SOURCE - Paix Liturgique - n°533 - 9 mars 2016
La célébration de la liturgie traditionnelle est souvent perçue, bien à tort, comme un phénomène européen, si ce n’est franco-français. En réalité, la tradition catholique, par définition, n’a pas de frontières. Si sa diffusion universelle existait avant 2007 (comme l'illustrait la présence de la Fraternité Saint-Pie X sur tous les continents), son essor – sous l’appellation de « forme extraordinaire du rite romain » – est bien plus considérable depuis le Motu Proprio de Benoît XVI.
La célébration de la liturgie traditionnelle est souvent perçue, bien à tort, comme un phénomène européen, si ce n’est franco-français. En réalité, la tradition catholique, par définition, n’a pas de frontières. Si sa diffusion universelle existait avant 2007 (comme l'illustrait la présence de la Fraternité Saint-Pie X sur tous les continents), son essor – sous l’appellation de « forme extraordinaire du rite romain » – est bien plus considérable depuis le Motu Proprio de Benoît XVI.
Dans notre précédente lettre, nous avons évoqué la présence de la Fédération internationale Una Voce dans 41 pays sur les cinq continents. Cette semaine, nous nous arrêtons sur un pays qui ne figure pas, pas encore ?, au nombre des membres de la FIUV mais où la liturgie latine et grégorienne est de nouveau célébrée de façon régulière : l’Indonésie.
I – État des lieux
L’Indonésie compte plus de 250 millions d’habitants, musulmans pour l’essentiel (87,2% selon une enquête de 2010). De fait, elle est le premier pays musulman au monde, devant le Pakistan et l’Inde. Trois siècles de présence hollandaise ont laissé bien peu de place au catholicisme, pourtant arrivé dans la région au début du XVIe siècle avec les missionnaires portugais. Les catholiques romains ne sont plus que 3%, soit tout de même un peu plus de 7 millions.
L’Église est cependant présente dans tout l’archipel et parmi tous les groupes ethniques. Elle compte 37 diocèses et un cardinal, l’archevêque émérite de Jakarta, Mgr Julius Darmaatmadja, un jésuite. Comme partout ailleurs, ou presque, la messe traditionnelle a été presque totalement abolie par les réformes conciliaires. Pourtant, elle est désormais célébrée régulièrement dans au moins trois diocèses : à Bandung, sur l’île de Java ; dans la capitale, Jakarta ; et à Pontianak, sur l’île de Bornéo. Un quatrième lieu de culte, dans le sultanat de Yogyakarta (Java), vient en outre de voir le jour.
Enquêter sur un pays aussi lointain et aussi peu lié à la France que l’Indonésie, même si Arthur Rimbaud y fit escale !, n’est pas facile. Certes, les Missions étrangères de Paris y ont une présence stable depuis les années 1970, mais peu fournie : seulement 3 prêtres sur place, plus très jeunes et a priori guère portés sur la question liturgique. L’influence des jésuites, comme aux Philippines, y est très importante.
Du point de vue traditionnel, la Fraternité Saint-Pie X y a conduit une mission en 2003, qui a débouché sur une célébration régulière mais épisodique pour une vingtaine de fidèles. Pour nous faire une idée plus précise de la situation, nous avons donc exploré de notre mieux les ressources aujourd’hui offertes par Internet et les réseaux sociaux.
C’est en particulier grâce à la page Facebook Populus Summorum Pontificum, celle du pèlerinage international Summorum Pontificum à Rome (plus de 21 000 abonnés), que nous avons eu confirmation de la célébration de la liturgie traditionnelle en Indonésie et que nous sommes parvenus à entrer en contact avec ses promoteurs, souvent très jeunes. Récemment encore, plusieurs photos de messes célébrées en Indonésie – beaucoup de jeunes, de mantilles, de servants de messe, de choristes – ont été publiées sur cette page Facebook. Certaines d’entre elles illustrent cette lettre.
D’un diocèse à l’autre, nous ont expliqué les fidèles, la position des évêques diffère. Ainsi, à Jakarta, la hiérarchie ecclésiastique n’a jamais daigné répondre aux courriers des demandeurs pas plus qu’à leurs appels téléphoniques ou demandes d’audience. Du coup, les prêtres qui y célèbrent sont souvent des missionnaires étrangers et les fidèles évitent en général de communiquer à propos de ces messes pour ne pas exciter les humeurs diocésaines. À Bandung, où la messe est mensuelle, l’accord de l'évêque a été obtenu en 2009. À Pontianak, c’est l’archevêque émérite, Mgr Hieronymus Herculanus Bumbun, capucin, qui célèbre.
