2 août 2011

[niobium.fr] Emménagement

SOURCE - niobium.fr - 2 août 2011
L’abbé Laguérie cherche depuis quelques mois déjà un nouveau lieu d’implantation pour l’Institut du Bon Pasteur. Après avoir essuyé un échec dans le Diocèse de Cahors suite au refus de Mgr Turini et du Conseil Presbytéral de vendre l’immeuble de la Visitation à Saint Céré il semble qu’il ait trouvé un nouveau lieu pour poser une première pierre pour un futur site. L’avenir nous dira bientôt s’il s’agit bien de la future maison générale qu’il évoque dans une interview en date du 30 juillet 2011 sur le blog Disputationes Theologicae [1]

Mais d’abord un petit rappel pour ceux qui ne suivent pas l’actualité de l'Intégrisme et du Traditionalisme Catholique en France.

L’abbé Laguérie est une des figures médiatiques du Traditionalisme Français. Issu de la Fraternité Sacerdotale Saint Pie X de Mgr Marcel Lefebvre il fut le curé du Saint Nicolas du Chardonnet de 1984 à 1997, haut lieu de la contestation médiatique du Concile Vatican II.

On le retrouve à partir de 2002 à Bordeaux où la Mairie, malgré l’opposition de la justice et du Diocèse, l’autorise à utiliser l’Eglise Saint-Eloi. En 2007, une convention pour une durée de 5 ans entre le Diocèse de Bordeaux et l’Institut régularisera cette situation. Convention qui va donc prendre fin en février 2012.

Exclu de la FSSPX en 2004, il obtient de la part du Vatican un nouveau statut canonique qui lui permet de conserver une totale autonomie, la liturgie ante-conciliaire et en même temps une pleine reconnaissance de la part des Diocèses. Ovni juridique du monde canonique mais belle réussite diplomatique.

Enorme camouflet pour les Evêques de France qui n’étaient pas favorables à cette procédure et symbole cruel car à l’époque le Cardinal Ricard est le Président de la Conférence des Evêques, membre de la Commission Ecclesia Dei qui avait la charge du dossier intégriste et c'est dans son diocèse que le Bon Pasteur s'installe.

A l’époque, loin, très loin du catholiquement correct, le journal La Vie titrait « Pourquoi cet homme doit rester dehors » avec une photo pleine page de l’abbé Laguérie.

4 ans plus tard, Jean-Pierre Denis [2] résume parfaitement l’origine du malaise :
D’une manière plus souterraine qu’affichée, un certain traditionalisme reste prisonnier de ses racines et de son mauvais génie maurrassien. Cela ne signifie nullement que tous les membres de cette mouvance soient d’extrême droite, racistes ou antisémites. Mais cela prouve que le ménage n’a pas été fait, parce qu’on ne l’a pas demandé. Même au nom de la charité, même au nom de l’unité, il eût été plus sain de manifester de claires exigences avant de réintégrer en bloc les amis de l’abbé Laguérie.

( …) Certes, l’attachement aux formes anciennes de la liturgie est respectable, tout comme le désir de sauver un patrimoine culturel et cultuel menacé. Certes, il peut permettre une évangélisation : on pense ici aux personnes qui se sont converties grâce à la messe dite "extraordinaire". Mais pour ces catholiques sincères, le moment n’est-il pas venu de prendre clairement leurs distances ?

Faire le ménage, Jean-Pierre Denis, La Vie, octobre 2010
Ce « sentiment » se confirme en 2010 avec l’émission de France 2 « Les Infiltrés » sur un groupe d’extrême-droite Bordelais et l’école Saint Projet. Si l’abbé Laguérie conteste toute connivence avec le groupe politique, l’amalgame va se faire naturellement entre l’Institut du Bon Pasteur et l’idéologie xénophobe et raciste présente tout au long du reportage.

Nouvelle mise en lumière dont se serait bien passé cette fois le Bon Pasteur. Communiqué très ferme de l’Archevêque de Bordeaux, malaise des catholiques bordelais, nombreuses réactions du monde politique. Mais il faut aller au-delà du débat sur les connivences possibles entre une partie de l’extrême-droite et des groupes appartenant au traditionalisme catholique car l’enjeu n’est pas là.

Ce qui est nouveau, c’est que 4 ans après leur installation sur Bordeaux, nous sommes devant un échec de l’intégration :
Nous sommes persuadés que le véritable enjeu ne se réduit pas à la messe en latin ou en français ni à la forme du rite. Nul ne peut ignorer les complicités politiques d'extrême droite de certaines personnes des courants traditionalistes. Celui qui utilise le nom de Dieu comme arme pour justifier ses propres idées tourne le dos à l'Evangile.

Nous partageons la préoccupation du pape de tendre la main à ceux qui ont quitté l'Eglise et de chercher des chemins de réconciliation et d'unité « dans la charité et la vérité ». Bien des initiatives ont eu lieu dans ce sens, qui offrent à nos frères traditionalistes des signes de bienveillance, sans vraie contrepartie de leur part. Car les seuls échos qui nous reviennent manifestent la prétention de personnes sûres d'incarner la seule vraie tradition de l'Eglise.

