SOURCE – Le Seignadou – juillet 2016
« Je cherche un homme », proclamait le vieux Diogène,
armé de sa lanterne.
Aujourd’hui, ce n’est plus une
lanterne qu’il nous faudrait pour trouver un homme mais un véritable phare, plus
puissant que le soleil, pour percer l’épaisseur des ténèbres humaines, et y
retrouver ce qui fait un homme ! Si je considère les hommes publics, ceux dont
on parle, ceux qui parlent, chantent et mènent les affaires du monde… ceux qui
se proposent comme les modèles de l’homme d’aujourd’hui… tout est vide, creux,
plat, uniforme, sans caractère ni personnalité ! Il n’y a plus d’homme,
car il n’y a plus de caractère.
Tel est le fruit le plus évident
de la conjugaison du matérialisme et du laïcisme : nous n’avons plus
d’hommes libres, capables d’être différent, de vouloir, de désirer, d’aimer en
pleine indépendance d’esprit. Tout est aplati au niveau de la jouissance
immédiate, et nul n’est plus capable d’aimer autre chose que ce que lui propose
la société, cette société qui a perdu son âme et refuse à ses sujets de faire
vivre leur âme.
Et parmi ces hommes qui parlent
et s’agitent, je cherche un ami du vrai, du bien, de l’ordre … un homme droit…
un homme capable de gestes personnels et gratuits, ces gestes qui ne rapportent
rien à leur auteur mais donnent tout le meilleur à ceux qui en bénéficient.
Bien sûr, nous trouvons encore
parmi nous des hommes de caractère, des personnalités réelles et vivantes, mais
avouez qu’ils sont plutôt rares et discrets, et que ceux qui occupent le devant
de la scène, et ceux qui les suivent ne sont pas de ceux-là, hélas !
Et nous risquons tous de nous
satisfaire de cela, de ne plus oser nous lancer dans cette belle aventure d’une
vie publiquement chrétienne, vécue dans la belle indépendance de l’esprit et du
cœur, animés seulement par la grâce divine et capables de gestes personnels qui
affirment la vie d’une âme. Nous craignons tellement d’être différents et
d’être considérés comme des fous, ou plus simplement comme des êtres bizarres
ou anormaux parce que nous ne suivons pas les modes du temps. Les chrétiens ont
toujours été « anormaux », c’est-à-dire « hors normes »,
non soumis aux « normes » de l’heure des hommes, mais aux seules
« normes » de l’Evangile et de l’éternité.
Sans y prendre garde, et sans
qu’il y ait malice ou mauvaise volonté, nous sommes trop souvent soumis à ce
sentiment étrange que dénonçait bellement le grand Ernest Hello : « Parmi
les formes de l’habitude qui rendent les hommes ennuyeux, ternes, indifférents,
sans couleur les uns pour les autres, sans action les uns sur les autres, il en
est une qui s’appelle le respect humain. Le respect humain est une concession
faite au néant, en vertu de laquelle l’homme qui veut ressembler un peu aux
autres hommes, craint d’affirmer la vérité tout entière, par tous les langages
dont il dispose. Même chez les meilleurs, le respect humain porte une atteinte,
souvent inaperçue, mais presque toujours très profonde, à l’intégrité de l’homme.
Quelquefois les blessures qu’il fait sont grossières et évidentes ; quelquefois
elles sont si délicates et si imperceptibles que personnes ne les sent, excepté
la lumière qui diminue dans l’âme. Par la plus légère complaisance de cette
nature, l’homme trahit Dieu et lui-même. Il trahit la gloire par amour-propre.
Une des puissances qui déroutent
et subjuguent les hommes, c’est l’absence radicale de respect humain. Ce fut
là, je crois, une des causes de l’ascendant causé par le curé d’Ars; les hommes
sont étonnés et renversés quand un homme ne fait à leurs erreurs aucune
concession. Ils ont peur de celui qui n’a pas peur d’eux. »
Il ne s’agit pas de cultiver la
différence pour elle-même, laquelle ne signifie rien en soi. C’est la recherche
du beau qu’il faut cultiver, le beau qui est le doux éclat de la vérité et de
la conformité à l’être, le beau qui ne doit rien à la parure extérieure, mais
qui vient d’ailleurs, de plus haut… c’est la ressemblance avec mieux que soi,
avec ce qui peut nous élever, nous faire progresser, qui doit être
cultivée : il s’agit donc de choisir à qui l’on veut ressembler, choisir
de se placer sous son influence pour cela… et c’est ce choix et ce désir qui
causeront la différence ; laquelle pourra exercer une influence bénéfique.
