SOURCE - Paix Liturgique - Lettre 533 - 16 mars 2016
Dans nos lettres 519 et 525, nous avons rendu compte des pistes liturgiques pratiques ouvertes par les abbé Tisma et Barthe pour l’introduction de la forme extraordinaire dans la vie des paroisses ordinaires par les curés. Cette semaine, nous voulons évoquer et commenter les réflexions d’un avocat américain qui met en garde, dans une tribune pour le magazine Crisis, contre les risques de division qu’engendre l'application partielle et partiale du Motu Proprio Summorum Pontificum de Benoît XVI.
Dans nos lettres 519 et 525, nous avons rendu compte des pistes liturgiques pratiques ouvertes par les abbé Tisma et Barthe pour l’introduction de la forme extraordinaire dans la vie des paroisses ordinaires par les curés. Cette semaine, nous voulons évoquer et commenter les réflexions d’un avocat américain qui met en garde, dans une tribune pour le magazine Crisis, contre les risques de division qu’engendre l'application partielle et partiale du Motu Proprio Summorum Pontificum de Benoît XVI.
À l’occasion du troisième anniversaire du pape François, le magazine américain Crisis a donc consacré un long article de l’avocat Christian Browne à dresser un bilan de l’effort de« restauration et promotion de la messe traditionnelle » réactivé, depuis 2007, par le Motu Proprio Summorum Pontificum de Benoît XVI.
Son point de départ est de mettre en perspective le développement de la forme extraordinaire par rapport à un pontificat vu comme « un printemps du traditionalisme » et à un autre pontificat visiblement indifférent aux choses liturgiques. L’auteur s’attache en particulier aux aspects canoniques et pratiques liés à Summorum Pontificum (SP).
Il souligne notamment qu’alors que SP « est souvent présenté comme "libérant" la messe traditionnelle », cette description « n’est pas parfaitement exacte ». SP affirme un « droit » à la messe traditionnelle pour les prêtres, mais pose des conditions pour la jouissance de ce même droit par les fidèles. Et de rappeler que si chaque prêtre a donc le droit de célébrer selon le missel de saint Jean XXIII, ce droit ne s’applique qu’aux messes « célébrées sans le peuple », aux messes privées (SP, art. 2). Pour les autres célébrations, Browne rappelle que c’est aux groupes stables de fidèles de se manifester auprès de leurs curés qui ont autorité en la matière même s’ils sont expressément invités à accueillir « volontiers » les demandes (SP, art. 5, §1).
Ce rappel juridique « est d’une importance capitale pour les efforts futurs du mouvement traditionnel » car il signifie que la forme « extraordinaire » doit devenir moins « hors-de-l’ordinaire » : la messe traditionnelle doit s’implanter dans les paroisses. Mais l’auteur est bien obligé de constater que, s’il est vrai « que le nombre de lieux où est offerte la messe tridentine a notoirement augmenté depuis la promulgation de Summorum Pontificum, il demeure que la vaste majorité des paroisses n’offrent aux pratiquants aucun accès » à la liturgie traditionnelle. « La forme extraordinaire reste reléguée [malgré les vœux des fidèles] dans certaines églises à des horaires restreints ou pour des occasions particulières. »
De fait, et Browne arrive ainsi au point central de sa réflexion, « Summorum Pontificum a créé une Église dans l’Église, où de petits mais fervents groupes attachés à la messe traditionnelle » vivent selon des normes et des pratiques liturgiques différentes de celles du Novus Ordo (calendrier, lectures, etc.). On pourrait remarquer que cette situation existait déjà dans le cadre du Motu Proprio Ecclesia Dei : autrement dit, SP a permis d’accroître le nombre de messes traditionnelles, mais n’a pas changé fondamentalement leur statut. « Cette situation d’une Église dans l’Église n’est pas optimale. Elle peut conduire à une sorte de séparatisme » qui verrait les fidèles traditionnels regarder avec sévérité, « même inconsciemment », les paroissiens soumis à la laideur des paroisses ordinaires. En contrepoint, poursuit l'auteur, les fidèles traditionnels « peuvent se retrouver mis à l'écart de la vie de leurs propres paroisses », pour ne pas dire exclus ou chassés, car « ils doivent souvent se rendre en des églises spécifiques » pour bénéficier de la forme extraordinaire.
