| Christophe Geffroy : Benoît XVI et « la paix liturgique » - une étude documenté et militante | 
| 16 octobre 2008 - Aletheia n°132 - yveschiron.blogspot.com | 
| Christophe Geffroy a fondé la Nef, il y a près       de vingt ans. Il voulait militer, selon le titre de son premier éditorial,       pour l’union des forces traditionnelles par une revue mensuelle       qui allie journalisme et réflexion, information factuelle et combat des       idées. À ce jour, 197 numéros sont parus et l’on peut dire que       Christophe Geffroy est resté fidèle à son projet initial. Certes, dans       la forme, la revue a changé. Elle a pris de la couleur et de l’élégance       dans la mise en page. Elle s’est ouverte à de nouvelles questions (avec       une part plus importante accordée aux questions de société). Elle       s’est ouverte aussi à de nouveaux collaborateurs. Il n’est pas sûr qu’aujourd’hui Christophe       Geffroy formulerait de la même manière les cinq points qui constituaient       la « Charte de La Nef » en 1990. C’est que, depuis cette date,       le monde et l’Eglise ont changé. Loin d’être une rupture, le       pontificat de Benoît XVI a accentué une marche — un « retour au       centre » (au sens balthasarien) — commencée sous le pontificat précédent.       La Nef, fidèle au 4e point de sa Charte : «       Attachement indéfectible à la primauté souveraine du Pape comme chef de       l’Eglise et soutien de son autorité universelle sur celle-ci », a       accompagné cette marche. Sur la question liturgique, dès son premier numéro,       en décembre 1990, la revue avait pris le parti de publier le calendrier       liturgique du mois en deux colonnes parallèles : calendrier de saint Pie       V d’un côté, calendrier de Paul VI de l’autre. Près de deux cents       numéros plus tard, ce diptyque est toujours présent, même si le       calendrier liturgique n’occupe plus une pleine page. Cette égale       importance accordée aux deux calendriers n’est pas anecdotique. Elle       est un signe de ce pour quoi la revue a milité dès l’origine : que la       liturgie latine dite de saint Pie V puisse être maintenue « pour toute       communauté qui le souhaite », communauté étant à prendre, ici, au       sens large (communauté religieuse, paroisse, etc.). Christophe Geffroy et       la Nef n’ont jamais réclamé l’abolition du missel de Paul VI,       ni le retour obligatoire au missel de saint Pie V, mais leur coexistence       pacifique et respectueuse l’une de l’autre. Dans son éditorial du premier numéro de la Nef,       Christophe Geffroy citait la parole du Christ que nous rapporte saint Jean       : « Il y a des demeures nombreuses dans la maison de mon Père » (Jn 14,       2). Dix-huit ans plus tard, on retrouve cette même parole à la dernière       ligne de l’ouvrage qu’il vient de publier. Cela indique chez       l’auteur une volonté d’unité, dans la foi commune, au-delà des «       différences légitimes et enrichissantes ». Cette position se retrouve       appliquée précisément à la question liturgique. C’est une étude, fort documentée, intitulée Benoît       XVI et « la paix liturgique » (Cerf, 311 pages, 24 euros). Le titre,       et l’intention, rappellent La Paix de Mgr Forester de l’abbé       Brian Houghton (1979 pour l’édition anglaise, 1982 pour la traduction       française aux éditions DMM). Mais là où l’abbé Houghton publiait       une sorte de roman d’anticipation liturgique, Christophe Geffroy publie       un essai qui est à la fois une étude historique et un ouvrage militant. Genèse du motu proprio L’ouvrage s’ouvre par une présentation rapide du       motu proprio du 7 juillet 2007. Christophe Geffroy y discerne, à juste       titre, trois motifs : réconcilier les catholiques, resacraliser la       liturgie, affirmer la continuité historique d’un missel à l’autre.       On pourra en ajouter un quatrième : réparer l’injustice subie par les       catholiques à qui l’on a pratiquement interdit la messe traditionnelle       pendant plus de trois décennies. C. Geffroy recherche ensuite la genèse de ce motu       proprio dans les écrits du cardinal Ratzinger consacrés à la liturgie.       