SOURCE - Jean-Claude Larchet - orthodoxie.com - 16 décembre 2007
Dom Guy Oury, La messe de S. Pie V à Paul VI, Éditions de l’Abbaye Saint Pierre de Solesmes, Solesmes, 1975, 127 p.
La récente réhabilitation par le pape Benoît XVI de la messe en latin     dite «de saint Pie V» a suscité un certain nombre de remous au sein de     l’Église catholique, mais aussi quelques débats et prises de position au     sein de l’Église orthodoxe, ce qui justifie cette recension.
Cette mesure, tout en s’inscrivant dans une série de prises de     positions destinées à replacer le catholicisme romain sur ses positions     antérieures au concile de Vatican II, était surtout destinée, au sein de     l’Église catholique, à rallier, en satisfaisant leurs revendications les     plus visibles et les plus immédiates, les dissidents de la toute petite     minorité traditionaliste (objectif qui n’a été que partiellement     atteint) ; sa portée est par ailleurs limitée puisque en France, par     exemple, selon un article récent du journal «Le Monde», quelques dizaines     de fidèles seulement ont fait la demande nécessaire pour obtenir, dans     leurs paroisses, la célébration de la messe en question. Reste le problème     de fond, qui a été de nouveau posé : celui de la valeur de ces deux     messes l’une par rapport à l’autre et, dans la perspective qui est la nôtre,     par rapport à l’Orthodoxie.
Ce petit livre, déjà ancien mais toujours diffusé, qui a été écrit     par un liturgiste reconnu qui ne peut être qualifié ni de traditionaliste     ni de moderniste, et qui a été cité comme une référence au cours des débats     récents, apporte quelques réponses.
Il montre tout d’abord que la messe «de saint Pie V», qui date du     concile de Trente, c’est-à-dire du XVIe siècle (et n’est donc pas,     comme l’a dit un peu imprudemment le patriarche de Moscou, sans doute mal     renseigné par ses conseillers, « d’une vénérable antiquité ») a sans     cesse été retouchée, et cela jusqu’au pontificat de Jean XXIII. D’un     autre côté, elle a été instituée dans le prolongement d’une longue     suite de réformes qui font qu’elle est fort éloignée de la liturgie     romaine des premiers siècles. C’est ainsi que le savant père Vladimir Guéttée,     ancien prêtre catholique converti à l’Orthodoxie au XIXe siècle, qui a     longtemps étudié et pratiqué cette messe, disait d’elle que, «modifiée,     taillée, remaniée de mille manière depuis mille ans, elle n’exprime     plus l’idée fondamentale de la vraie liturgie catholique» et concluait     que l’ «on ne peut plus considérer comme licites les nombreux     changements que l’Église romaine a faits aux rites de la liturgie». Le même     constatait encore : «pour la liturgie, l’Église romaine n’a été fidèle     que dans la conservation de la langue latine, or en cela elle s’est encore     éloigné de l’esprit de l’Église primitive», l’esprit de la Pentecôte     exigeant en effet que l’Église s’adresse aux fidèles dans leur propre     langue.
Dom Oury montre ensuite que la messe dite «de Paul VI», instaurée par     le 2e concile de Vatican II, ne constitue pas une rupture avec la messe antérieure.     L’auteur réfute à cet égard méthodiquement toutes les accusations dont     elle a été l’objet et souligne qu’elle ne doit pas être jugée, comme     on le fait trop souvent, en fonction des divers abus auxquels sa mise en     pratique a donné lieu.
L’auteur montre même que, à certains égard, la messe «de Paul VI»     est plus traditionnelle que la messe «de saint Pie V» et franchit un pas     œcuménique important en direction de l’Église orthodoxe en réintroduisant,     notamment au niveau de la 4e prière eucharistique, des éléments empruntés     à la liturgie antiochienne et à l’anaphore de saint Basile dans sa     recension alexandrine. Elle réintroduit surtout l’épiclèse, qui est     absente de la messe «de saint Pie V» ce qui, d’un point de vue     orthodoxe, rend celle-ci invalide avant toute autre considération.
On peut en conclure que ce qui passe pour traditionnel ne l’est pas     vraiment et que ce qui passe pour moderne ne l’est pas autant qu’on     pourrait le penser. Et l’on peut ici se rappeler la remarque du P. Georges     Florovsky : il faut se garder de confondre ancienneté et tradition.
Notons en passant que la coexistence actuelle de deux messes au sein de     l’Église latine, l’une avec épiclèse et l’une sans épiclèse, ou     bien témoigne d’une incohérence dans la théologie catholique actuelle     de la consécration, ou bien indique que l’épiclèse n’a aux yeux de     l’Église catholique qu’une valeur secondaire (puisqu’elle est     facultative), et que donc prévaut toujours pour celle-ci la doctrine     tardive (non acceptée par l’Église orthodoxe) selon laquelle la consécration     est opérée par le ministère du prêtre lorsqu’il prononce les paroles :     «...ceci est mon corps....ceci est mon sang...». Un problème de plus qui     devra être examiné par le dialogue œcuménique lorsque celui-ci     redeviendra sérieux en prenant en compte l’ensemble des questions qui     continuent à séparer l’Église catholique de l’Église orthodoxe.
Jean-Claude Larchet