En conséquence, l’affirmation de Benoît XVI à l’article 1 de SP selon laquelle l’existence de deux « expressions de la lex orandi de l’Église [la forme ordinaire et la forme extraordinaire] n’induisent aucune division de la lex credendi de l’Église » parce qu’elles sont « deux mises en œuvre de l’unique rite romain » est contredite dans la pratique. « Le fidèle traditionnel, explique Browne, est à l’écart de la vie habituelle de l’Église et le pratiquant ordinaire moyen n’a aucune idée de la messe traditionnelle ou de la rupture survenue entre le Novus Ordo tel qu’il est célébré dans de nombreuses paroisses et le culte séculaire de l’Église ». Souvent la messe traditionnelle est en effet concédée dans des lieux ou à des horaires excentriques. On pourrait dire que les paroisses, sauf cas particulier, n’admettent pas la saine complémentarité que voulait instaurer SP.
« Cette division est rarement soulignée, et pourtant elle est douloureuse car elle est contraire à la nature profonde de l’Église qui est avant tout Une : Ecclesia una est. S’appuyant sur le don de Summorum Pontificum, le monde traditionnel devrait donc rechercher une plus grande intégration au sein de la vie des paroisses ordinaires. La façon d’y parvenir est évidente mais difficile : introduire la messe traditionnelle dans la pratique du plus grand nombre de paroisses possible, en particulier le dimanche. » À son article 5, au paragraphe 2, SP ne stipule-t-il pas clairement que « les dimanches et les jours de fête, une messe sous cette forme peut également être célébrée » ? Mais, cela, la plupart de nos pasteurs le refusent en prétextant « des risques pour l'unité » alors que ce qu'ils craignent en vérité, c'est de devoir admettre l'existence de nombreux fidèles attachés à la liturgie traditionnelle… comme ils sont attachés au catéchisme traditionnel.
Dans la suite de son article, l’auteur explique que selon lui, cette diffusion majeure passe par une implication majeure des groupes SP dans la vie des paroisses – par le catéchisme, le service de l’autel et la chorale notamment. Pourquoi pas ? Même si l’expérience, de ce côté-ci de l’Atlantique, prouve que, craignant la réaction de leurs conseils paroissiaux, peu de curés sont prêts à faire une place aux fidèles traditionnels dans la vie quotidienne de la communauté.
Mais en réalité, pour ces célébrations considérées comme ayant une forte charge anté- si ce n'est anti-conciliaire, les curés ne se sentent pas libres. Christian Browne en a d’ailleurs conscience puisqu’il termine sa tribune par un appel aux évêques alors qu’il semblait, jusque-là, les exonérer de toute responsabilité, dans la mesure où SP donne aux curés, comme cela est normal, la responsabilité de l'organisation de la célébration de la messe traditionnelle dans leur paroisses (comme ils le font pour les messes des jeunes, celles des communautés étrangères, etc.).
Reste que le pouvoir des évêques sur les curés s’est considérablement accru depuis Vatican II, ce dont Browne a conscience lorsqu'il écrit, avec réalisme, que « c’est aux évêques qu’il appartient d’honorer les intentions et l’héritage du pape Benoît XVI en promouvant la coexistence des deux formes et en faisant en sorte qu’aucun prêtre ou laïc ne tremble à la pensée d’une célébration publique et régulière de l’ancien rite. Et c’est aux évêques de s’assurer que de nombreux prêtres soient formés à la liturgie traditionnelle. » Que dire de mieux, en effet ?
En conclusion, l’auteur reconnaît – non sans ironie – que « le sort de la messe traditionnelle ne mérite peut-être pas autant d’intérêt que l’immigration ou l’écologie », mais que si les évêques s’en souciaient un minimum, ils verraient que sa diffusion est un instrument fort efficace pour « améliorer et revivifier la vie paroissiale ».
Après tout, la liturgie traditionnelle « est le patrimoine de tous les baptisés ». Chacun d’entre eux « a le droit de la connaître et d’y participer (activement bien sûr) pour son propre bien-être spirituel personnel et celui de toute l’Église universelle ».