SOURCE - Jean-Pierre Maugendre - Renaissance Catholique - 13 juin 2016
Il n’est un secret pour personne que si le pape Benoît XVI était plein de sollicitude pour les tenants de la forme extraordinaire du rite romain, son successeur, le pape François, est totalement étranger aux questions liturgiques qui ne l’intéressent guère. Sa bienveillance pour la Fraternité Saint-Pie X n’est pas liée à un quelconque intérêt pour la liturgie traditionnelle mais au constat que la Fraternité fondée par Mgr Lefebvre mène un apostolat efficace aux « périphéries » de l’Église, dans des milieux parfois très défavorisés ou populaires.
Il n’est un secret pour personne que si le pape Benoît XVI était plein de sollicitude pour les tenants de la forme extraordinaire du rite romain, son successeur, le pape François, est totalement étranger aux questions liturgiques qui ne l’intéressent guère. Sa bienveillance pour la Fraternité Saint-Pie X n’est pas liée à un quelconque intérêt pour la liturgie traditionnelle mais au constat que la Fraternité fondée par Mgr Lefebvre mène un apostolat efficace aux « périphéries » de l’Église, dans des milieux parfois très défavorisés ou populaires.
Certains évêques de France ont accordé, au fil des années, de plus ou moins bonne grâce, soit des régularisations canoniques de situations existantes soit des autorisations d’ouverture de lieux de culte où se célèbre la liturgie romaine traditionnelle. Mais le vent a tourné ! Il semble que certains souhaitent revenir sur ces « parenthèses miséricordieuses ».
Port-Marly
Dans ses vœux pour l’année 2016, madame Marcelle Gorgues, maire de Port-Marly, petit village situé aux bords de la Seine à 20 kms de Versailles, avait clairement annoncé la couleur : « C’est à notre Chapelle Royale, l’église Saint-Louis, érigée par la volonté de Louis XVI, bâtiment classé évidemment que nous nous intéressons. Bien sûr, il a subi les outrages du temps mais aussi les effets de querelles intestines qui l’ont rendu étranger sur son propre sol. Le temps est venu de lui rendre sa superbe, son rôle aussi sans doute. C’est notre église, ouverte à tous, qui peut être partagée comme la Foi partagée, mais c’est notre église ». Le fait est que l’église Saint-Louis de Port-Marly est un lieu de culte où les Marlyportains ne sont pas majoritaires. En effet, la forme extraordinaire du rite romain y a été célébrée sans discontinuer depuis la réforme liturgique grâce à la forte personnalité de son curé, le chanoine Gaston Roussel, organiste émérite, gaulliste revendiqué, résistant décoré et traditionaliste assumé. À son décès en 1985, les paroissiens se sont opposés à la volonté de « normalisation » de l’évêque de Versailles d’alors, NNSS Simonneaux puis Thomas. Après bien des difficultés voire des violences – le père Bruno de Blignières, desservant de l’église sans l’accord de l’évêque, étant arraché à l’autel en pleine messe par la police le 30 mars 1987, les paroissiens occupant l’église par la force, murée par la mairie à la demande de l’évêché le 12 avril 1987 –, un modus vivendi a été trouvé et, depuis 1995, l’église est une chapellenie desservie par des prêtres de l’Institut du Christ-Roi.
Il y a quelques jours la mairie a annoncé qu’en raison de travaux de toiture, l’église serait fermée pour une période de 10 à 18 mois. De son côté, l’évêché ne semble guère disposé à trouver un lieu de culte de remplacement si la fermeture s’avérait inéluctable. Les travaux de toiture, dont personne ne nie le bien fondé, semblent être le moyen trouvé par l’édile marly-portain pour se réapproprier l’église, y suspendre le culte, entraînant de facto la dispersion de la communauté rassemblée au fil des années. Notons d’abord que cette église est le fruit de la volonté personnelle de Louis XVI : « La piété royale a construit cette église au port de Marly en l’année 1778 ». La démonstration reste à faire que madame Gorgues serait une héritière légitime de Louis XVI ! La réalité est que cette chapelle royale a été volée à l’Église au moment des lois de séparation de l’Église et de l’État en 1905. Madame Gorgues, à défaut d’être une héritière est tout au plus une receleuse. Elle n’est certes pas la seule mais cela ne change rien à l’affaire. D’autre part, une église n’est pas une piscine ou un terrain de sport. Elle appartient d’abord à ceux qui y prient, qui y reçoivent les sacrements et qui essayent de s’y sanctifier. Les saucissonneurs du Vendredi saint comme les adorateurs de l’oignon ou les disciples de Mahomet n’ont aucun droit sur une église qui est d’abord consacrée au culte du vrai Dieu. Notons enfin, qu’en 1965, c’est d’une église en ruines qu’a pris possession le chanoine Roussel. C’est son labeur incessant et la mobilisation des paroissiens qui ont permis les travaux de restauration accomplis depuis, pas l’action de la mairie. Il est en outre inconcevable et certainement illégal que l’évêché de Versailles, affectataire des lieux n’ait pas été consulté et n’ait pas donné son aval à ce projet de suspension du culte.
Rennes
Depuis 1988, l’association Saint-Benoît-de-Nursie organise à Rennes, en accord avec l’archevêché, la célébration de la messe selon la forme extraordinaire du rite romain. Depuis 2002, c’est un chanoine de l’Institut du Christ-Roi qui dessert le lieu de culte, notoirement trop petit, la chapelle Saint-François. Il existe une convention entre l’association et l’archevêché mais cette convention est annuelle et il vient d’être annoncé par l’archevêque de Rennes, Mgr d’Ornellas, qu’elle ne serait pas reconduite l’année prochaine. Le chanoine Cristofoli, desservant de la chapelle, a déjà été remercié de ses fonctions d’archiviste du diocèse et la liste des prêtres du diocèse, dont un valeureux nonagénaire, devant assurer successivement la célébration de la messe dominicale, est en cours de finalisation.