De tous les cardinaux créés depuis le concile Vatican II, le cardinal       Ratzinger a été, sans conteste, celui qui a le plus écrit sur la       question liturgique. Aujourd’hui, devenu le pape Benoît XVI, il a des       idées bien précises sur ce qui reste à faire pour restaurer un véritable       Esprit de la liturgie (titre d’un ouvrage qu’il a publié en       2000). Le directeur de la Nef a retenu quatre livres       sur la liturgie publiés par Joseph Ratzinger entre 1985 (1981 pour l’édition       allemande) et 2003. Les pages qu’il leur consacre témoignent d’une       lecture attentive et intelligente. Mais Christophe Geffroy minimise l’évolution       qu’on a pu observer chez le cardinal Ratzinger dans ces années. Il       estime que dans La Célébration de la foi, publié en français en       1985, on trouve les « principales idées [de Ratzinger] sur la liturgie,       reprises ou développées par la suite ». Cette affirmation me semble       exagérée. On trouvait certes, à la fin des années 1970 et au début       des années 1980, sous la plume de celui qui n’était encore qu’archevêque       de Munich, des pages sur la participatio actuosa, par exemple, ou       sur la caractère « fabriqué » de la nouvelle liturgie (« un ouvrage       revu et corrigé par des professeurs » disait Ratzinger) qu’on relira,       sous des formes guère différentes, dans ses ouvrages de la fin des années       1990. Mais, sur d’autres points importants – la « réforme de la réforme       » ou la remise à l’honneur du rite dit tridentin –, il y a bien eu,       chez le cardinal Ratzinger, une évolution intellectuelle et spirituelle. Dans un ouvrage paru en 1981, que Christophe Geffroy ne       cite pas, celui qui n’est pas encore le Préfet de la Congrégation pour       la Doctrine de la Foi estimait encore : « on est obligé de qualifier       d’irréel l’entêtement à garder le ”missel tridentin”[1] » Le Bref examen critique Le chapitre 3, consacré à la crise de l’Eglise, est       intéressant. Christophe Geffroy cherche à être plus explicatif que       descriptif. Néanmoins, pour s’en tenir au descriptif, on contestera       l’affirmation : « la crise que l’Eglise traverse depuis le concile       Vatican II » (p. 57)[2]. En réalité, la crise de l’Église est antérieure       au concile, elle date des années 50 et même, en certains domaines, de       l’immédiat après-guerre ; qu’il s’agisse de la chute des       vocations, de la crise d’identité du clergé, des expérimentations       hasardeuses en matière pastorale, catéchétique ou liturgique. Le       concile, comme événement, n’a pas enrayé cette crise polymorphe et,       au contraire, a favorisé son développement (je ne parle pas, ici, des       documents conciliaires promulgués mais du bouillonnement de paroles, de       discours et d’initiatives qui ont précédé, accompagné puis suivi les       quatre sessions conciliaires ; ce qu’on pourrait appeler le périconcile). Les chapitres 4 et 5, consacrés à l’histoire de la       réforme liturgique et à l’opposition à cette réforme, sont parmi les       plus intéressantes de l’ouvrage. Les informations sont nombreuses, précises       et honnêtement présentées. On relève, entre autres rappels pertinents       : la nécessité reconnue par Mgr Lefebvre, en 1965, de réformer la messe       (p. 109) ; la « messe expérimentale » de 1967 refusée par le synode réuni       à Rome (p. 116-117) ; les contradictions de l’instruction de 1969 sur       la communion dans la main (p. 119-120) ; le dialogue du Saint-Siège avec       Mgr Lefebvre et la FSSPX qui n’a commencé vraiment qu’en 1982 (p.       150) ; la création d’une commission cardinalice sur la messe       traditionnelle en 1986 (p. 151), commission dont la composition et       l’histoire restent, en partie, encore inconnues aujourd’hui ; la       faiblesse de l’argumentation théologique de la FSSPX dans sa critique       du CEC et du NOM (p. 183). Les pages sur le Bref examen critique de la nouvelle       messe, présenté à Paul VI par les cardinaux Ottaviani et Bacci en       1969, sont bien informées. À juste titre, C. Geffroy fait remarquer que       la supplique n’est pas restée sans effet, puisque l’Institutio       generalis a été modifiée en plusieurs points (notamment le § 7 du       ch. II qui donnait une définition de la messe). Il y aura d’autres       modifications. À ce jour, il manque une étude exhaustive des différentes       modifications intervenues dans le nouveau missel d’une édition typique       à l’autre (l’édition typique de 2002 comprise). Après la publication du Bref, Dom Lafond, moine       de l’abbaye de Saint-Wandrille, a publié une lettre du cardinal       Ottaviani, en date du 17 février 1970, qui disait notamment : « je       regrette seulement que l’on ait abusé de mon nom dans un sens que je ne       désirais pas, par la publication d’une lettre que j’avais adressée       au Saint-Père sans autoriser personne à la publier[3] ». Jean Madiran,       témoin et acteur dans cette affaire, a contesté l’authenticité de       cette lettre[4]. C. Geffroy a l’honnêteté de signaler les deux       versions de cette controverse. On peut, cependant, ajouter une autre pièce       au dossier. Emilio Cavaterra, un des biographes du cardinal Ottaviani, a       apporté d’autres lumières sur le Bref. Il se fonde notamment       sur les carnets intimes de l’ancien Préfet du Saint-Office et sur       plusieurs témoignages, entre autres, celui du cardinal Siri et celui de       Mgr Agustoni, secrétaire d’Ottaviani. Il expose malheureusement trop       brièvement l’affaire[5].       