2 août 2011

[Paix Liturgique] Un point de vue anglais sur l'introduction de la forme extraordinaire dans les séminaires et la question fondamentale de l'apprentissage du latin

SOURCE - Paix Liturgique n°294 - 2 août 2011

Nous vous proposons cette semaine l'essentiel d'un article publié le 25 mars 2011 par Damian Thompson, le chroniqueur religieux du Daily Telegraph. Dans ce texte, paru avant la publication de l'instruction Universæ Ecclesiæ, Damian Thompson réagissait à l'inquiétude manifestée par deux des plus fameuses plumes de la presse progressiste anglophone (Robert Mickens du Tablet britannique et John Allen du National Catholic Reporter américain) que l'Instruction puisse rendre obligatoire l'apprentissage de la forme extraordinaire dans les séminaires.

Certes, nous savons qu'il n'en a pas été ainsi et que l'Instruction n'a finalement comporté qu'une injonction au retour du latin dans les programmes de formation des séminaires, ce qui constitue néanmoins un premier pas vers la constitution d'un clergé ouvert au trésor que représente la liturgie traditionnelle. L'article de Damian Thompson demeure cependant particulièrement intéressant car il fait une analyse très semblable à celle souvent exprimée sous diverses formes par Paix Liturgique : compte tenu de la mentalité toujours plus traditionnelle d'une bonne part des séminaristes diocésains, le barrage idéologique progressiste s'effrite et l'accès des séminaristes à l'étude du latin est une ouverture essentielle vers l'apprentissage serein et la célébration universelle de la forme extraordinaire.

I – L'ARTICLE DU TELEGRAPH
(source) (...) En revanche, la proposition d'enseigner à tous les séminaristes de célébrer la messe tridentine est une affaire sérieuse. À bien des égards elle est aussi radicale que Summorum Pontificum lui-même.

Selon John Allen, les évêques du monde entier “ne se sont pas exactement pliés en quatre” pour rendre la messe traditionnelle largement disponible depuis 2007. Cela sonne juste. En Angleterre et au Pays de Galles, la plupart des diocèses ne posent pas d'obstacles flagrants à l'application du Motu Proprio... parce qu'ils n'en ont pas besoin ! Sur le papier, la mise en œuvre du Motu Proprio est indépendante du pouvoir de l'évêque : le prêtre n'a pas besoin de permission pour célébrer la forme extraordinaire. Dans la pratique, il est facile de transformer le document en lettre morte : la plupart des curés appartiennent à la génération Vatican II, insensible aux rubriques traditionnelles, et la majorité des laïcs n'a jamais approché la messe tridentine et ne sait pas ce qu'elle perd.

Je ne pense pas que la forme ancienne du rite romain pourra jamais supplanter la liturgie en langue vernaculaire. Mais nous n'aurons idée du vrai niveau de la demande que lorsqu'il y aura des prêtres heureux de la célébrer, l'offrant peut-être tôt le matin – comme le font les Anglicans offrant la Sainte Communion selon le BCP (Book of Common Prayer / Livre de Prières Publiques) – ou en en faisant le temps fort de certaines solennités. La plupart des jeunes catholiques pratiquants que je connais sont d'accord avec le Pape pour dire que les formes ordinaire et extraordinaire du rite romain doivent se compléter l'une et l'autre, mais ils ont généralement la chance d'habiter à Londres ou dans les environs où la messe traditionnelle est particulièrement accessible.

Le cauchemar pour les adversaires irréductibles de la forme extraordinaire est la formation, dans chaque diocèse, d'une génération de prêtres sachant utiliser le Missel de 1962 et parfaitement heureux de le faire.