Communiqué du conseil presbytéral du diocèse de Bordeaux, 5 mai 2010
Car Saint Eloi fut aussi un test grandeur nature de la volonté réelle des anciens disciples de Mgr Lefbvre de vivre en pleine communion. Pas juste « à côté » mais « avec ».

Ce qui explique sans doute le fait que l’abbé Philippe Laguérie était en recherche d’un nouveau point de chute.

Qu’il vient de trouver sur le Diocèse de Poitiers. Serait-ce la douceur de vivre du climat poitevin qui l’intéresse ? Sans dénigrer l’attrait de la capitale de la Vienne cela semble peu probable. La piste la plus certaine reste l’installation prochaine de la Maison Générale qu’il vient très récemment d’évoquer dans une interview.

A égale distance de Bordeaux et Paris, le Diocèse de Poitiers est surtout dans l’attente d’un nouvel Evêque suite au départ en retraite de Mgr Rouet. Or un administrateur apostolique n’a pas le même « poids » qu’un Archevêque ou qu'un administrateur diocésain : en effet, sur le papier, l’Institut du Bon Pasteur a besoin de l’autorisation de l’Evêque avant toute installation. [3]

Même s’il n’est pas vraiment dans les habitudes de l’abbé Laguérie de demander l’autorisation pour s’installer, l’absence d’Evêque facilite grandement un emménagement discret.

Pourtant dans un portrait de Libération il estimait que la politique du fait accompli faisait partie du passé :
Peut-être que je suis passé un peu en force. Quand je me trouve face à un obstacle, je ne fais pas demi-tour. Aujourd'hui, cette époque est révolue, cette page est tournée. Le pape et la curie regardent avec beaucoup de bienveillance ce que nous faisons.

Vade retro soutanas, Catherine COROLLER, Libération Mercredi 11 octobre 2006
Néanmoins je serais bien curieux de voir la moindre bienveillance dans l’œil du pape autour d’une discussion avec des membres de l’Institut du Bon Pasteur sur la prochaine rencontre interreligieuse d’Assise par exemple. Mais c'est encore un autre débat.

Au-delà des tensions qui risquent de se créer avec le Diocèse, comme ce fut le cas à Bordeaux, cette installation va également compliquer un peu plus le travail du Nonce Apostolique, Mgr Luigi Ventura. Celui-ci a en effet la responsabilité de « trouver » un nouvel Evêque pour le diocèse de Poitiers.

Certes, nul n’est irremplaçable, mais il ne sera pas facile de trouver un successeur à Mgr Rouet, homme dont l’envergure spirituelle et intellectuelle a marquée bien au-delà des frontières diocésaines. Il faudra également trouver un Evêque qui soit compatible avec la pastorale mise en place depuis Mgr Rozier et réaffirmer depuis par plusieurs synodes diocésains.

Ce à quoi il faut maintenant rajouter la difficulté de la gestion de l’Institut du Bon Pasteur même si officiellement il n’y a pour l’instant aucun projet concret sur le diocèse de Poitiers. Officiellement. Car Le Bon pasteur est à l’exact opposé ecclésiologique du modèle pastoral du Diocèse de Poitiers qui lui s’inscrit dans la continuité de Vatican II et de la lettre aux Catholiques de France de 97.

Je pense que les dernières déclarations de Mgr Rouet risquent d’entraîner un sérieux recadrage de la part de Rome. J’ai déjà eu l’occasion de le dire. Après, est-ce que le Pape est prêt à prendre le risque d’un profil conservateur pour favoriser l’expansion de l’Institut du Bon Pasteur ? On sait que la question de la réconciliation avec les intégristes lui tient personnellement à cœur. Au risque d’ignorer les mises en garde des Evêques et Cardinaux français sur la réalité des tensions existantes ?

Une autre hypothèse existe : que l'abbé Laguérie est déjà eu le feu vert de Rome pour une installation poitevine. Impossible de savoir aujourd'hui, mais il ne sera pas nécessaire d'attendre longtemps pour en avoir la confirmation.

Car maintenant que l’Institut du Bon Pasteur a un pied dans le diocèse de Poitiers, la nomination du futur archevêque va aussi avoir valeur de validation ou non de la politique expansionniste de l’abbé Laguérie. Et donc de sa théologie et de ses méthodes.

Une dernière possibilité reste la nomination d’un Evêque suffisamment habile pour marier la carpe et le lapin.

S’il y a un évêque équilibriste dans la salle, qu’il lève la main !

Notes
[1] Extrait de l'interview "Au plan concret, les projets en cours exigent, de soi, la plus grande discrétion. En attendant de pouvoir vous en dire plus, Je puis seulement vous annoncer l’installation prochaine d’une maison générale formée."
[2] Directeur de la rédaction du journal la Vie
[3] Extrait du Cyber-curé : Les prêtres de l'Institut ont affirmé, dans une conférence de presse, qu'ils entendaient ouvrir des paroisses partout en France et ailleurs. Ils ont précisé qu' il ne s'agit pas d'arriver quelque part et de prévenir l'évêque après. Le droit canon rend obligatoire une concertation entre un institut et l'évêque local.