6 mars 2009



Alphonse Borras : "L'attitude du Vatican relève du bricolage"
06.03.09 - Josyane Savigneau - lemonde.fr
Vicaire général du diocèse de Liège depuis 2001, Alphonse Borras est professeur de droit canonique à l'Université catholique de Louvain, depuis 1996, et chargé d'enseignement à la faculté de droit canonique à l'Institut catholique de Paris. Contrairement à Hans Küng, qui, dans un entretien au Monde, le 25 février, a donné son opinion sur la levée d'excommunication de quatre évêques intégristes, dont Mgr Williamson, Alphonse Borras n'est pas un contestataire, au sein de l'Eglise catholique. Il porte pourtant un regard sans indulgence sur cette affaire, dans laquelle, selon lui, le droit pénal de l'Eglise a été "instrumentalisé", et dont il faut "tirer les leçons".

La polémique survenue après l'annonce de la levée de l'excommunication de quatre évêques lefebvristes a suscité beaucoup de propos contradictoires sur le mot excommunication. Est-ce si obscur ? Non. Depuis le XXe siècle, le mot excommunication a un sens technique. Il appartient au droit pénal de l'Eglise. Donc, l'opinion, largement diffusée, selon laquelle les catholiques divorcés seraient excommuniés est erronée. L'excommunication est une peine en riposte à un délit grave, préjudiciable pour la vie de l'Eglise. Elle consiste en une privation d'exercice de droits et de devoirs pour l'auteur du délit. Elle n'est donc pas une exclusion de l'Eglise, mais une mise à l'écart temporaire de la vie ecclésiale. Pourquoi temporaire ? Parce que, dès que l'auteur du délit a manifesté son repentir, il a, dit-on, "mis fin à sa contumace" et a droit à la rémission de sa peine.
Mais alors, pour quel délit avait-on excommunié ces quatre évêques ?
Uniquement pour s'être laissé ordonner à l'épiscopat sans mandat pontifical - chose très grave pour l'Eglise catholique romaine. Benoît XVI a levé leur excommunication pour ces faits.
Cette levée d'excommunication, qui a suscité un tollé, quel réel intérêt avait-elle ? Et puisqu'il s'agit d'une affaire de droit pénal de l'Eglise, était-elle vraiment fondée en droit ?
Comme canoniste, je présumais - jusqu'à preuve du contraire - qu'on s'était assuré des conditions requises par le droit canonique. Je n'avais pas non plus de raisons de douter qu'à ce niveau de l'Eglise catholique les conséquences juridiques de cette rémission avaient été envisagées. Ma première impression a donc été favorable. Ma joie s'est vite révélée bien naïve quand les réactions au Décret de levée d'excommunication ont mis au jour ce que je qualifie de bricolage dans cette levée d'excommunication.
Bricolage ? C'est un mot fort. Pourtant vous n'êtes pas un contestataire...
Il est clair que pour "mettre fin à sa contumace", il faut, non seulement, s'être vraiment repenti mais en plus avoir réparé d'une façon appropriée les dommages et le scandale ou du moins avoir promis sérieusement de le faire. Sur cette base, dans le cas qui nous occupe, je m'étonne de la légèreté avec laquelle on a procédé, et tout canoniste peut légitimement se demander si une excommunication remise sans la garantie de ces conditions est un acte valide au sens juridique du terme. Le vrai repentir doit être considéré comme un élément substantiel de l'acte de rémission.
Vu les réactions au Décret et l'attitude des excommuniés, j'ai des raisons de douter d'un vrai repentir de chacun d'eux. Certes, dans une lettre du 15 décembre 2008, leur chef de file, Mgr Fellay, disait vouloir "rester catholique" et "mettre toutes (ses) forces au service de l'Eglise", "accepter filialement son enseignement" en croyant "fermement à la Primauté de Pierre et de ses prérogatives". Ce sont des termes savamment étudiés, qui font curieusement l'économie de toute mention du concile Vatican II et, en particulier, de ses déclarations en matière de liberté religieuse.