Le cardinal Bacci n’aurait pas joué un rôle secondaire, comme on le       lit souvent[6].       La signature du Bref aurait été extorquée au cardinal Ottaviani par «       un véritable coup de main » de certains de ses familiers. L’histoire critique du Bref, de ses origines,       de sa rédaction, de sa réception par Paul VI et de ses conséquences       reste à écrire. Examinant l’opposition à la réforme liturgique, et       les autres motifs d’opposition aux orientations de l’Eglise depuis le       concile Vatican II, Christophe Geffroy accorde une large place à la FSSPX.       Il raconte son histoire avec un souci de rigueur dans l’information qui       est rare. La suspense a divinis de 1976 puis l’excommunication de       1988 sont les deux moments les plus dramatiques de la résistance       lefebvriste. À chaque fois, C. Geffroy fait des rappels utiles (par       exemple, les mises en garde de Louis Salleron et du Père abbé de       Fontgombault en 1976) qui ne laissent dans l’ombre aucun aspect de la       situation et qui exposent les argumentations des uns et des autres. Après avoir évoqué longuement, les différents       moments du dialogue, à éclipses, de la FSSPX avec Rome, Geffroy porte       une appréciation qui sonne juste : « Rome a raison quand elle essaie       depuis le jubilé de l’an 2000 d’obtenir d’abord un accord juridique       permettant à la Fraternité d’avoir sa place dans l’Eglise ; le reste       viendra après progressivement. Car, ne l’oublions pas, il y a une grâce       de la communion retrouvée et celle-ci contribue à montrer l’Eglise       sous son véritable jour et à faire tomber peu à peu les préventions       qui obscurcissent l’intelligence. Le problème avec la Fraternité       n’est pas d’abord doctrinal, quoi qu’elle en dise — même si       je ne nie pas, évidemment, qu’il existe un grave contentieux doctrinal       —, il est d’abord une question de foi dans l’Eglise, de peur       et donc de manque de confiance » (p. 192-193). Des vues d’avenir Le dernier chapitre de l’ouvrage est une présentation       chronologique des enseignements récents du Magistère sur la liturgie.       Sont examinés six documents importants parus entre 2001 et 2007 : de       l’instruction sur « l’usage des langues vernaculaires dans l’édition       des livres de la liturgie romaine » à l’exhortation apostolique Sacramentum       Caritatis qui fait suite au synode sur l’Eucharistie réuni à Rome       à l’automne 2005. Christophe Geffroy a raison d’attirer l’attention       sur ces enseignements et instructions du « Magistère récent ». Les       catholiques ignorent trop ce qu’enseigne Rome sur ces sujets ; et, généralement,       les catholiques traditionnels connaissent mal les interventions de Rome en       matière liturgique depuis 1969, y compris les interventions les plus       solennelles qu’ont représentées les éditions typiques successives du       nouvel Missel (1970, 1975, 2002). Néanmoins, ne peut-on estimer que dans des temps       normaux, dans des temps paisibles, les simples fidèles ne devraient pas       avoir à s’intéresser de près aux instructions et directives venues de       Rome. Ils feraient confiance à leurs pasteurs immédiats (curé et évêque)       pour être guidés sur le chemin de la foi et de la vie chrétienne. Christophe Geffroy, « en guise de conclusion », émet,       sur une dizaine de pages, des propositions et des suggestions et des       opinions qui sont la part la plus personnelle de son ouvrage.       Curieusement, il pense que la « réforme de la réforme » voulue par       Benoît XVI n’a pas encore commencé (p. 273, p. 275). Au contraire,       elle me semble en marche. Soit avec éclat, par le motu proprio du 7       juillet 2007 et par la lettre aux évêques qui l’accompagne, soit par       touches successives, avec les initiatives prises par le pape lors de ses célébrations       publiques de la messe (agenouillement pour la communion, etc.),       initiatives qui sont autant d’enseignements par l’exemple. Plus loin, Christophe Geffroy estime que la «       cohabitation » actuelle des deux formes du rite romain n’est pas       satisfaisante et devra prendre d’autres formes. Il juge, ainsi, que       l’usage exclusif du missel traditionnel concédé par le Saint-Siège à       l’Institut du Bon Pasteur en 2006 « crée une ambiguïté détestable       » (p. 279). Cette concession à l’IBP pourrait, selon lui, servir de prétexte       pour dévaloriser voire mépriser la forme nouvelle du rite romain. C.       