SOURCE - 21 mars 2009
Le cardinal Jean-Pierre Ricard, qui accueille dans son diocèse de Bordeaux l’Institut du Bon-Pasteur (issu de la Fraternité Saint-Pie-X), réagit à la lettre de Benoît XVI avec espérance et réalisme.
Comment recevez-vous la lettre du Saint-Père ?
Je suis frappé par le ton très personnel du pape. On sent combien celui-ci a été atteint, blessé, par les réactions très vives qui se sont manifestées lors de la levée de l’excommunication.
Ce qui l’a touché au plus profond, c’est le double procès d’intention que certains lui ont fait : premièrement, de remettre en question le dialogue juifs-catholiques par la levée de l’excommunication d’un évêque négationniste. Deuxièmement, de "brader" le Concile.
Dans cette lettre, le pape veut répondre à ces critiques qui lui paraissent injustes. Ensuite, il se veut solidaire de ses collaborateurs, il assume ses responsabilités, mais, en même temps, il reconnaît que du côté du Saint-Siège, il y a eu des ratés dans sa communication et dans son information.
Donnant un certain nombre de précisions sur le sens de la levée de l’excommunication, qui n’est pas la pleine réintégration, le pape souligne les difficultés qui sont à affronter, en particulier au niveau doctrinal. C’est d’ailleurs l’une des raisons qui l’amènent à rattacher la commission Ecclesia Dei à la Congrégation pour la doctrine de la foi, qui est chargée de suivre les questions doctrinales. La composition même de la Congrégation, qui regroupe des préfets de congrégations, des cardinaux et des évêques du monde entier, est beaucoup plus large que celle de la commission Ecclesia Dei.
Avez-vous été surpris ?
Ce qui m’a paru le plus fort dans la préoccupation du pape, c’est sa volonté de situer la démarche de réconciliation dans la perspective de l’évangélisation. C'est-à-dire de reprendre l’affirmation de saint Jean : "Celui qui n’aime pas son frère qu’il voit, ne peut aimer Dieu qu’il ne voit pas", renvoyant ainsi à la parole du Christ qui dit : "C’est à ce signe de l’unité – de la communion fraternelle – qu’on verra que le Père m’a envoyé".
Les disciples du Christ ne peuvent pas être témoins d’un Dieu Père sans vivre une attitude fraternelle. Donc, quand il y a difficulté, rupture, il doit y avoir volonté de réconciliation. Et là, le pape unit ce qu’on aurait tendance à opposer : la réconciliation avec la Fraternité Saint-Pie-X, la réconciliation avec les frères des Églises séparées, et aussi le travail de rencontre fraternelle avec les autres religions. Habituellement, on a l’impression qu’il faut choisir entre la réconciliation avec les frères de la Fraternité Saint-Pie-X ou bien l’œcuménisme et le dialogue interreligieux. Le pape lui-même explique que non, que c’est la même dynamique.
La polémique est donc close ?
C’était important que le pape ait pu donner ses raisons profondes ; je regrette un peu que ses collaborateurs proches n’aient pas pu dire ces choses avant, au moment où la décision a été prise et rendue publique. Cela aurait facilité la réflexion et l’accueil de la décision – même si l’affaire Williamson est venue brouiller profondément les choses.
Maintenant que Benoît XVI a redit les raisons profondes de sa décision, il nous faut entrer dans la compréhension de cette volonté du pape, et œuvrer à cette dynamique de réconciliation en vivant tout à la fois la charité fraternelle et le service humble et clair de la vérité.
Est-ce que les évêques de France sont confortés par ces exigences du pape ?
Il est bon que le pape ait apporté quelques clarifications. Il a rappelé sa position par rapport au concile Vatican II qu’il voit comme une continuité, une reprise de la tradition précédente, et non pas comme une rupture avec tout ce qui le précéderait.
Dans cette perspective, lui-même pense que l’acceptation du Concile, du magistère de l’Église, et du magistère des papes qui l’ont précédé, est une condition sine qua non d’une pleine réconciliation. Il est assez clair sur cette question.
Moi-même, je n’en ai jamais douté dans la mesure où j’ai eu l’occasion de le fréquenter lorsqu’il était préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi (j’en suis membre depuis 2002) et de parler avec lui. J’ai toujours senti chez lui une volonté de tendre une main fraternelle.
Il est conscient aussi qu’il y a dans la Fraternité Saint-Pie-X une réalité ecclésiale d’un certain poids avec plusieurs centaines de prêtres, des séminaires, et des œuvres d’Église. Il mise d’autre part sur un dynamisme apostolique présent chez certains de ces prêtres, et enfin sur une possibilité d’évolution dans l’avenir. Il n’enferme pas la Fraternité dans ses positions les plus dures – qu’elle peut encore exprimer aujourd’hui. Il a ce regard d’espérance.
Mais, en même temps, lui-même est au clair sur l’obéissance qui est due au Magistère et sur les points-clés du Concile, sur lesquels il ne transigera pas. Dès le départ, il a prévenu que l’œcuménisme et le dialogue inter-religieux étaient des tâches qu’il voulait poursuivre pendant son pontificat. Il ne les barrera pas d’un trait de plume.
Partagez-vous le regard d’espérance de Benoît XVI sur la possibilité d’une réconciliation avec les lefebvristes ?
Mon attitude de foi me fait l’espérer. Cela dit, je crois que le chemin risque d’être long, car je ne vois pas aujourd’hui, dans les déclarations de la Fraternité Saint-Pie-X, ce désir d’entrer vraiment dans un mouvement de conversion et de réconciliation fraternelle, en faisant comme un examen de conscience. Je sens beaucoup d’assurance et un discours qui dit : "Prenez-nous comme nous sommes, point à la ligne".
Si cette position devait se maintenir ainsi dans sa sécheresse et sa dureté, je ne vois pas comment le dialogue pourrait avancer. Dialoguer, c’est chercher ensemble la vérité, et accepter aussi qu’il y ait un déplacement. Si aucun déplacement n’est possible, n’est envisageable, le dialogue sera très difficile. Mais, j’espère que l’avenir démentira ces craintes et que le pire ne sera pas toujours le plus sûr.
Jean-Claude Bésida