Ce n'est qu'une supposition, mais je crois que la moitié de nos séminaristes actuels aimerait apprendre à dire la messe ancienne : une proportion inimaginable il ya 30 ans, lorsque le clergé d'aujourd'hui se formait à la prêtrise. Toutefois, ces étudiants sont assez intelligents pour se taire. Les séminaires sont gérés par la conférence épiscopale : jusqu'à récemment, les recteurs n'avaient aucune difficulté pour choisir des étudiants libéraux, copains mais soumis, prêts à finir Monseigneurs le lendemain. Aujourd'hui, l'approvisionnement en séminaristes libéraux est à sec et les recteurs font face à la tâche plus ardue de devoir distinguer les conservateurs modérés des traditionalistes “in petto”.

La dernière chose que veulent les recteurs, vraiment la dernière chose !, est que chaque séminariste soit formé à célébrer la “messe de toujours”. Non seulement cela rendrait plus difficile l'élimination des tradis indésirables, mais cela finirait aussi par introduire l'ancienne liturgie dans les paroisses encore épargnées par Summorum Pontificum. Ce serait une catastrophe du point de vue de la conférence épiscopale. La promotion de la forme extraordinaire, même comme remplacement occasionnel dans les églises locales permettrait d'accélérer un changement de culture vers le catholicisme traditionnel que la hiérarchie a déjà du mal à contrôler.

Les conséquences d'une instruction faite aux séminaires d'enseigner aux élèves la forme extraordinaire – et assez de latin pour savoir ce qu'ils disent – seraient considérables. Pour cette raison, je m'attends à un très gros effort pour contourner une telle obligation. Nous ne pouvons pas être certains que les sources de Mickens et d'Allen quant au contenu du document soient justes, bien sûr, mais nous pouvons être certains que les évêques et les recteurs de séminaires ont entendu les mêmes rumeurs et travaillent sur un plan d'urgence. Si l'instruction tente de forcer l'entrée de l'ancien missel dans les séminaires, alors les canonistes libéraux se pencheront sur elle à la minute même de son apparition, à la recherche de quelque faille. Et s'il n'y en a pas, alors on peut s'attendre à beaucoup de manœuvres dilatoires et d'excuses mentionnant le manque de personnel, de ressources, de temps, etc.

Et tout cela alors que le nouveau Missel en anglais entre en jeu. Nous vivons vraiment une époque intéressante.
II – LES RÉFLEXIONS DE PAIX LITURGIQUE

a) Le débat liturgique est ouvert : ces lignes de Damian Thompson montrent que, France mise à part, il existe dans le monde un véritable débat portant sur la question liturgique. Un débat qui dépasse largement les sphères traditionalistes estampillées puisque le Telegraph n'est rien de moins que le premier quotidien britannique classique (non-tabloïd). Cet article manifeste ainsi que la liturgie traditionnelle de l’Église est bien un sujet pour l’Église universelle et que les différents points de vue y ont autant pignon sur rue les uns que les autres.

b) La loi du silence française : dans le même temps, en France, des centaines de demandes de célébrations de messe traditionnelles sont ignorées. Huit sondages nationaux ou diocésains réalisés par des organismes professionnels révèlent qu’un tiers au moins des pratiquants assisteraient à la forme extraordinaire du rite romain si le Motu Proprio était appliqué dans leurs paroisses et pourtant « on » ignore ces sondages dont « on » ne parle pas. Aucun quotidien français (et surtout pas de la presse dite catholique) n'évoque librement la question liturgique et ne permet une saine disputatio. Seule la ligne officielle peut s’exprimer : « il n’y a pas de demande », « cette messe n’intéresse pas les jeunes », « la – faible – demande est déjà largement satisfaite », « la majorité des fidèles ne veut pas de cette messe », etc. Quant aux sondages, ils n’existent pas. Nous vivons vraiment une époque intéressante : le travail de l’historien qui, dans quelques décennies, se penchera sur l’attitude des évêques qui savaient mais n’ont rien fait, sera particulièrement savoureux…

c) La question cardinale de l’étude du latin : c’est le cœur de l’analyse de Damian Thompson qui répond aux adversaires de l’apprentissage de la forme extraordinaire et de la réintroduction de l’étude du latin dans les séminaires (qui devrait pourtant être une évidence !). Pour lui, il ne fait aucun doute qu’en Angleterre – comme en France, comme au Portugal, comme en Italie... – une part importante des séminaristes désirent assister aussi à la forme extraordinaire et célébrer plus tard aussi la forme extraordinaire. Le seul obstacle – pas infranchissable, mais gênant – est leur manque de familiarité avec le latin. Tous ceux qui connaissent la situation du futur clergé en France le confirmeront : la formation au latin des séminaristes est première car, dès lors qu’ils savent pratiquer aisément le latin, ils deviennent des acteurs en puissance de la forme extraordinaire.

