15 mars 2016

[Fr. Placide, o.s.b. - Lettre aux Amis & Bienfaiteurs de Bellaigue]

SOURCE - Fr. Placide, o.s.b. - Lettre aux Amis & Bienfaiteurs n° 26 - mars 2016

Chers amis et bienfaiteurs, à la vigile pascale nous lirons ces mots de saint Paul s’adressant aux Colossiens : Si vous êtes ressuscités avec le Christ, recherchez les choses d’en haut, où le Christ est assis à la droite de Dieu. Si les chrétiens ne portent pas dans le monde le témoignage d’êtres qui peuvent vivre des choses célestes, le message dont ils sont chargés la nuit de Pâques, tout comme la fécondité de leurs vies, est fortement diminué, sinon annulé. Ce qui nous est demandé, c’est d’entraîner les âmes à vivre de ce Christ qu’elles méconnaissent et dont cependant elles ont besoin plus que de toute autre chose. Nous ne pouvons pas leur apporter ce message si nous ne demeurons pas intérieurement dans un état d’adoration et d’amour, en sorte que notre parole, et plus profondément ce que nous sommes et qui ne peut pas ne pas rayonner, les conduise à se convertir, c’est- à-dire à se retourner vers Jésus-Christ, et à entrer elles-mêmes dans ces dispositions d’adoration et d’amour qui doivent animer toute vie chrétienne.
   
Il ne faut pas croire que ce soit une chose impossible : le fait que nous ayons à nous donner à des travaux extérieurs, quels qu’ils soient, ne détourne pas de l’adoration et de l’amour du Christ. Si nous pensons qu’il y a opposition entre ces deux choses, c’est que nous comprenons mal la nature véritable de l’adoration et de l’amour. Plus une chose est haute et près de Dieu, plus aussi elle peut s’insérer partout. Plus nous touchons Jé- sus-Christ de près par les dispositions intimes de notre cœur, plus aussi ces dispositions peuvent animer toute notre vie. Les plus profondes, l’adoration et l’amour, doivent donc être effectivement présentes partout. Il s’agit de maintenir toujours en nous, dans le fond de l’âme, cette adhésion au Christ qui y est présent. Cette adhésion-là, en profondeur, n’est étrangère à rien, ne fait nombre avec rien : elle n’empêche pas la qualité d’attention que nous devons aux différentes occupations de notre devoir d’état.
   
Considérons que nous perdons beaucoup de ce temps de la terre, pourtant si précieux et qui passe si vite. Vous direz : c’est difficile de demeurer dans l’adoration et l’amour. Mais si c’est difficile, c’est simple aussi, et si nous ne parvenons pas à ce degré de simplicité, c’est parce que nous nous laissons absorber par beaucoup de choses ; c’est ce qui nous fait perdre tant de temps, et, par le fait même, nous empêche de vaquer à l’essentiel. Goûtez les choses d’en-haut, et non celles de la terre, dit saint Paul. En effet, il y a, dans nos journées, des temps prévus et consacrés à la prière, et là, il faut s’efforcer évidemment d’être tout appliqués, présents à Notre-Seigneur. Mais ce n’est pas là qu’est le vrai problème, parce que sur ce point, tout le monde est d’accord, au moins en principe. Le problème porte sur ces instants, intermédiaires pour ainsi dire, où nous sommes pris entre deux activités et où nous nous laissons trop absorber par le créé, alors que nous pourrions toujours conserver en nous cette attention du cœur, qui est la conversion permanente du fond de notre âme vers le Christ. Cette attitude devrait être habituelle chez les chrétiens et ne pas prendre de temps, puisqu’il s’agit justement d’une disposition si profonde qu’elle ne trouble en rien la qualité d’attention due à notre devoir d’état. Il ne s’agit pas de diviser cette attention, de regarder d’un œil une chose et de l’autre Jésus-Christ : il faut faire bien ce que l’on fait, c’est un point essentiel ; il faut regarder avec ses deux yeux ce que l’on fait sur terre, mais regarder avec le fond de l’âme le Seigneur qui y est présent.
   
Du reste, l’adoration nous ouvre à la joie du Ressuscité. Si parfois, dans notre vie, il n’y a pas assez de joie, c’est parce que nous ne vivons pas assez dans l’adoration et l’amour. Jésus-Christ est le Fils de Dieu : C’est lui qui nous a faits et non pas nous qui nous sommes faits nous-mêmes (Psaume 99). Non seulement il nous a créés, mais il nous a aussi rachetés au prix de son sang. Nous sommes son bien, sa chose, sa propriété. Vous êtes morts et votre vie est cachée avec le Christ en Dieu, enseigne encore saint Paul. Le Seigneur n’a pas de compte à nous rendre. L’adoration rectifie notre pensée, purifie nos façons de voir de ce qu’elles ont de trop humain, pour rétablir les perspectives que nous offre la foi, et qui sont bien différentes de ce que notre raison ou notre imagination auraient tendance à nous faire croire. Si plutôt que de vouloir tout raisonner, nous étions toujours dans l’adoration et l’amour du Christ, cela mettrait en nous une telle joie !
   
Quand le Christ, votre vie, apparaîtra, alors vous apparaîtrez vous aussi avec lui dans la gloire. Que la Vierge Marie nous fasse comprendre combien il nous importe d’être tirés en-haut, d’être remplis du désir des choses d’en haut et de nous laisser modeler par le Ressuscité conformément aux désirs célestes que le mystère de Pâques a mis en nous. Qu’elle nous aide à l’imiter dans le recueillement et la louange, qu’elle nous apprenne à contempler et à adorer comme elle.
   
Fr. Placide, o.s.b., Prieur