Mgr Pozzo, Secrétaire de la Commission pontificale Ecclesia Dei a reçu les au Vatican. Il explique les intentions de Benoît XVI envers la messe traditionnelle et la Fraternité Saint Pie X.
Votre Eminence, quelle est la finalité du Motu Proprio Summorum Pontificum ?
Le Motu proprio Summorum Pontificum entend offrir à tous les fidèles catholiques la liturgie romaine dans l’usus antiquior, en la considérant comme un trésor précieux à conserver. Dans ce but, il entend garantir et assurer à tous ceux qui le demandent l’usage de la forme extraordinaire et ainsi, favoriser l’unité et la réconciliation dans l’Église.
Pourquoi ce succès de la messe de saint Pie V chez les jeunes catholiques ?
Je pense que le recueillement intérieur, le sens de la messe comme sacrifice est particulièrement valorisé par la forme extraordinaire. C’est ce qui explique en partie l’augmentation du nombre de fidèles qui la réclament.
La lettre du Pape accompagnant le Motu Proprio indique qu’il y avait une augmentation du nombre de fidèles demandant l’usage de la forme extraordinaire. Quelle en est la raison selon vous ?
La lettre d’accompagnement du Motu Proprio présente les raisons et les explications qui clarifient les finalités et le sens du Motu Proprio. Il est fondamental de souligner que les deux formes de l’unique rite romain s’enrichissent mutuellement et doivent donc être considérées comme complémentaires. Le rétablissement de l’usus antiquior du Missel romain avec son cadre normatif propre est dû à l’augmentation des demandes venues de fidèles qui souhaitaient pouvoir participer à la célébration de la Sainte Messe dans sa forme extraordinaire. Il s’agit en substance de respecter et de valoriser un intérêt particulier de certains fidèles pour la Tradition et pour la richesse du patrimoine liturgique mis en évidence par le rite romain antique. Il est intéressant que cette sensibilité soit présente aussi dans les jeunes générations, c’est-à-dire chez des personnes qui n’ont pas été formées autrefois à ce genre de liturgie.
On dit que les mouvements traditionnels suscitent plus de vocations qu’ailleurs. Est-ce vrai ? Si oui, pourquoi ?
Dans les Instituts qui dépendent de la Commission pontificale Ecclesia Dei et qui suivent les formes liturgiques et disciplinaires de la Tradition, il y a une augmentation de vocations sacerdotales et de vocations à la vie religieuse. Je crois pourtant qu’une reprise des vocations sacerdotales est aussi constatée dans les Séminaires. Surtout là où l’on offre une formation et une éducation au ministère sacerdotal et à une vie spirituelle sérieuse et rigoureuse, sans les réduire face à la sécularisation, laquelle a malheureusement pénétré dans la mentalité et dans les formes de vie chez certains clercs et dans certains séminaires eux-mêmes. Cela constitue selon moi la cause principale de la crise des vocations au sacerdoce, crise de qualité bien entendu, plutôt que de quantité. Présenter la figure du prêtre dans son identité profonde, comme ministre du Sacré, c’est-à-dire comme alter Christus, comme guide spirituel du peuple de Dieu, comme celui qui célèbre le sacrifice de la Sainte Messe et remet les péchés dans le sacrement de la confession, en agissant in persona Christi capitis, telle est la condition essentielle de mise en place d’une pastorale des vocations qui soit fructueuse et permette la reprise des vocations au sacerdoce ministériel.
Savez-vous si le Pape est satisfait de l’application du Motu Proprio ?
La Commission pontificale Ecclesia Dei tient le Saint-Père constamment informé sur l’évolution de l’application du Motu Proprio et sur la croissance de sa réception, malgré les difficultés d’application que nous constatons ici ou là.
Quelles sont concrètement les difficultés d’application que vous rencontrez ?
Il y a encore des résistances de la part de certains évêques et membres du clergé qui ne rendent pas assez accessible la messe tridentine.
L’Instruction Universae Ecclesiae semble plutôt favoriser encore davantage la célébration de la forme extraordinaire. Est-ce le cas ?