Les adversaires du retour du latin dans les séminaires – qui sont souvent ceux qui l'en ont chassé – sont bien conscients des conséquences qu'une telle décision pourrait avoir sur les choix liturgiques des futurs prêtres. Comme le dit Damian Thompson : « Le cauchemar pour les adversaires irréductibles de la forme extraordinaire, est la formation, dans chaque diocèse, d'une génération de prêtres sachant utiliser le Missel de 1962 et parfaitement heureux de le faire ». Comme on le sait, finalement, l'instruction n'a pas imposé l'apprentissage de la forme extraordinaire dans les séminaires, se limitant à inciter au retour du latin. Il n’y a en fait pas de regrets à avoir tant on sait que les textes seuls ne suffisent pas. Il suffit pour s’en convaincre de voir le peu de cas que la plupart des évêques ont fait des dizaines de textes rappelant les normes liturgiques depuis plusieurs années…

Certaines expériences ont néanmoins vu le jour : séminaire du diocèse de Saint Louis aux États-Unis, grand séminaire de Cracovie, séminaire de Mundelein (le plus important de l’archidiocèse de Chicago), début d’expérience en France avec la maison Sainte Blandine de Lyon (qui pourrait recevoir six propédeutiques en septembre) et Bayonne qui devrait suivre en septembre… Cette liste n’est pas exhaustive et illustre les mutations profondes qui s’opèrent dans le clergé de demain.

Les arguments traités par Damian Thompson sont pertinents. Ils confirment que, d'un côté comme de l'autre de la Manche et dans de nombreux endroits du globe, le renouveau sacerdotal est en marche. Oui, comme Paix Liturgique le souligne régulièrement à l'occasion de la publication des statistiques des séminaires ou des ordinations, les nouveaux prêtres sont toujours plus nombreux à être ouverts à la “réforme de la réforme” engagée par Benoît XVI, à vouloir assumer pleinement leur identité sacerdotale et à vivre en communion avec Rome.

d) Le blocage hiérarchique : leproblème, à Londres comme à Paris, c'est que la plus grande partie de la hiérarchie ecclésiastique – évêques et recteurs de séminaires en l'occurrence, selon Damian Thompson – fait obstacle à ce renouveau. Or il existe encore des vocations de type traditionnel qui ne trouvent pas de lieu où s’intégrer. Les communautés Ecclesia Dei et la FSSPX, surtout dans la forme officielle qu’elle devrait bientôt prendre, rendent et continueront de rendre un service considérable, mais elles ne drainent pas toutes les vocations existantes. L’écrasante majorité de ceux qui sont aujourd'hui aux commandes de nos diocèses et de nos séminaires le savent pertinemment, mais une partie d’entre eux préfèrent les voir mourir plutôt que de prendre des mesures qui leur sembleraient être une reconnaissance d’erreur, et un aveu que la poursuite d’une « pastorale » qui n'est en réalité qu'une impasse conduit au suicide.

Mais c’est une réaction « conservatrice » désespérée tout à fait classique. Elle ne durera qu’un temps. Le réalisme, qui est aussi sens de l’Église, ne peut que l’emporter. Les séminaires continuent à se vider. Et les nouvelles générations de prêtres et de séminaires "identitaires" qui arrivent ne peuvent que prendre rapidement le relai pour redonner à l'Église et notamment à l'Eglise de France la vitalité dont elle a tant besoin. Tout cela n'est certes qu'une question de temps... mais le plus tôt sera le mieux.