Bien que les jésuites aient beaucoup agi en Indonésie contre le Motu Proprio – en 2007, le cardinal Darmaatmadja, alors encore archevêque de Jakarta, n’avait d’ailleurs pas hésité à déclarer que Summorum Pontificum ne s’appliquait pas dans son diocèse –, leur magazine Hidup (La Vie) lui a tout de même consacré un article en octobre 2011. Cet article, par ailleurs très pédagogique, avait manifestement pour but d’éteindre la curiosité suscitée chez les fidèles par le texte de Benoît XVI. Il y est ainsi soutenu cette énormité : qu’un Motu Proprio n’est… qu’une « initiative privée » du Souverain Pontife par laquelle il use de son autorité pour faire entendre « la vérité à laquelle il croit » – alors que c’est au contraire un acte qu’il estime tellement important qu’il indique, comme Vicaire du Christ, le prendre « de son propre mouvement » [motu proprio], par une décision personnelle. Après avoir justement exposé les dérives liturgiques modernes et la ressource que représente la forme extraordinaire, le journal conclut toutefois que « de nombreux groupes et leaders de l’Église voient cette messe d’un mauvais œil » car l’insistance sur l’unité peut donner « naissance à un risque réel de conflit et de discorde ». Enfin, l’introduction de la forme extraordinaire dans les paroisses est jugée « beaucoup plus compliquée » que ce qu’en dit le texte pontifical car la pastorale ne peut s’abstenir « de prendre en compte les aspects psychologiques sociologiques, anthropologiques, politiques » d’une telle mesure.
Cette hostilité plus ou moins ouverte d’une partie de la hiérarchie catholique indonésienne envers la liturgie traditionnelle semble toutefois n’avoir qu’un effet limité sur les fidèles, en particulier les jeunes, comme l’illustrent les photos que nous publions. À Bandung, l’un des promoteurs de l’application du Motu Proprio Summorum Pontificum serait même l’un des neveux du cardinal Darmaatmadja...
II – Les réflexions de Paix liturgique
1) Minorité au sein d’une minorité, les catholiques indonésiens attirés par la liturgie traditionnelle font preuve, comme c’est souvent le cas dans cette situation, d’une grande solidarité. Entre eux mais aussi avec la grande famille Summorum Pontificum. Le peu de ressources dont ils disposent – ils recherchaient récemment un jeu de candélabres d’autel via Internet – est compensé par leur grande détermination et leur enthousiasme.
2) À ceux qui prétendent encore réduire la question liturgique et traditionnelle à une zone géographique ou à une catégorie sociale, l’exemple indonésien inflige un évident démenti. C’est bien à l’Église universelle que Benoît XVI a souhaité rendre l’usage de la liturgie latine et grégorienne et c’est bien toute l’Église universelle qui, peu à peu, le redécouvre. Si les efforts des demandeurs français sont souvent méritoires – pensons aux fidèles de Dunkerque qui ont survécu à sept années d’errance avant d’obtenir enfin la juste application du Motu Proprio –, que dire de ceux de ces fidèles de Bandung ou de Pontianak ? Pas de pèlerinage de Chartres pour refaire le plein d’espérance, pas de Fontgombault ou de Barroux où se ressourcer, pas de communautés Ecclesia Dei auprès desquelles demander conseil et assistance. Rien que la foi, le droit canon et Internet pour soutenir une démarche peu comprise et donc mal perçue par le clergé.
3) « De nombreux groupes et leaders de l’Église voient cette messe d’un mauvais œil » car l’insistance sur l’unité peut donner « naissance à un risque réel de conflit et de discorde » : vouloir un rite d’unité catholique, entraîne un risque de division… Cette observation du journal des jésuites indonésiens est particulièrement caractéristique et met en lumière le fond du problème, qui est idéologique : d’un côté, une pseudo-unité autour d'un nouveau rite multiforme et insaisissable, de l’autre l’unité catholique traditionnelle autour d’une messe romaine plus que millénaire. L’unité more romano mettrait en péril l’« unité » des novateurs. Ces remarques auraient pu être publiées dans n’importe quelle feuille de chou diocésaine ! Depuis 50 ans, certains qui ne parlent que d’inculturation, d’adaptation et de différenciation ne se gênent pas pour diffuser une seule et même langue de buis d’une conférence épiscopale à l’autre. Les mêmes préjugés sont colportés et les mêmes arguments sont avancés pour empêcher l’instauration d’une paix véritable dans nos paroisses.
4) Grâce à Dieu, de Nanterre à Jakarta, les fidèles, animés du sens de la foi, dans le domaine de la liturgie comme dans celui du catéchisme, parviennent malgré tout et malgré tous à maintenir la transmission, autre nom de la tradition. Qu’on remarque que ce mouvement est d’abord le fait de laïcs et de familles. Qu’on le veuille ou non, la « promotion du laïcat » voulue par Vatican II a porté des fruits magnifiques, que les gardiens de « l’esprit de Vatican II » n’attendaient pas : le maintien de la liturgie traditionnelle et du catéchisme traditionnel. La plus sensible réalisation du décret Apostolicam Actuositatem sur l’apostolat et le rôle des laïcs dans l’Église, c’est l’avènement du peuple Summorum Pontificum.