SOURCE - Soazig Quemener - 29 Juin 2009
A Ecône, le ballet des soutanes a repris. Tous les ans, à la fin juin, dans ce fief du traditionalisme catholique, au coeur du Valais suisse, des séminaristes préparent avec une constance inébranlable des ordinations jugées "illégitimes" par le Vatican. Lundi, huit hommes seront ainsi faits prêtres par Mgr Fellay, le supérieur général de la Fraternité Saint-Pie-X.
Venus de toute l'Europe, 2 000 fidèles sont attendus. A 100 m de là, Marcel Lefebvre veille sur les opérations depuis son tombeau, un sourire au coin des lèvres. Parce qu'il refusait les concessions à la modernité du concile Vatican II (1962-1965) et voulait perpétuer l'enseignement traditionnel, l'ancien évêque de Tulle a fondé en 1970 cette "fraternité". La communauté compte désormais 150 000 fidèles dans le monde. Plus fort encore, lui "le schismatique", "l'intégriste", peut prétendre, dix-huit ans après sa mort, au titre de revenant de l'année 2009.
"La religion juive est périmée... L'islam, est une fausse religion"
Après avoir autorisé le retour de la messe en latin en mai 2007, le pape Benoît XVI a en effet levé en janvier dernier l'excommunication des quatre évêques ordonnés par Lefebvre en 1988, sur cette même prairie d'Ecône. Quelques jours plus tard, on apprenait que Mgr Williamson, l'un des quatre hommes choisis par le père fondateur pour perpétuer son oeuvre, avait tenu des propos négationnistes. La polémique mondiale qui s'en est suivie a étouffé une réalité que l'abbé Benoît de Jorna, le supérieur d'Ecône, est désormais bien aise de contempler, du haut de la maison des chanoines du Grand-Saint-Bernard, le coeur du séminaire. "Avant, les gens n'osaient pas s'approcher, ils pensaient que nous étions atteints d'une maladie contagieuse. Depuis le début de l'année et la levée des excommunications, il est désormais de bon ton de passer par ici.
On a même vu des membres de la hiérarchie catholique faire le détour", expose-t-il, goguenard. Le directeur d'Ecône ouvre volontiers les portes du berceau du lefebvrisme. Un ensemble assez disgracieux de bâtiments hétéroclites. Des ailes en béton ont été ajoutées à la maison originelle qui date du début du XXe siècle. A gauche, donc, le caveau de Marcel Lefebvre. En face, le réfectoire, où l'on prend ses repas en silence. A droite, l'église consacrée à la Vierge. On s'y presse tous les soirs de semaine pour une messe basse à l'ancienne. Liturgie en latin, prêtre dos à une assemblée agenouillée, femmes coiffées d'une mantille. Non content d'ouvrir grand les portes de son séminaire, l'abbé Benoît de Jorna écarte avec jubilation celles de son âme. Sans surprise, l'abbé fustige la messe moderne. Ses vues extrémistes sur le dialogue interreligieux font en revanche frémir. "La seule religion vraie est le catholicisme. Il y a deux mille ans, Jésus- Christ est venu dire que la religion juive était périmée. Quant à l'islam, c'est une fausse religion."
L'âge d'or selon l'abbé de Jorna ? "Le XIIIe siècle, l'époque de saint Louis." Celui des croisades également... Il condamne aussi "la liberté religieuse": "De M. Sarkozy jusqu'au dernier-né des Français, tout le monde doit être catholique." Peut-il espérer un jour voir ses idées prospérer? "Qui aurait pu affirmer que le pape allait autoriser à nouveau l'ancienne messe?" rétorque-t-il. Les séminaristes l'écoutent sans ciller. Ainsi Louis- Marie Carlhian. Ce grand brun plutôt timide prononcera son voeu de chasteté en avril prochain.Il pourrait être ordonné prêtre dans deux ans. En attendant, il étudie la philosophie et la théologie à la sauce Saint-Pie X. Un enseignement soigneusement expurgé. Ici, l'existentialisme, Husserl, Heidegger, Nietsche et Kant n'ont pas droit de cité.
En voie de réhabilitation à Rome, les intégristes comptent désormais en nombre dans une Eglise qui peine à susciter des vocations. Samedi, dix prêtres "classiques" ont été ordonnés en la cathédrale Notre-Dame de Paris. Quatre-vingts autres devraient l'être en France cette année. Tout en bravant l'autorité de Rome, la Fraternité peut se targuer de produire elle 11 prêtres en Europe (trois ont été ordonnés hier à Zaitzkofen en Bavière) et 13 en Amérique du Nord. Elle peut aussi mettre en exergue la jeunesse de ses 510 ministres du culte répartis dans le monde: ils ont 40 ans de moyenne d'âge. Ainsi que la fraîcheur de ses fidèles. Benoît de Jorda insiste: "Observez nos messes: les enfants pullulent!"