas de rédemption
Curieux choix, pour annoncer le Christ, que celui de ce personnage à la tête dure et à la nuque raide, dont Guillaume de Tanoüarn trace un portrait assez peu sympathique. Jusqu’au bout, même sauvé par la grâce de Dieu, vomi du ventre du Schéol, c’est-à-dire des enfers, Jonas traîne les pieds pour accomplir sa mission. Il s’y résigne avec d’autant plus de mauvaise grâce que Ninive, la grande ville, est une cité païenne dont les habitants ne lui paraissent pas dignes d’être enseignés, encore moins sauvés. Et cependant, « Jonas préfigure le Christ et l’universalité de son message, en allant prêcher à Ninive, le terrible ennemi d’Israël que le prophète Nahum n’appelle que "le destructeur" » et qui, quant à elle, « préfigure le monde tout entier », la conversion de son roi et de ses habitants manifestant ce que sera plus tard la chrétienté.
L’abbé de Tanoüarn souligne l’originalité de cet universalisme au sein de l’Ancien Testament et en tire une leçon pour notre temps : « Il est possible pour tout homme de se sauver en dehors des frontières visibles de l’Eglise. Que faut-il faire ? Il faut faire pénitence. » En méditant sur l’aventure de Jonas, l’auteur ne se contente pas, en effet, de nous donner des clés de compréhension du texte, celles qu’il fournit ouvrent aussi des portes sur notre temps. « Et la prédication de Jonas est plus d’actualité que jamais, écrit-il : "Dans quarante jours, vous périrez tous". » L’appel à la pénitence lancé de mauvaise grâce aux Ninivites nous concerne aussi. « L’Apocalypse, c’est maintenant », avertit l’abbé de Tanoüarn : chaque génération la connaît, puisque chaque génération est vouée à mourir. Mais chaque génération éprouve aussi « que la volonté de Dieu est une volonté d’amour ». Sans rien gommer de l’exigence évangélique, ni de la nécessité de la pénitence, ni même de « la violence du péché » et de « la puissance de la révolte » dont Jonas lui-même, désenchanté et heurté dans ses convictions, apporte un exemple frappant, l’abbé de Tanoüarn écrit des lignes magnifiques sur la Miséricorde, « puissance nouvelle, disponible pour qui veut s’en saisir ».
Et le désir, alors ? C’est celui que l’homme prêtera à la grâce de Dieu. « Sans désir, pas de rédemption. Le désir absent ? Mais c’est l’enfer… », conclut Guillaume de Tanoüarn. Puissé-je vous avoir donné celui de lire ce petit livre rempli de fulgurances et aussi accessible qu’intelligent.
Eric Letty
Guillaume de Tanoüarn, Jonas ou le désir absent, Via Romana, 112 pages, 14 euros.
Pourquoi Jonas ? Parce que les textes prophétiques de l’Ancien Testament, écrit l’abbé de Taoüarn, « ne se comprennent vraiment qu’en référence à tel ou tel mystère du Christ. » Concernant Jonas, le Christ Lui-même indique cette référence : « Comme Jonas resta dans le ventre du poisson trois jours et trois nuits, ainsi le Fils de l’Homme restera dans le sein de la terre trois jours et trois nuits », annonce-t-il dans l’Evangile selon saint Matthieu.
« Le ventre du poisson, le Christ l’indique clairement, c’est le ventre de la terre, écrit l’abbé de Tanoüarn. Jonas, jeté à la mer par les marins, affronte la mort et il descend aux enfers », où il supplie Dieu de l’entendre.
Sans désir, pas de rédemption
Curieux choix, pour annoncer le Christ, que celui de ce personnage à la tête dure et à la nuque raide, dont Guillaume de Tanoüarn trace un portrait assez peu sympathique. Jusqu’au bout, même sauvé par la grâce de Dieu, vomi du ventre du Schéol, c’est-à-dire des enfers, Jonas traîne les pieds pour accomplir sa mission. Il s’y résigne avec d’autant plus de mauvaise grâce que Ninive, la grande ville, est une cité païenne dont les habitants ne lui paraissent pas dignes d’être enseignés, encore moins sauvés. Et cependant, « Jonas préfigure le Christ et l’universalité de son message, en allant prêcher à Ninive, le terrible ennemi d’Israël que le prophète Nahum n’appelle que "le destructeur" » et qui, quant à elle, « préfigure le monde tout entier », la conversion de son roi et de ses habitants manifestant ce que sera plus tard la chrétienté.
L’abbé de Tanoüarn souligne l’originalité de cet universalisme au sein de l’Ancien Testament et en tire une leçon pour notre temps : « Il est possible pour tout homme de se sauver en dehors des frontières visibles de l’Eglise. Que faut-il faire ? Il faut faire pénitence. » En méditant sur l’aventure de Jonas, l’auteur ne se contente pas, en effet, de nous donner des clés de compréhension du texte, celles qu’il fournit ouvrent aussi des portes sur notre temps. « Et la prédication de Jonas est plus d’actualité que jamais, écrit-il : "Dans quarante jours, vous périrez tous". » L’appel à la pénitence lancé de mauvaise grâce aux Ninivites nous concerne aussi. « L’Apocalypse, c’est maintenant », avertit l’abbé de Tanoüarn : chaque génération la connaît, puisque chaque génération est vouée à mourir. Mais chaque génération éprouve aussi « que la volonté de Dieu est une volonté d’amour ». Sans rien gommer de l’exigence évangélique, ni de la nécessité de la pénitence, ni même de « la violence du péché » et de « la puissance de la révolte » dont Jonas lui-même, désenchanté et heurté dans ses convictions, apporte un exemple frappant, l’abbé de Tanoüarn écrit des lignes magnifiques sur la Miséricorde, « puissance nouvelle, disponible pour qui veut s’en saisir ».
Et le désir, alors ? C’est celui que l’homme prêtera à la grâce de Dieu. « Sans désir, pas de rédemption. Le désir absent ? Mais c’est l’enfer… », conclut Guillaume de Tanoüarn. Puissé-je vous avoir donné celui de lire ce petit livre rempli de fulgurances et aussi accessible qu’intelligent.
Eric Letty
Guillaume de Tanoüarn, Jonas ou le désir absent, Via Romana, 112 pages, 14 euros.