15 décembre 2007

[ceremoniaire.net] Un événement liturgique - ou le sens d’un Motu proprio

SOURCE - recension du livre de Marc Aillet sur ceremoniaire.net - Décembre 2007

Un événement liturgique ou le sens d’un Motu proprio - Marc Aillet
Éditions Tempora, novembre 2007
ISBN 9-782916-053202 - 137 pages - 13,90 €

Le père Marc Aillet, membre de la Communauté Saint-Martin, est vicaire général de Mgr Dominique Rey au diocèse de Fréjus-Toulon. Le filial attachement de ce diocèse et de son évêque à la personne du Vicaire du Christ étant connu de tous, on ne s’étonne pas que le vicaire général nous gratifie d’une analyse des raisons du Motu proprio Summorum Pontificum, dans un petit livre dont le but est de mettre en lumière la continuité dans laquelle s’inscrit ce document pontifical. Dans la préface qu’il accorde à cet ouvrage, Mgr Rey explique que le Motu proprio ne se réduit pas à une pure séduction vis-à-vis de la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X, mais s’inscrit au contraire dans une volonté, affichée depuis toujours par Joseph Ratzinger, de promouvoir la croissance organique de l’enseignement et de la liturgie de l’Église, avec pour horizon le projet de réforme de la réforme, c’est-à-dire la redécouverte de l’esprit de la liturgie et la progressive resacralisation du culte, en particulier du rite ordinaire.
 
L’ouvrage se divise en trois chapitres, suivis d’une brève conclusion, de la traduction française du Motu proprio et de la lettre de présentation du document aux évêques, ainsi que d’une petite bibliographie pour se faire une idée juste de la liturgie romaine. On ne peut pas nier la qualité et l’à-propos de la bibliothèque recommandée par le père Aillet, mais nous trouvons surprenant que le plus ancien texte sur la liturgie romaine dont il conseille la lecture date du 4 décembre 1963. Cela dit, l’intitulé de ce sous-titre de la bibliographie laisse percevoir le but subsidiaire du livre entier, tant il est manifeste que des catholiques, qui n’avaient pas une idée juste de la liturgie romaine, pourraient éprouver quelque difficulté à recevoir sereinement les affirmations et prescriptions de Summorum Pontificum.
 
Le vicaire général commence par présenter brièvement les dispositions du Motu proprio, ainsi que les recours dont disposent les fidèles qui n’obtiendraient pas du curé ce qu’ils demandent légitimement, tout en rassurant le lecteur qu’il ne s’agit pas de revenir en arrière et ainsi d’amenuiser l’autorité du Concile Vatican II, en particulier de mettre en doute la réforme liturgique qui y a été décidée (p. 23). En effet, le Saint-Père est convaincu que dans les pays comme la France, où le « mouvement liturgique avait donné à de nombreuses personnes une remarquable formation liturgique », l’attachement au Missel antérieur était fondé et éclairé (p. 27). Dans son troisième chapitre, sur la participation à la liturgie, l’auteur cite la préface donnée par cardinal Ratzinger en 2003 au livre du père Uwe Michaël Lang : « Pour ceux qui fréquentent habituellement l’Église, les deux effets les plus évidents de la réforme liturgique du Concile Vatican II semblent être la disparition du latin et l’autel orienté vers le peuple. Qui a lu les textes, poursuit le futur Benoît XVI, se rendra compte toutefois avec stupeur qu’en réalité les décrets du Concile ne prévoient rien de tout cela » (p. 91).
 
La juste idée de la liturgie romaine semblerait donc impliquer une désastreuse mise en application de la réforme voulue par le récent Concile, dont l’authentique application nécessiterait un nouveau mouvement liturgique, qui fait le sujet du deuxième chapitre. On ne s’étonnera pas des réactions inquiètes de tel ou tel prêtre ou animateur laïc de liturgie à la publication du Moto proprio : ces commentaires trahissent un manque de formation liturgique et sens théologique, qu’on ne saurait d’ailleurs pas toujours leur imputer (p. 35). Au cours de ce long chapitre, qui occupe presque la moitié du livre, en commençant par ce constat que l’inculture liturgique a envahi le sanctuaire (ou le podium), l’auteur passe en revue d’autres exigences énumérées par Sacrosanctum Concilium, ainsi que les échecs par lesquels elles se sont soldées. Là où les gestes, en nous venant du fond des âges, en particulier de l’âge d’or de la liturgie romaine, avaient l’art de nous immerger d’un coup dans le Mystère en nous faisant sortir du monde profane qui tend toujours à nous détourner de Dieu, on a mis en lieu et place, le plus souvent faute de formation, des gestes fabriqués, stéréotypés, empruntés à la vie ordinaire et incapables d’ouvrir à la transcendance du Mystère célébré (p. 62). La musique sacrée a subi les effets d’une mécompréhension de la participation active demandée par le Concile (p. 64). En parlant du lien voulu entre Bible et liturgie (p. 67), l’auteur oublie certes de mentionner que le renouveau tant acclamé du lectionnaire a écarté de la proclamation publique – pour prendre un cas flagrant – des paroles trop dures de l’Apôtre à l’intention de ceux qui s’approcheraient de la sainte table sans discernement. Mais il souligne que la répétition des textes du dimanche pendant la semaine permettait peut-être une meilleure assimilation de la parole par les fidèles et surtout, les chants de la Messe – introït, graduel, alleluia ou trait, chant d’offertoire, chant de communion – tirés toujours de l’Écriture, principalement de l’Ancien Testament et particulièrement des psaumes, constituaient un commentaire de l’Écriture par l’Écriture (p. 68). Il enchaîne des observations sur les banales et impossibles « traductions » officielles, les prescriptions qui n’en sont pas, surtout concernant l’usage du latin et l’orientation de la messe face à Dieu (p. 74), et ainsi de suite.
 
En un mot, on devine que le vicaire général est loin d’être persuadé que tout se passe pour le mieux dans la forme la plus ordinaire de la liturgie. Il groupe ses observations sous les titres : une plus grande fidélité aux normes liturgiques (p. 58) et un plus grand soin apporté à la formation liturgique (p. 75). L’auteur ne va pas jusqu’à suggérer qu’un nouveau mouvement liturgique – la thèse globale du deuxième chapitre – ne saurait s’édifier sur les livres de Paul VI, et ce n’est très probablement pas sa pensée ; il se contente de parler, comme Benoît XVI, d’un enrichissement mutuel des deux Missels (p. 54).
 
Le présent livre ne concerne donc pas les Grecs, les Russes, les Anglais et autres brebis perdues, à qui le Souverain Pontife a peut-être tout autant pensé en rédigeant le Motu proprio, et il ne s’adresse pas directement aux clercs et aux églises qui jouissent déjà, plus ou moins tranquillement, de la liturgie classique – bien que les questions traitées ne soient pas sans intérêt pour eux. Il s’adresse surtout à des catholiques élevés dans une liturgie déformée, à la limite du supportable, qui ont cru de bonne foi suivre la volonté de leur sainte Mère l’Église en continuant de faire ainsi. Que cet ouvrage contribue à leur ouvrir l’intelligence et le cœur !
PF.