Abbé Baumann, ibp - Centre St Paul - "Saint Paul par lettre" - 16 décembre 2012
A quoi peut donc bien tenir le rejet dont le christianisme fit, dès son origine, l’objet de la part du monde ? A la confession d’un Dieu à la fois unique et trine ? Au son adhésion au dogme de l’Incarnation, c’est-à-dire à l’union en Jésus d’une nature humaine au Verbe éternel ? Sans doute tout cela bouleversa-t-il les convictions du peuple juif ; sans doute également ces articles de foi contrarièrent-ils les romains, puisqu’ils ébranlaient leur panthéon et mettaient les chrétiens en porte à faux avec l’ordre public qui s’appuyait sur le culte rendu à ces multiples dieux et à l’Empereur divinisé. Mais il nous semble que ce qui prit le plus à rebrousse poil les hommes qui, dès lors, voulurent éteindre le christianisme, n’est rien d’autre que la morale paradoxale prônée d’emblée par les disciples de Jésus. « Morale paradoxale » est trop peu dire ; il faudrait lui préférer l’expression de « morale subversive ». Subversive, ne l’est-elle pas, en effet, cette doctrine que le Seigneur exposa dans son fameux Sermon sur la Montagne ? « Bienheureux ceux qui sont affligés, persécutés, affamés de justice… », « Si on te frappe la joue droite, tends la joue gauche », « Quelqu’un veut-il prendre ta tunique, laisse-lui-même ton manteau » : telles sont les conditions, folles aux yeux du monde, que fixe Jésus pour atteindre au vrai bonheur. Inversion totale des « valeurs », plastiquage méthodique d’une justice humaine estimée par-dessus tout, voilà ce que promeut l’Eglise à la suite de son maître ! Là réside sans doute ce qui a le plus irrité le monde païen, fier et vindicatif. Qu’il faille être faible pour être vraiment fort et obtenir ainsi la palme, selon la terminologie paulinienne… langage incompréhensible, dont la civilisation ne se relèverait pas si les chrétiens venaient à faire école et à l’appliquer à l’échelle de toute la société.
A quoi peut donc bien tenir le rejet dont le christianisme fit, dès son origine, l’objet de la part du monde ? A la confession d’un Dieu à la fois unique et trine ? Au son adhésion au dogme de l’Incarnation, c’est-à-dire à l’union en Jésus d’une nature humaine au Verbe éternel ? Sans doute tout cela bouleversa-t-il les convictions du peuple juif ; sans doute également ces articles de foi contrarièrent-ils les romains, puisqu’ils ébranlaient leur panthéon et mettaient les chrétiens en porte à faux avec l’ordre public qui s’appuyait sur le culte rendu à ces multiples dieux et à l’Empereur divinisé. Mais il nous semble que ce qui prit le plus à rebrousse poil les hommes qui, dès lors, voulurent éteindre le christianisme, n’est rien d’autre que la morale paradoxale prônée d’emblée par les disciples de Jésus. « Morale paradoxale » est trop peu dire ; il faudrait lui préférer l’expression de « morale subversive ». Subversive, ne l’est-elle pas, en effet, cette doctrine que le Seigneur exposa dans son fameux Sermon sur la Montagne ? « Bienheureux ceux qui sont affligés, persécutés, affamés de justice… », « Si on te frappe la joue droite, tends la joue gauche », « Quelqu’un veut-il prendre ta tunique, laisse-lui-même ton manteau » : telles sont les conditions, folles aux yeux du monde, que fixe Jésus pour atteindre au vrai bonheur. Inversion totale des « valeurs », plastiquage méthodique d’une justice humaine estimée par-dessus tout, voilà ce que promeut l’Eglise à la suite de son maître ! Là réside sans doute ce qui a le plus irrité le monde païen, fier et vindicatif. Qu’il faille être faible pour être vraiment fort et obtenir ainsi la palme, selon la terminologie paulinienne… langage incompréhensible, dont la civilisation ne se relèverait pas si les chrétiens venaient à faire école et à l’appliquer à l’échelle de toute la société.
Il faut reconnaître que juifs et païens ne furent pas les seuls à se rebiffer devant le Sermon sur la montagne. Les chrétiens eux-mêmes peinèrent à le recevoir dans toutes sa pureté, comme une somme de maximes à mettre concrètement en oeuvre. Luther crut y déceler une doctrine absolument impraticable, destinée seulement à convaincre l’homme de son péché, de son incapacité foncière à faire le bien, et à s’abandonner au Christ dans la foi pour en attendre le salut sans même commencer à essayer de mettre en pratique le moindre de ces préceptes. D’autres affirmèrent que ce sermon n’était en fait adressé qu’à une élite, quand le commun des chrétiens devrait se satisfaire, pour accéder à la béatitude, d’appliquer le bon vieux décalogue !
Toutes ces postures (païenne, luthérienne, élitiste) manifestent en réalité une même répugnance à s’appliquer à soi ce que Jésus n’a jamais prétendu optionnel, mais nécessaire pour entrer un jour dans la gloire. C’est bien aux foules qu’il adresse ce Sermon, non à un club d’initiés, comme le signifie le dernier Concile en rappelant qu’il existe un « appel universel à la sainteté ». Encore faut-il bien comprendre ce qu’il attend des auditeurs. Qu’ils reconnaissent d’abord humblement qu’il est impossible de mettre en oeuvre ces préceptes à la seule force du poignet (et le Christ en convient qui affirme ailleurs qu’il est plus difficile à un homme d’entrer dans le Royaume qu’à un chameau de passer par le chas d’une aiguille). Qu’ils n’en désespèrent pas pour autant, ni n’en déduisent qu’ils n’ont plus dès lors qu’à attendre passivement que Dieu les sauve, mais qu’ils lui demandent sa grâce afin de tenter de mettre en pratique ces prescriptions. Les béatitudes, en faisant renoncer l’homme à la conviction orgueilleuse qu’il pourrait parvenir par ses propres moyens au bonheur, en l’arrachant à ce qui lui est immédiatement accessible (possession, honneurs, plaisir sensible), le font échapper à l’égoïsme imprimé en lui depuis le péché originel. Chacune des béatitudes dépeint un trait du visage de Jésus-Christ et appelle à marcher à la suite de Celui qui s’est fait serviteur pour acquérir la vraie victoire : celle de l’amour fou sur le recroquevillement, celle de la verticalité sur l’horizontalité navrante. Par le don de la grâce de Dieu, le chrétien est rendu capable d’opérer une révolution copernicienne en mettant en pratique les béatitudes : le centre de son existence n’est plus, dès lors, son nombril autour duquel tout devrait tourner (fût-il un homme vertueux), mais le Soleil de justice, Jésus-Christ. A chacun des efforts qu’il déploie dès lors, habité par la charité, des promesses sont attachées, promesses paradoxales qui soutiennent son espérance dans les épreuves (« le Royaume des cieux est à eux », « ils possèderont la terre », « ils verront Dieu »…).
Le voilà ainsi entré dans la logique de la surabondance, où l’on n’achète pas son ciel en comptant ses efforts, mais où l’on mesure jusqu’où le Fils de Dieu est allé dans le don de soi et où l’on tente de « suivre l’Agneau partout où il va », jusqu’au martyre s’il le faut, heureux déjà de jouir dès cette terre de la paix et de la joie qui croissaient en l’humanité de Jésus à mesure qu’il consumait ses jours pour autrui.
Abbé V. Baumann