7 août 2011

[Sud Ouest] Faux évêques, vrais escrocs au Fréchou

SOURCE - Sud Ouest - Michel Laffargue - 7 août 2011

Roger Kozik et Michel Fernandez créèrent une communauté qui fit trembler l'Église. Et furent condamnés au terme d'un feuilleton judiciaire

Premier mai 1979, à l'orée d'un petit bois d'Andiran, commune rurale de l'Albret. Quelques voitures immatriculées dans l'Hérault, la Loire-Atlantique, la Haute-Garonne, la Vendée sont stationnées en bordure de la route. La période n'est pas à la cueillette des champignons. La quête est d'un tout autre ordre.

Au milieu des arbres, en ce jour de pluie, une soixantaine de personnes sont réunies sous une bâche de plastique. Elles font face à un autel installé près d'une grande statue de la Vierge. Deux prêtres inconnus célèbrent une messe, assistés d'enfants de chœur. Un peu à l'écart, on croit reconnaître un curé de la région qui marmonne entre ses dents, pendant le sermon, « Et le pape alors ! » L'officiant fait les gros yeux : « C'est un lieu privé ici. »

La Vierge au bois

Pourtant, il n'existe aucun panneau d'interdiction, un seul impose « Silence ! » D'autres délivrent les messages de la Vierge, « Je viens avertir mon peuple, s'il ne se convertit pas, il y aura de nombreuses catastrophes… Priez beaucoup afin que les Français redeviennent de bons patriotes… »

L'assistance est composée de personnes âgées, de religieuses, d'une fillette en foulard blanc, qui chantent des cantiques en latin.

Par ce temps couvert ils ne verront pas la Vierge, qui « guérit diabétiques et aveugles », apparaître entre deux branches dans un rai de soleil. Mais ils versent des dons dans des urnes et reviendront bientôt dans le bois Notre-Dame pour communier avec les pères Jean-Marie et Emmanuel-Marie. Les deux « ecclésiastiques », Roger Kozik et Michel Fernandez, ont quelques années auparavant posé leurs valises dans une masure d'Andiran. Sans ressources, « ils attendaient de traire les chèvres le matin pour déjeuner », disent les gens du pays.

Les deux anachorètes sortent dès lors leurs habits sacerdotaux de leurs sacs de voyage et se revendiquent de l'association Salve Regina, dont l'objet était de « glorifier Dieu en faisant connaître et aimer la Très Sainte Marie ». Ils s'installent au village voisin du Fréchou, où existe depuis 1848 une école libre dont la directrice avait vu la Vierge au bois. Ils achètent des maisons, font venir des amis.

Ainsi naît la communauté religieuse de la Fraternité des serveurs et servantes de Notre-Dame du Fréchou. Les apparitions de la Vierge se multiplient, les processions attirent de plus en plus de pèlerins tous les 14 du mois. Et la renommée de ceux qui se prévalent du titre d'évêque et qui ordonnent des prêtres grandit.

Ainsi débute l'histoire, plus tard qualifiée de « Faux évêques du Fréchou ». Elle va mettre en émoi le diocèse d'Agen, qui en a appelé au Vatican, et donner lieu à de multiples procès devant les tribunaux.

En octobre 1983, l'évêque d'Agen, par une circulaire « Que penser des apparitions du Fréchou ? » dénie la qualité d'évêques aux pères Jean-Marie et Emmanuel-Marie. Il écrit que leur ordination de prêtres en 1974 et 1976 par une vieille église de Toulouse puis leur consécration d'évêques à Palmar de Troya en Espagne par Mgr Ngo Dinh Thuc, ancien évêque de Hué excommunié, ne sont pas reconnues. Roger Kozik et Michel Fernandez seront excommuniés à leur tour par Rome.

Un marathon judiciaire

Le feu aux poudres est mis le 28 juillet 1986 par un ancien adepte de la communauté. Yves Seigneur dépose en effet une plainte contre les responsables pour escroquerie. Une information judiciaire est ouverte dix-huit mois plus tard. L'enquête révèle que le capital de la communauté Notre-Dame, à travers des sociétés civiles et immobilières, sous formes d'indivisions entre Roger Kozik et Michel Fernandez, est estimé à près de 5 millions de francs en 1988.