Geffroy dit aussi avoir « du mal à comprendre le blocage de certains de       ces prêtres “traditionnels“ qui refusent toute célébration du       nouvel Ordo – donc aussi la concélébration de la messe chrismale avec       l’évêque » (p. 281). Il affirme même : « Benoît XVI a       explicitement demandé que les prêtres célébrant avec l’ancien missel       ne refusent pas de célébrer avec le nouveau » (p. 282, note 1). Comme l’ont déjà fait remarquer Jean Madiran et       Denis Sureau, en promulguant le motu proprio libéralisant la messe selon       le rite traditionnel, Benoît XVI n’a pas rendu obligatoire la messe       selon le rite ordinaire. Il a demandé que la célébration avec les       nouveaux livres ne soit pas exclue « par principe ». Jean Madiran l’a       souligné : « Refuser la messe montinienne par principe, ce serait       la refuser comme invalide ou comme hérétique ». Ce qui       n’est pas le cas, sauf exception. Et, comme l’a écrit Denis Sureau,       « le curé célébrant selon la forme ordinaire n’est pas contraint de       célébrer dans la forme extraordinaire ; on voit mal pourquoi l’inverse       s’imposerait. » La coexistence de deux liturgies de rite romain est une       nouveauté dans l’histoire de l’Eglise catholique. Mais il y a des précédents       historiques pour d’autres rites, et des précédents qui durent depuis       des siècles : le rite byzantin, pour s’en tenir aux Eglises       catholiques, s’exprime à travers différentes formes : le rite       byzantin-ukrainien, le rite grec-melkite, etc. C. Geffroy estime encore que la multiplication de       paroisses dévolues au seul rite dans sa forme traditionnelle «       risquerait de favoriser la tentation du “ghetto“ » (p. 281). Cette       crainte me semble infondée. À Paris, il y a eu neuf paroisses dévolues       exclusivement à l’un ou l’autre des rites catholiques orientaux. On       ne voit pas que les fidèles qui fréquentent ces paroisses de rite       oriental aient la sensation d’être dans un « ghetto » ou soient amenés       à mépriser les catholiques de rite romain. Au contraire, même, elles       ont été attirantes : depuis les années 1970, des fidèles ont déserté       leurs paroisses habituelles, où le rite romain était trop bouleversé,       pour rejoindre ces paroisses de rite catholique oriental. On relèvera enfin que C. Geffroy fait des propositions       concrètes qui sont de nature « à changer assez profondément l’esprit       de la liturgie actuelle [montinienne]» (p. 284-285). Benoît XVI a déjà       montré l’exemple sur certains points, et, en France, certains prêtres       ont commencé à l’imiter. Le livre de Christophe Geffroy, malgré les quelques       divergences que l’on peut exprimer, est très utile. Il devrait être lu       par les évêques français qui, pour nombre d’entre eux, connaissent       mal le monde traditionaliste, son histoire, ses divisions et subdivisions.       Il devrait être lu aussi par les historiens, y compris par les historiens       catholiques du catholicisme contemporain qui, sauf exceptions très rares,       lorsqu’ils abordent, la crise de l’Eglise et les résistances       qu’elle a suscitées, sont, à l’évidence, mal informés. Il devrait       être lu, enfin, par les catholiques traditionnels eux-mêmes qui,       parfois, connaissent mal ce qu’a fait Rome, ce qu’a dit Rome et les       raisons des divisions et des séparations qui ont affecté leur propre       histoire. ---------- [1] Card. Joseph Ratzinger, « Peut-on modifier la       liturgie ? Réponses à des interrogations », dans le volume collectif L’Eucharistie,       pain rompu pour un monde nouveau, Fayard, 1981, p. 167. [2] Page 21, C. Geffroy avait déjà écrit : « la       crise qui s’est manifestée au grand jour après le concile ». [3] Lettre publiée dans la Documentation catholique,       le 5 avril 1970, p. 343. [4] Supplément au n° 142 d’Itinéraires,       avril 1970, et encore dans Présent du 16 octobre 2008. [5] Emilio Cavaterra, Il Prefetto del Sant’       Offizio. Le opere e i giorni del cardinale Ottaviani, Milan, Mursia,       1990, p. 95 et p. 117-118. [6] Mais Cavaterra semble ignorer et le P. Guérard des       Lauriers et Cristina Campo et les autres rédacteurs du Bref. | 