Les raisons d’une crise
En 1975, l’historien protestant Pierre Chaunu avait ainsi analysé la crise de l’Église : « La médiocrité intellectuelle et spirituelle des cadres en place des églises occidentales au début des années 1970 est affligeante. Une importante partie du clergé de France constitue aujourd’hui un sous-prolétariat social, intellectuel, moral et spirituel ; de la tradition de l’Église cette fraction n’a souvent su garder que le cléricalisme, l’intolérance et le fanatisme. Ces hommes rejettent un héritage qui les écrase, parce qu’ils sont, intellectuellement, incapables de le comprendre et, spirituellement, incapables de le vivre » (De l’histoire à la prospective, Robert Laffont, 1975).
On croyait ces temps révolus. Grossière erreur !
Les paroissiens de Saint-Louis de Port-Marly ou de Saint-François à Rennes ne se déplacent pas en voiture le dimanche matin uniquement pour embêter madame Gorgues ou Mgr d’Ornellas. Certes non, ils préfèreraient certainement aller à pied à l’église de leur village ou de leur quartier plutôt que d’essayer péniblement de garer leur voiture pas trop loin de leur lieu de culte. Tout paroissien « étranger » est à la fois un être blessé car il a du quitter sa paroisse naturelle, parfois celle de son baptême et de son mariage, et un militant car il fait l’effort de se déplacer pour participer, loin de chez lui, à une messe, parfois bien longue, d’une austère beauté. Il est foncièrement pacifique et souhaite vivre en paix sa foi. Cependant ceux qui lui cherchent noise devraient méditer ce conseil déjà ancien mais toujours d’actualité : « Laisse-nous te dire que tu te prépares des nuits blanches, des migraines, des nervous breakdownscomme on dit aujourd’hui ». Ces paroissiens ne sont pas là pour l’encens, le latin ou les dentelles. Leur motivation est une question de Foi et de dignité de culte. Plus ou moins consciemment ils observent avec les cardinaux Ottaviani et Bacci que : « Le nouvel Ordo Missæ s’éloigne de façon impressionnante dans l’ensemble comme dans le détail de la théologie catholique de la sainte messe telle qu’elle a été formulée à la XXIIe session du concile de Trente ». Les plus curieux d’entre eux ont été stupéfaits de découvrir dans les Mémoires du Père Bouyer, un des artisans de la réforme liturgique, que certains textes, en particulier la IIe prière eucharistique, avaient été composés en compagnie de Dom Botte à « la terrasse d’un bistrot du Transtévère ». Il y avait la liturgie traditionnelle issue des catacombes et fécondée par le sang des martyrs, il y a maintenant la liturgie issue d’un concile, dont cinquante années après sa clôture, personne n’est encore capable de donner la véritable interprétation, dopée au Chianti !
Les tumultes à venir
Ce serait une grave erreur d’appréciation de croire que ces fidèles vont sagement rentrer dans le rang, retourner dans leurs paroisses ou confier le soin de leur âme à des prêtres inconnus, en mission plus ou moins explicite de rééducation. Car il n’y a pas que la messe, il y a « tout ce qui va avec » : le catéchisme, les sacrements, les prédications, etc. Les parents sont comptables devant Dieu de la Foi qu’ils ont charge de transmettre à leurs enfants et de la dignité du culte qu’ils rendent à Dieu. Les enfants vont ainsi peut-être enfin comprendre que ce qu’ils croyaient un dû est un acquis toujours fragile. Les uns et les autres ne cesseront de lancer au ciel et aux hommes le cri trop ancien : Monseigneur, laissez-nous prier comme nos pères ont prié ! Laissez-nous l’Écriture sainte, le catéchisme romain et la messe catholique ! Laissez-nous les prêtres en qui nous avons confiance ! Qui ont accompagné les dernières heures de nos parents, consolé nos pleurs, partagé nos joies !
Si les fidèles attachés à la Tradition de l’Église pouvaient bénéficier, dans leur paroisse, de la liturgie traditionnelle à laquelle ils sont attachés, il n’y aurait plus de problème. Pourquoi un tel ostracisme des autorités ecclésiastiques contre une liturgie qui a bercé l’enfance des plus âgés d’entre eux ? Est-ce parce que ces communautés fournissent chaque année à l’Église de nombreuses vocations qui désertent les institutions diocésaines ? Il semble que la réponse ait été donnée à la dernière page du livre de Paul Vigneron : Les crises du clergé français contemporain (Téqui, 1976) : « Après l’arrestation du Christ, des apôtres le renièrent parce qu’ils tremblaient pour leur propre vie. Aujourd’hui, c’est bien plus que leur vie que risquent ceux qui avaient adhéré, parfois avec enthousiasme et sans en percevoir forcément le caractère pernicieux, aux tendances novatrices apparues vers 1945. Ils sont maintenant parvenus à l’âge où on a de l’influence et, parfois, de hautes responsabilités. C’est leur amour-propre qu’il leur faudrait sacrifier en disant humblement : “ Oui, peut-être avons-nous fait longtemps fausse route ! ” Leur vie, des hommes courageux peuvent, comme les premiers apôtres après leur défaillance, la sacrifier finalement à Dieu. Mais l’amour-propre ! »
Jean-Pierre Maugendre
Président de Renaissance Catholique