28 juin 2016

[Abbé Michel Simoulin, fsspx - Le Seignadou] « Je cherche un homme »

SOURCE – Le Seignadou – juillet 2016

« Je cherche un  homme », proclamait le vieux Diogène, armé de sa lanterne.

Aujourd’hui, ce n’est plus une lanterne qu’il nous faudrait pour trouver un homme mais un véritable phare, plus puissant que le soleil, pour percer l’épaisseur des ténèbres humaines, et y retrouver ce qui fait un homme ! Si je considère les hommes publics, ceux dont on parle, ceux qui parlent, chantent et mènent les affaires du monde… ceux qui se proposent comme les modèles de l’homme d’aujourd’hui… tout est vide, creux, plat, uniforme, sans caractère ni personnalité ! Il n’y a plus d’homme, car il n’y a plus de caractère.

Tel est le fruit le plus évident de la conjugaison du matérialisme et du laïcisme : nous n’avons plus d’hommes libres, capables d’être différent, de vouloir, de désirer, d’aimer en pleine indépendance d’esprit. Tout est aplati au niveau de la jouissance immédiate, et nul n’est plus capable d’aimer autre chose que ce que lui propose la société, cette société qui a perdu son âme et refuse à ses sujets de faire vivre leur âme.

Et parmi ces hommes qui parlent et s’agitent, je cherche un ami du vrai, du bien, de l’ordre … un homme droit… un homme capable de gestes personnels et gratuits, ces gestes qui ne rapportent rien à leur auteur mais donnent tout le meilleur à ceux qui en bénéficient.

Bien sûr, nous trouvons encore parmi nous des hommes de caractère, des personnalités réelles et vivantes, mais avouez qu’ils sont plutôt rares et discrets, et que ceux qui occupent le devant de la scène, et ceux qui les suivent ne sont pas de ceux-là, hélas !

Et nous risquons tous de nous satisfaire de cela, de ne plus oser nous lancer dans cette belle aventure d’une vie publiquement chrétienne, vécue dans la belle indépendance de l’esprit et du cœur, animés seulement par la grâce divine et capables de gestes personnels qui affirment la vie d’une âme. Nous craignons tellement d’être différents et d’être considérés comme des fous, ou plus simplement comme des êtres bizarres ou anormaux parce que nous ne suivons pas les modes du temps. Les chrétiens ont toujours été « anormaux », c’est-à-dire « hors normes », non soumis aux « normes » de l’heure des hommes, mais aux seules « normes » de l’Evangile et de l’éternité.

Sans y prendre garde, et sans qu’il y ait malice ou mauvaise volonté, nous sommes trop souvent soumis à ce sentiment étrange que dénonçait bellement le grand Ernest Hello : « Parmi les formes de l’habitude qui rendent les hommes ennuyeux, ternes, indifférents, sans couleur les uns pour les autres, sans action les uns sur les autres, il en est une qui s’appelle le respect humain. Le respect humain est une concession faite au néant, en vertu de laquelle l’homme qui veut ressembler un peu aux autres hommes, craint d’affirmer la vérité tout entière, par tous les langages dont il dispose. Même chez les meilleurs, le respect humain porte une atteinte, souvent inaperçue, mais presque toujours très profonde, à l’intégrité de l’homme. Quelquefois les blessures qu’il fait sont grossières et évidentes ; quelquefois elles sont si délicates et si imperceptibles que personnes ne les sent, excepté la lumière qui diminue dans l’âme. Par la plus légère complaisance de cette nature, l’homme trahit Dieu et lui-même. Il trahit la gloire par amour-propre.