Vous pensez donc que tout cela n'est qu'affaire de stratégie. Mais alors quelle est la véritable stratégie du pape sur cette question des lefebvristes ?
La Note de la secrétairerie d'Etat, du 4 février, dit du pape qu'il a été "avec bienveillance au-devant des demandes répétées de la part du supérieur général de la Fraternité Saint-Pie-X" et ajoute qu'il "a voulu enlever un empêchement qui compromettait l'ouverture d'une porte pour le dialogue". N'est-ce pas la confirmation qu'il s'agissait plus d'une levée d'un... obstacle que d'une "rémission" d'une peine infligée à la suite d'un délit ? Et la Note de poursuivre sur le statut futur de la Fraternité Saint-Pie-X, pour laquelle la "pleine reconnaissance du concile Vatican II et du magistère des papes", de Jean XXIII à Benoît XVI, est une "condition indispensable". N'a-t-on pas mis la charrue avant les boeufs ? Les proches collaborateurs de Benoît XVI partageaient-ils vraiment sa "confiance dans l'engagement" des intéressés pour un véritable dialogue ?
Je pense que le pape cherche, comme il le dit, à "consolider les relations réciproques de confiance, intensifier et stabiliser les rapports" entre les lefebvristes et le Vatican. Cet acte est présenté comme un "don de paix" pour promouvoir l'unité. Le même Décret disait l'espoir du pape de la "vraie reconnaissance du magistère et de l'autorité du pape" par les lefebvristes. L'attitude de l'évêque Williamson a prouvé qu'il n'en est rien. Par ailleurs, le manque de fermeté de Mgr Fellay, supérieur général de la Fraternité Saint-Pie-X, a montré son incapacité à assurer la cohésion entre les intéressés, ainsi que son attitude trouble quant à son adhésion à l'Eglise catholique et à son enseignement, surtout celui du concile Vatican II.
On a souvent souligné que Joseph Ratzinger, comme préfet de la Congrégation de la doctrine de la foi, puis comme pape, a toujours voulu la réconciliation avec les dissidents lefebvristes. Mais cela ne peut se faire à n'importe quel prix. Ce récent épisode donne l'impression que le pape a voulu brader Vatican II. De plus, le manque de répondant chez les quatre évêques face à sa "main tendue" laisse penser que le pape avait majoré les possibilités d'un retour effectif au bercail et d'un accueil sincère de Vatican II. Benoît XVI a-t-il assez apprécié le "repentir" des évêques lefebvristes et exigé la "réparation appropriée des dommages et du scandale" ? L'histoire le dira. En attendant, une rémission bricolée donne à voir une action stratégique mal pensée.
Comment a-t-on pu faire une telle erreur ? Et dire que le pape ignorait les propos de Mgr Williamson ?
Cette affaire est vraiment "de la porcelaine cassée". Aux yeux du juriste, ne pas vérifier la réalité du repentir, c'est instrumentaliser le droit de l'Eglise. Il y a dans ce bricolage à finalité stratégique une mise en oeuvre du droit qui résulte de ce que la doctrine juridique allemande de la fin du XIXe siècle appelait le Polizeistaat, à savoir l'Etat de police où le droit est au service de l'administration. La manière dont ce dossier a été géré par la Curie montre du désordre, amplifié par l'attitude de l'évêque Williamson niant la Shoah et injuriant le peuple juif.
Peut-on réparer ?
De cet épisode désolant, il faut tirer des leçons pour l'Eglise catholique d'après Vatican II qui, à juste titre, recherche dans son ouverture avec les autres - non-catholiques, non-croyants, non-religieux - un dialogue "en vérité". N'est-ce pas la même exigence de vérité qui doit prévaloir dans l'accueil des lefebvristes ? Etre vrai avec les lefebvristes, c'est rester intransigeant sur Vatican II, car il y va de la capacité de l'Eglise d'être à l'écoute de ce monde dont elle est solidaire. Il y va surtout de l'honneur du Dieu de Jésus-Christ et de son ouverture inconditionnelle à notre humanité.
Propos recueillis par Josyane Savigneau