1 décembre 2007

[Aletheia n°116] Une encyclique dur l'Espérance - par Yves Chiron

Aletheia n°116 - 30 novembre 2007
UNE ENCYCLIQUE SUR L’ESPERANCE - par Yves Chiron 

Ce 30 novembre paraît la deuxième encyclique de Benoît XVI, Spe Salvi (« Sauvés dans l’espérance »). Après la Charité (Deus Caritas, 2006), c’est la seconde vertu théologale, l’Espérance, qui fait l’objet d’une encyclique. Viendra, plus tard, une troisième encyclique, consacrée à la Foi. Mais, déjà, dans cette encyclique sur l’Espérance, la Foi est centrale.
Le Souverain Pontife se souvient qu’il a été professeur et ce sont de denses « réflexions » (§ 30) qu’il livre aux chrétiens, plutôt qu’une simple méditation spirituelle. Il cite souvent l’Ecriture et, longuement, à plusieurs reprises, saint Augustin. Son encyclique est aussi une encyclique de combat contre le nominalisme de Luther, le subjectivisme de Kant, le matérialisme de Marx et la « dialectique négative » de l’Ecole de Francfort (Horkheimer et Adorno). Ernst Bloch et son « principe espérance » ne sont pas cités, mais, en creux, il est visé lui aussi par la réfutation menée par le pape.
La démonstration de Benoît XVI prend, dans sa première partie, le chemin d’une histoire intellectuelle, mais elle est vivifiée par la nouveauté de l’Evangile, qui n’est pas « uniquement une communication d’éléments que l’on peut connaître, mais une communication qui produit des faits et qui change la vie. »
Dans l’Antiquité, écrit le Pape, les dieux des païens « s’étaient révélés discutables et, de leurs mythes contradictoires, n’émanait aucune espérance » (§ 2). L’Evangile, par la Parole de Dieu et la vie du Christ, vient apporter l’Espérance radicale que la « vie ne finit pas dans le néant ».
L’Espérance chrétienne n’est pas « un message social révolutionnaire » (§ 4), elle est en liens étroits avec la Foi. Dans une page très forte, le Pape réaffirme le sens objectif de la foi. S’arrêtant sur la définition donnée dans la Lettre aux Hébreux (11,1) – « La foi est la substance [hypostasis en grec] des réalités à espérer ; la preuve [elenchos en grec] des réalités qu’on ne voit pas » – , et se référant à saint Thomas d’Aquin, Benoît XVI montre comment Luther est à l’origine d’une déviance essentielle dans la conception de ce qu’est la foi. Elle n’a plus un « sens objectif » (une « réalité présente en nous ») mais un « sens subjectif » (« une disposition du sujet »).
Au passage, le Pape épingle, poliment, la traduction œcuménique du Nouveau Testament en allemand qui traduit ainsi le passage en question de la Lettre aux Hébreux : « la foi consiste à être ferme en ce que l’on espère, à être convaincu de ce que l’on ne voit pas ». « En soi, cela n’est pas faux, écrit le pape, mais ce n’est pas cependant le sens du texte, parce que le terme grec utilisé (elenchos) n’a pas la valeur subjective de ”conviction”, mais la valeur objective de ”preuve”. »
Ce n’est pas une querelle sémantique mais un point nodal : « la foi est la substance de l’espérance » réaffirme le Pape (§ 10). Si elle ne s’appuie pas sur la foi, l’espérance prend des formes nouvelles, qui s’éloignent toujours plus du sens chrétien et qui, aussi, éloignent du mystère chrétien.
Avec Francis Bacon, à l’aube de l’époque moderne, la science devient porteuse de toutes les potentialités : « grâce à la synergie des sciences et des pratiques, s’ensuivront des découvertes totalement nouvelles et émergera un monde totalement nouveau, le règne de l’homme. ». Avec les Lumières, « raison et liberté semblent garantir par elles-mêmes, en vertu de leur unité intrinsèque, une nouvelle communauté humaine parfaite. » Au XIXe siècle, la foi dans le progrès devient la forme commune de l’espérance humaine, y compris dans ses aspects les plus naïfs.
De façon plus théorique, Karl Marx prétendra apporter « une politique pensée scientifiquement, qui sait reconnaître la structure de l’histoire et de la société » et promet une sorte de messianisme sécularisé. Benoît XVI montre l’ « erreur » la plus profonde  de Marx : « Il a oublié que l’homme demeure toujours homme. Il a oublié l’homme et il a oublié sa liberté. Il a oublié que la liberté demeure toujours liberté, même pour le mal. Il croyait que, une fois mis en place l’économie, tout aurait été mis en place. Sa véritable erreur est le matérialisme : en effet, l’homme n’est pas seulement le produit de conditions économiques, et il n’est pas possible de le guérir uniquement de l’extérieur, créant des conditions économiques favorables. »