Une des puissances qui déroutent et subjuguent les hommes, c’est l’absence radicale de respect humain. Ce fut là, je crois, une des causes de l’ascendant causé par le curé d’Ars; les hommes sont étonnés et renversés quand un homme ne fait à leurs erreurs aucune concession. Ils ont peur de celui qui n’a pas peur d’eux. »

Il ne s’agit pas de cultiver la différence pour elle-même, laquelle ne signifie rien en soi. C’est la recherche du beau qu’il faut cultiver, le beau qui est le doux éclat de la vérité et de la conformité à l’être, le beau qui ne doit rien à la parure extérieure, mais qui vient d’ailleurs, de plus haut… c’est la ressemblance avec mieux que soi, avec ce qui peut nous élever, nous faire progresser, qui doit être cultivée : il s’agit donc de choisir à qui l’on veut ressembler, choisir de se placer sous son influence pour cela… et c’est ce choix et ce désir qui causeront la différence ; laquelle pourra exercer une influence bénéfique. C’est alors que nous aurons trouvé ou retrouvé notre véritable personnalité, dans la fidélité à ce que la grâce de Dieu nous a fait être et devenir.

Avant de nous séparer pour un temps, je ne peux que vous encourager à profiter de ces mois d’été pour lire et méditer les derniers carnets du P. de Chivré sur « la personnalité ». Les conférences publiées s’achèvent avec « la personnalité et l’Eucharistie », et la première s’intitulait : Le Sens chrétien de la Personnalité.  Elle définissait ce que trop souvent nous cherchons autour de nous, dans nos chapelles, dans nos familles...sans le trouver ! Rien ne nous distingue vraiment des autres ; comme eux nous sommes souvent un peu palots et sans vigueur, mondains pour tout dire, parce que nous craignons le regard du « monde ».

 Alors que la seule chose dont le monde ait besoin est la droiture des baptisés, leur fidélité à marcher dans « le sillage du Christ », selon la belle formule de Maurice Barrès, bref, des personnalités chrétiennes.

« Le premier aspect philosophique de la personne est d’être irremplaçable dans la pensée de Dieu qui lui a donné la mission de remplir un rôle déterminé, et non pas de noyer son rôle dans le rôle dépersonnalisé du groupe. La personne demande au groupe “paroisse”, au groupe “asso­ciation”, au groupe "église", de la valoriser afin de servir davanta­ge dans la paroisse, dans l’association et dans l’église, la vérité pour laquelle elles existent, selon la manière personnelle que Dieu nous a donné d’exister. »

« Notre salut est conditionné par l’exercice surnaturel de cette personne humaine que le Christ est venu sauver, alors qu'Il n’est venu sauver aucun groupe. Il sauve des âmes. Il ne sauve pas des associations, et notre premier devoir est de sauver nos personnes de la noyade dans le collectivisme, et de leur conserver leur rôle dans la communauté, agissante, apostolique et romaine. »

« L’Eglise est une communauté de personnes dont les valeurs respectives se sont révélées par et dans la vérité indescriptible des valeurs respectives à chacun, si bien qu’elle ne dispose pas d’un calendrier suffisant pour y inscrire tous ces élus qui ont as­suré à la société de leur époque la manière d’exister la plus profi­table à la société : leur sainteté. »

Ces conférences sur la personnalité peuvent nous sembler difficiles, mais elles sont tellement importantes qu’il nous faut prendre la peine et le temps de les lire et de les méditer. Elles expriment ce dont vivaient autrefois les chrétiens avant que la révolution interdise aux hommes de vivre selon leur âme, de vivre en hommes libres de vivre selon ce qu’ils sont, soumis aux seules lois de l’esprit. Les saints ont tous été des hommes de caractère, animés par ce qui vit en eux bien plus que par ce qui vit autour d’eux.

« Si nous refaisons des personnes selon la nature et la grâce, il y a encore de belles heures à vivre, pour les jeunes, de beaux travaux spirituels et sociaux à entreprendre pour le salut de la personne humaine, et ces joies-là donnent à un homme le droit de vi­vre, car ce droit n’existe que lorsqu’il fait écho à l’existence et à la joie de Dieu. »

Si je peux encore vous donner quelque conseil de lecture, ne manquez pas de lire le denier ouvrage de notre ami Jean de Viguerie : le passé ne meurt pas. Un régal pour l’esprit et pour le cœur ! Vous pouvez aussi lire du même auteur son « Histoire du citoyen »… d’une rigueur exemplaire et d’une clarté décapante !

Bel et saint été, reposant et vivifiant.