L’Instruction a pour but d’aider à appliquer de manière toujours plus efficace et correcte les directives du Motu Proprio. Elle offre certaines précisions normatives et certaines clarifications d’aspects importants pour la mise en œuvre pratique.
On a l’impression que c’est surtout en France que les réactions sont les plus épidermiques sur ce sujet. Quelle en est la raison selon vous ?
Il est peut-être trop tôt pour donner une évaluation suffisamment complète des réactions à l’Instruction, et cela ne vaut pas seulement pour la France. Mais il me semble qu’en pensant à la situation de l’Église en France, il faut tenir compte du fait qu’il existe une tendance à polariser et à radicaliser les jugements et les convictions en la matière. Cela ne favorise pas une bonne compréhension et une réception authentique du Document. Il faut de plus dépasser une vision principalement émotive et sentimentale. Il s’agit – et c’est un devoir – de récupérer le principe de l’unité de la Liturgie, qui justifie précisément l’existence de deux formes, toutes deux légitimes, qui ne doivent jamais être vues en opposition ou en alternative. La forme extraordinaire n’est pas un retour au passé, et ne doit pas être comprise comme une mise en cause de la réforme liturgique voulue par Vatican II. De même, la forme ordinaire n’est pas une rupture avec le passé, mais son développement au moins sur quelques aspects.
Sollicitude des Souverains Pontifes et Église universelle sont les titres respectifs du Motu Proprio et de son Instruction. Cela veut-il dire que le but est une réconciliation avec les « traditionalistes » ?
L’Instruction, comme je l’ai dit au début, entend favoriser l’unité et la réconciliation dans l’Église. Le terme « traditionaliste » est souvent une formule générique utilisée pour définir des choses très différentes. Si, par « traditionalistes », on entend les catholiques qui reproposent avec force l’intégrité du patrimoine doctrinal, liturgique et culturel de la foi et de la tradition catholique, il est clair qu’ils trouveront réconfort et soutien dans l’Instruction. Le terme « traditionaliste » peut aussi être compris différemment et désigner celui qui fait un usage idéologique de la Tradition, pour opposer l’Église avant le Concile Vatican II et l’Église de Vatican II, qui se serait éloignée de la Tradition. Cette opinion est une manière déformée de comprendre la fidélité à la Tradition, parce que le Concile Vatican II fait, lui aussi, partie de la Tradition. Les déviations doctrinales et les déformations liturgiques qui se sont produites après la fin du Concile Vatican II n’ont aucun fondement objectif dans les documents conciliaires compris dans l’ensemble de la doctrine catholique. Les phrases ou les expressions des textes conciliaires ne peuvent pas et ne doivent pas être isolées ou arrachées, pour ainsi dire, du contexte global de la doctrine catholique. Malheureusement, ces déviations doctrinales et ces abus dans l’application concrète de la réforme liturgique constituent le prétexte de ce « traditionalisme idéologique » qui fait refuser le Concile. Un tel prétexte s’appuie sur un préjugé sans fondement. Il est clair qu’aujourd’hui il n’est pas suffisant de répéter le donné conciliaire, mais qu’il faut en même temps réfuter et refuser les déviations et les interprétations erronées qui prétendent se fonder sur l’enseignement conciliaire. Cela vaut aussi pour la liturgie. C’est la difficulté avec laquelle nous sommes aujourd’hui aux prises.
« Les fidèles qui demandent la célébration de la forme extraordinaire ne doivent jamais venir en aide ou appartenir à des groupes qui nient la validité ou la légitimité de la Sainte Messe ou des sacrements célébrés selon la forme ordinaire, ou qui s’opposent au Pontife romain comme Pasteur suprême de l’Église universelle » (Instruction Universae Ecclesiae, § 19). Cette remarque vise-t-elle la Fraternité Saint Pie X ?