C’est alors que nous aurons trouvé ou retrouvé notre véritable personnalité,
dans la fidélité à ce que la grâce de Dieu nous a fait être et devenir.
Avant
de nous séparer pour un temps, je ne peux que vous encourager à profiter de ces
mois d’été pour lire et méditer les derniers carnets du P. de Chivré sur
« la personnalité ». Les conférences publiées s’achèvent avec « la
personnalité et l’Eucharistie », et la première s’intitulait : Le
Sens chrétien de la Personnalité.
Elle définissait ce que trop souvent nous cherchons autour de nous, dans
nos chapelles, dans nos familles...sans le trouver ! Rien ne nous
distingue vraiment des autres ; comme eux nous sommes souvent un peu
palots et sans vigueur, mondains pour tout dire, parce que nous craignons le
regard du « monde ».
Alors que la seule chose dont le monde ait
besoin est la droiture des baptisés, leur fidélité à marcher dans « le
sillage du Christ », selon la belle formule de Maurice Barrès, bref, des
personnalités chrétiennes.
« Le premier aspect philosophique
de la personne est d’être irremplaçable dans la pensée de Dieu qui lui a donné
la mission de remplir un rôle déterminé, et non pas de noyer son rôle dans le
rôle dépersonnalisé du groupe. La personne demande au groupe “paroisse”, au
groupe “association”, au groupe "église", de la valoriser afin de
servir davantage dans la paroisse, dans l’association et dans l’église, la
vérité pour laquelle elles existent, selon la manière personnelle que Dieu nous
a donné d’exister. »
« Notre salut est conditionné
par l’exercice surnaturel de cette personne humaine que le Christ est venu
sauver, alors qu'Il n’est venu sauver aucun groupe. Il sauve des âmes. Il ne
sauve pas des associations, et notre premier devoir est de sauver nos personnes
de la noyade dans le collectivisme, et de leur conserver leur rôle dans la
communauté, agissante, apostolique et romaine. »
« L’Eglise est une
communauté de personnes dont les valeurs respectives se sont révélées par et
dans la vérité indescriptible des valeurs respectives à chacun, si bien qu’elle
ne dispose pas d’un calendrier suffisant pour y inscrire tous ces élus qui ont
assuré à la société de leur époque la manière d’exister la plus profitable à
la société : leur sainteté. »
Ces conférences sur la
personnalité peuvent nous sembler difficiles, mais elles sont tellement
importantes qu’il nous faut prendre la peine et le temps de les lire et de les
méditer. Elles expriment ce dont vivaient autrefois les chrétiens avant que la
révolution interdise aux hommes de vivre selon leur âme, de vivre en hommes
libres de vivre selon ce qu’ils sont, soumis aux seules lois de l’esprit. Les
saints ont tous été des hommes de caractère, animés par ce qui vit en eux bien
plus que par ce qui vit autour d’eux.
« Si nous refaisons des
personnes selon la nature et la grâce, il y a encore de belles heures à vivre,
pour les jeunes, de beaux travaux spirituels et sociaux à entreprendre pour le
salut de la personne humaine, et ces joies-là donnent à un homme le droit de vivre,
car ce droit n’existe que lorsqu’il fait écho à l’existence et à la joie de
Dieu. »
Si je peux encore vous donner
quelque conseil de lecture, ne manquez pas de lire le denier ouvrage de notre
ami Jean de Viguerie : le passé ne meurt pas. Un régal pour l’esprit et
pour le cœur ! Vous pouvez aussi lire du même auteur son « Histoire
du citoyen »… d’une rigueur exemplaire et d’une clarté décapante !
Bel
et saint été, reposant et vivifiant.