De nombreuses ordinations de prêtres de la Fraternité Saint Pie X ont lieu cette fin de semaine en Allemagne et en Suisse. A quoi jouent les héritiers de Monseigneur Lefebvre? Décryptage d'Henri Tincq, grand spécialiste du catholicisme et auteur de "Le retour des intégristes" (CNRS éditions).
Après le Minnesota, le 19 juin, l'Allemagne aujourd'hui et Ecône, le fief des Lefebvristes, demain. Ces ordinations en série constituent-elles une provocation envers Rome, qui les a déclarées "illégitimes"?
Oui, il s'agit d'une provocation. En levant les excommunications des quatre évêques intégristes, Benoît XVI a fait un geste d'apaisement qu'il a payé du prix d'une polémique mondiale, en raison de la présence, parmi ces intégristes réhabilités, de l'évêque négationniste Williamson. La Fraternité sacerdotale Saint-Pie X aurait pu se dispenser de procéder à de nouvelles ordinations de prêtres dans l'attente d'un statut canonique précis. En effet, les évêques de la Fraternité ont été relevés de leur excommunication, mais n'ont toujours pas été réintégrés dans la "pleine communion" de l'Eglise. C'est à ce titre que le Vatican a pu établir que ces nouvelles ordinations étaient "illégitimes".
Depuis la crise de février dernier, le Vatican a tenu à maintenir le contact. Que cherchent les lefebvristes en agissant de la sorte aujourd'hui?
Les lefebvristes montrent beaucoup de désinvolture dans cette affaire d'ordinations. Ils n'ont tenu aucun compte de la protestation des évêques locaux, ni de la mise en garde du Vatican. Leur obstination à vouloir une fois de plus consacrer sans mandat des prêtres de leur bord prouve qu'ils sont loin de l'esprit de compromis souhaité par Rome. Le pape et le Vatican font pourtant preuve de bonne volonté à leur égard. Ils disent que l'heure est venue d'engager des discussions sur les aspects doctrinaux et disciplinaires du schisme lefévriste. La responsabilité de ces discussions a même été confiée à la congrégation pour la doctrine de la foi. Chargée de la gestion du cas des intégristes, la commission Ecclesia Dei du Vatican, manipulée par eux, accusée par beaucoup de catholiques d'être trop proche des intégristes, se trouve, de fait désavouée.
Où en est la famille intégriste? Ses membres sont-ils affaiblis ou, au contraire, raffermis dans leur identité?
Ces ordinations "sauvages" de prêtres montrent que rien ne les fera jamais plier. Le pape a eu tort de penser qu'une politique de concessions les conduirait à terme à se repentir, à se prononcer en faveur des réformes du dernier concile Vatican II (1962-1965) et à conformer leur attitude aux positions doctrinales et disciplinaires de l'Eglise catholique. On voit aujourd'hui qu'il ne sont pas disposés au changement. Les intégristes continuent de se comporter comme s'ils n'avaient rien compris à la crise de l'hiver dernier et n'en avaient tiré aucune leçon. Ils ont été affaiblis par l'affaire Williamson, mais veulent aborder en position de force les prochaines discussions doctrinales et disciplinaires avec la congrégation du Vatican chargée de la doctrine
Les catholiques français ont été déchirés par cette affaire. Beaucoup ne se sont pas reconnus dans cette main tendue envers des dissidents qui refusent le concile Vatican II, celui qui avait marqué l'ouverture au monde. La blessure est-elle en train de se refermer?
Je ne suis pas certain que la blessure soit en train de se refermer. Le choc demeure grand. Les moins naïfs verront dans ces nouvelles ordinations illégitimes de prêtres la confirmation de leurs craintes: il n'y a plus grand chose à attendre des intégristes. De son côté, le pape a nettement déclaré que les problèmes qui doivent être traités à présent sont de nature essentiellement doctrinale et regardent surtout "l'acceptation du concile Vatican II et du magistère post-conciliaire des papes". On ne peut être plus clair. Ceux qui avaient craint que le pape Benoît XVI se soit fait berner ou, pire, était en train de liquider l'héritage du dernier concile devraient être quelque peu rassurés.