L’article de l’Instruction auquel vous vous référez concerne certains groupes de fidèles qui considèrent ou postulent une antithèse entre le Missel de 1962 et celui de Paul VI, et qui pensent que le rite promulgué par Paul VI pour la célébration du Sacrifice de la Sainte Messe est nuisible aux fidèles. Je veux préciser qu’il faut nettement distinguer le rite et le Missel comme tel, célébré selon les normes, et une certaine compréhension et application de la réforme liturgique caractérisée par l’ambiguïté, les déformations doctrinales, les abus et les banalisations, phénomènes malheureusement assez diffusés qui ont amené le Cardinal J. Ratzinger à parler sans hésiter dans l’une de ses publications d’« écroulement de la liturgie ». Il serait injuste et faux d’attribuer au Missel réformé la cause d’un tel écroulement. En même temps, il faut accueillir l’enseignement et la discipline que le Pape Benoît XVI nous a donnés dans sa Lettre apostolique Summorum Pontificum pour restaurer la forme extraordinaire du rite romain antique et suivre la manière exemplaire avec laquelle le Saint-Père célèbre la Sainte Messe dans la forme ordinaire à Saint-Pierre, dans ses visites pastorales et dans ses voyages apostoliques.
Aujourd’hui encore, vous pensez que l’enseignement du Concile n’est pas correctement appliqué ?
Dans l’ensemble, malheureusement oui. Il y a des situations complexes dans lesquelles on constate que l’enseignement du Concile n’est pas encore compris. On pratique encore une herméneutique de la discontinuité avec la Tradition.
Benoît XVI semble très attentif à la liturgie au cours de son pontificat. Est-ce exact ?
C’est tout à fait exact, mais la précision que je donnais concernait surtout les groupes qui pensent qu’il existe une opposition entre les deux missels.
La Fraternité Saint Pie X reconnaît-elle ce missel comme valide et licite ?
C’est à la Fraternité Saint Pie X qu’il faut le demander.
Le Saint-Père souhaite-t-il que la Fraternité Saint Pie X se réconcilie avec Rome ?
Certainement. La lettre de levée des excommunications des quatre Évêques consacrés illégitimement par Monseigneur Lefebvre est l’expression du désir du Saint-Père de favoriser la réconciliation de la Fraternité Saint Pie X avec le Saint-Siège.
Le contenu des discussions qui ont lieu entre Rome et la Fraternité Saint Pie X est secret, mais sur quels points portent-elles et de quelle manière se déroulent-elles ?
Le nœud essentiel est de caractère doctrinal. Pour parvenir à une vraie réconciliation, il faut dépasser certains problèmes doctrinaux qui sont à la base de la fracture actuelle. Dans les colloques en cours, il y a confrontation d’arguments entre les experts choisis par la Fraternité Saint Pie X et les experts choisis par la Congrégation pour la Doctrine de la Foi. A la fin, on rédige des synthèses conclusives qui résument les positions exprimées par les deux parties. Les thèmes discutés sont connus : le primat et la collégialité épiscopale ; le rapport entre l’Église catholique et les confessions chrétiennes non catholiques ; la liberté religieuse ; le Missel de Paul VI. Au terme des colloques, on soumettra les résultats des discussions aux instances autorisées respectives pour une évaluation d’ensemble.
Il ne semble pas concevable qu’il puisse y avoir une remise en cause du Concile Vatican II. Alors sur quoi peuvent porter ces discussions ? Sur une meilleure compréhension de celui-ci ?
Il s’agit de la clarification de points venant préciser la signification exacte de l’enseignement du Concile. C’est ce que le Saint-Père a commencé à faire le 22 décembre 2005 en comprenant le Concile dans une herméneutique du renouvellement dans la continuité. Toutefois, il y a certaines objections de la Fraternité saint Pie X qui ont du sens, car il y a eu une interprétation de rupture. L’objectif est de montrer qu’il faut interpréter le Concile dans la continuité de la Tradition de l’Église.
Le Cardinal Ratzinger était chargé de ces discussions il y a près de 20 ans. Suit-il toujours l’évolution de celles-ci maintenant qu’il est Pape ?
Il y a d’abord le rôle du secrétaire qui est d’organiser et de veiller au bon déroulement des discussions. L’évaluation de celles-ci reviennent au Saint-Père qui suit les discussions, avec le Cardinal Levada, en est informé, et donne son avis. Il en va de même d’ailleurs sur tous les points que peut traiter la Congrégation.