Pour « une autocritique du christianisme moderne »

Benoît XVI n’est pas un subjectiviste kantien – comme l’en accuse une communication de colloque que, par charité et par respect, nous ne nommerons pas – , il n’est pas non plus « progressiste ». Pour lui, le progrès n’existe pas dans le domaine moral : « dans la connaissance croissante des structures de la matière et en relation avec les inventions toujours plus avancées, on note clairement une continuité du progrès vers une maîtrise toujours plus grande de la nature. À l’inverse, dans le domaine de la conscience éthique et de la décision morale, il n’y a pas de possibilité équivalente d’additionner, pour la simple raison que la liberté de l’homme est toujours nouvelle et qu’elle doit toujours prendre à nouveau ses décisions. »
Le Pape n’exempt pas le christianisme moderne d’errements au sujet de l’espérance. Les chrétiens, dit-il, « doivent apprendre de manière renouvelée en quoi consiste véritablement leur espérance, ce qu’ils ont à offrir au monde et ce que, à l’inverse, ils ne peuvent pas offrir. Il convient que, à l’autocritique de l’ère moderne, soit associée aussi une autocritique du christianisme moderne, qui doit toujours de nouveau apprendre à se comprendre lui-même à partir de ses propres racines. »
Ni la science, ni la raison, ni le progrès n’apportent de réponse satisfaisante à l’interrogation et à l’attente des hommes. Dire que le christianisme, seul, apporte des réponses satisfaisantes ne suffit pas. Benoît XVI rappelle que la foi n’est pas seulement une connaissance du salut mais « produit des faits et « change la vie ».
La deuxième partie de l’encyclique montre donc quels sont, aujourd’hui, les « lieux d’apprentissage et d’exercice de l’espérance ». Le premier est la prière. Benoît XVI évoque longuement le témoignage du cardinal Nguyên Van Thuan, qui a passé treize ans dans les prisons communistes vietnamiennes,  et qui a trouvé dans la prière la force d’espérer. Non pas seulement d’attendre sa libération, mais de se mettre à « l’écoute de Dieu ».
L’autre « lieu d’apprentissage et d’exercice de l’espérance » est l’acceptation de la souffrance. « Comme l’agir, la souffrance fait aussi partie de l’existence humaine. » Parce que, dit le Pape, dans une considération très traditionnelle qui risque de passer inaperçue : « Elle découle, d’une part, de notre finitude et, de l’autre, de la somme de fautes qui, au cours de l’histoire, s’est accumulée et qui encore aujourd’hui grandit sans cesse. »
Face à sa propre souffrance, le chrétien doit entrer dans une démarche d’acceptation et, face à la souffrance des autres, entrer dans une démarche de consolation, au sens étymologique latin (con-solatio) : « un être-avec dans la solitude, qui alors n’est plus solitude » dit bellement le pape (§ 38).
Le témoignage des martyrs est une autre forme d’espérance chrétienne : le don de soi-même est justifié par la « promesse » qui dépasse l’horizon terrestre. À l’exemple de Dieu, Vérité et amour, qui « a voulu souffrir pour nous et avec nous », le croyant peut être amené à placer « la vérité avant le bien-être, la carrière, la possession ».
Dans une dernière partie, Benoît XVI traite des fins dernières (le Christ comme Juge, le Purgatoire, l’Enfer), qui ont tant disparu de la prédication catholique. Je ne prétendrai pas résumer ici l’enseignement du Pape sur le sujet. Je citerai simplement ce fort passage : « Justice et grâce doivent toutes les deux être vues dans leur juste relation intérieure. La grâce n’exclut pas la justice. Elle ne change pas le tort en droit. […] À la fin, au banquet éternel, les méchants ne siégeront pas indistinctement à table à côté des victimes, comme si rien ne s’était passé. »