En février de cette année-là, les deux « évêques » et deux « prêtres », Laurent Deneux et Gilbert Schmitt qu'ils avaient ordonnés, sont inculpés d'escroquerie, placés sous contrôle judiciaire et interdits de séjour dans le département. La communauté s'attache les services de Me Jacques Larché, avocat du barreau de Paris, président de la commission des lois au Sénat. Des commerçants et artisans de l'Albret signent une pétition de soutien aux inculpés.

Leurs vœux sont exaucés. La chambre d'accusation de la cour d'appel d'Agen lève l'interdiction de séjour. Dans la foulée, estimant que les délits reprochés sont prescrits, le procureur de la République introduit un appel contre l'ordonnance du juge d'instruction. Cette procédure est rarissime, mais l'avocat de la partie civile ne désarme pas.

Après huit renvois, l'affaire est jugée à l'audience du tribunal correctionnel d'Agen les 29 et 30 mai 1990. Les quatre « religieux » sont prévenus pour usage de fausse qualité et escroquerie.

Les échanges sont rudes. Yves Seigneur explique que l'apparition de la Vierge était provoquée par un rayon laser. Les prévenus rétorquent qu'il s'acharne sur eux parce qu'ils avaient refusé d'inciter les fidèles à voter en faveur de Le Pen. Un représentant de l'église officielle indique que Roger Kozik avait été renvoyé en 1970 du séminaire « pour inaptitude au sacerdoce » en assurant que la communauté Notre-Dame présentait toutes les caractéristiques d'une secte. Le jugement est mis en délibéré.

Clos en 1992

Un mois plus tard, considérant que l'usage du titre d'évêque « ne constitue pas une infraction en soi puisqu'il ne s'agit pas de titres réglementés » et que les éléments de l'escroquerie pour fausses qualités ne sont pas réunis », le tribunal prononce la relaxe. La partie civile, déboutée et condamnée à dépens, fait appel. Le 10 mai 1991, la cour d'appel d'Agen, pour abus de confiance - une requalification du premier chef d'inculpation d'escroquerie et d'usage de faux -, condamne Kozik et Fernandez à huit mois de prison avec sursis avec mise à l'épreuve pendant trois ans. Cette peine est assortie d'une déchéance des droits civiques pendant cinq ans. Leurs coreligionnaires sont condamnés à quatre mois de prison avec sursis. En février 1992, la chambre criminelle de la Cour de cassation confirme l'arrêt de la cour d'appel d'Agen. Le dossier, aussi épais que les diverses traductions des Saintes Écritures, était clos.

20 juillet 2011. Une camionnette immatriculée en Vendée est garée devant le bois. Désormais clôturé d'un grillage, il accueille toujours la statue de la Vierge. Une chose a changé. « La cueillette des champignons est interdite. »

Que sont-ils devenus ?

Aujourd'hui, quelques fidèles continuent à entretenir la flamme avec des bougies et des bouquets de fleurs au pied des statues que le bois abrite. Des cérémonies s'y déroulent encore. Mais la communauté religieuse est localement très largement discréditée, vivant repliée sur elle-même.

En revanche, elle s'attache, à l'extérieur, à diffuser une image trompeuse d'elle-même.

Plusieurs de ces religieux et religieuses ont fondé des missions à Paris, New York et à la Martinique en 1990, au Cameroun en 1992, à Haïti en 1993, en Mongolie en 1995, au Niger en 1996, et à Chicago en 1998, où « Mgr » Jean-Marie (Roger Kozik) installe la « Maison mère de l'Ordre ».

L'activisme de la congrégation (distributions de repas, créations de dispensaires, d'écoles…) a permis à la Fraternité Notre-Dame de se faire reconnaître à l'ONU comme ONG, et de participer, à ce titre, à des conférences internationales ! De son côté, « Mgr » Jean-Marie Roger Kozik, le fondateur de l'ordre, reçoit toujours, le 14 de chaque mois, des messages de la Vierge.