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Notes de lecture - par Yves Chiron
Max Barret, Mgr Lefebvre tout simplement…, La Taillanderie (384 rue des Frères-Lumière, 01400 Châtillon-sur-Chalaronne), 144 pages, 10 euros.
Le chauffeur de Jacques Chirac, Jean-Claude Laumond, a publié ses souvenirs sous le titre Vingt-cinq ans avec Lui (Ramsay, 2001). Après un quart de siècle au service du futur Président de la République, il avait été remercié de son poste en 1997 et il réglait ses comptes dans un livre où alternaient « petite et grande histoire, galipette et galéjades, vie privée et vie publique ».
Max Barret a été, sur une durée à peu près équivalente, avec d’autres, le chauffeur de Mgr Lefebvre. Il publie, lui aussi, les souvenirs, intimes, qu’il garde du fondateur d’Ecône. Loin du règlement de comptes, son livre relève plutôt de l’hagiographie, ou plutôt de ces fioretti qui, mis bout à bout, ne font pas un portrait mais qui ajoutent des touches d’humanité aux livres historiques déjà existants.
De nombreuses photographies et la reproduction de lettres manuscrites de Mgr Lefebvre viennent marquer du signe de l’authenticité ces souvenirs sans prétention et déférents.
L’évocation du P. Eugène de Villeurbanne, le courageux fondateur des « Capucins de tradition », ajoute à l’intérêt du livre.
 

Joachim Bouflet, Ces dix jours qui ont fait Medj’, Editions CLD (31 rue Mirabeau, 37000 Tours), 347 pages, 21 euros.
Joachim Bouflet, qui est un bon spécialiste des phénomènes extraordinaires de la vie mystique, consacre aux origines de Medjugorje un livre pointilleux et ravageur. Il établit, d’après des sources diverses, ce qui s’est vraiment passé à Medjugorje entre le mercredi 24 juin 1981, jour de la première manifestation supposée surnaturelle, et le vendredi 3 juillet 1981, jour annoncé, à l’époque, comme étant celui de la dernière apparition.
Pourquoi les supposées apparitions ont-elle duré ensuite, et jusqu’à aujourd’hui ? Pourquoi aussi, des six voyants du 1er jour, deux n’ont plus « vu » ensuite, tandis que deux autres n’ont « vu » qu’à partir du 2e jour ?
On sera d’accord avec le jugement final de l’auteur :
…les adolescents et l’enfant ont-ils vraiment vu quelque chose ? Et, dans l’affirmative, qu’ont-ils vu ? Etait-ce réellement la Vierge Marie ? Au terme d’enquêtes rigoureuses, les évêques successifs de Mostar ont exclu cette éventualité. Il est vrai qu’ils ont eu à se prononcer sur un ensemble qui dépasse largement ces dix jours puisque, contre toute vraisemblance, la Vierge Marie aurait continué d’apparaître après avoir annoncé la fin des apparitions pour le 3 juillet et, qu’à partir de cette date, les événements ont basculé dans un registre visionnaire fort suspect auquel tous les voyants ont adhéré ; ces apparitions après les apparitions orchestrées par les Franciscains de Medjugorje, sont émaillées d’invraisemblances et de mensonges qui rendent difficilement crédible l’hypothèse d’une authentique mariophanie dans les dix premiers jours, encore qu’il puisse s’agir de réelles apparitions mariales parasitées dès le début par un (une, des) faux voyants et totalement déviés par la suite. Peut-être sommes-nous là en présence d’un véritable gâchis imputable surtout à des intérêts personnels très terre à terre…