31 octobre 2008

Le témoignage de Poulat «Ils sont tous modernistes»
31 octobre 2008 - Jean Madiran - present.fr
L‘événement est religieux.
L‘événement, c’est Poulat et son témoignage irrécusable. Dans les 280 pages de France chrétienne, France laïque (Desclée de Brouwer,
achevé d’imprimer : octobre 2008), Emile Poulat est interrogé, contredit, écouté par Danièle Masson, qui est un redoutable inquisiteur et un critique parfaitement informé des sortilèges idéologiques contemporains.

Impressionnant, Emile Poulat, par la diversité, le volume, la sûreté de ses connaissances historiques, et souvent par la pertinence de ses observations. Mais il pourrait sans doute, à la manière de Mauriac, dire de Pie X : « Ce saint n’est pas de ma paroisse. » C’est dommage.

Emile Poulat est, en matière d’histoire du catholicisme moderne, l’auteur le plus important et le principal témoin. J’entends qu’on m’objecte : – Le principal ? Le plus ? Mais que faites-vous donc d’Yves Chiron ?
– Patience ! Yves Chiron est sur la voie de devenir nec Poulato impar, mais quand il aura le même âge et autant de travaux accomplis.

Ce livre, France chrétienne, France laïque, est d’une grande richesse. Je n’en fais pas une recension. J’en retiens avant tout un témoignage capital. On cite souvent le jugement de Maritain en 1966, sans tenir compte de son contexte un peu restrictif. Il apercevait dans le catholicisme une fièvre néo-moderniste fort contagieuse, disait-il, auprès de laquelle le modernisme du temps de Pie X lui paraissait n‘être qu’un modeste rhume des foins. L’exagération verbale mise à part, Maritain avait raison. Les élites intellectuelles et sociales du catholicisme vivent aujourd’hui sous la domination d’un modernisme d’une gravité jamais atteinte auparavant.

Les historiens, même catholiques ? Désormais, « ils sont tous modernistes », dit Poulat, « sans toujours le savoir ou l’admettre » (p. 61) : pour eux, « Dieu a cessé d‘être un personnage de l’histoire comme il pouvait l‘être pour Bossuet et encore pour Dom Guéranger ».
D’ailleurs, « on ne peut plus essayer de présenter en Sorbonne une thèse où il apparaîtrait comme tel ». Ce n’est point limité aux historiens, mais l’enseignement historique est ici décisif. La foi chrétienne en effet est la foi en la réalité d’une histoire : le
Décalogue révélé par Dieu à Moïse, l’annonce d’un Messie par les prophètes juifs, l’incarnation de Jésus, vrai Dieu et vrai homme, son enseignement, sa mort, sa résurrection, son Eglise… Quand l’histoire enseignée est moderniste, on aboutit inévitablement à « ce modernisme ambiant et vulgarisé qui traîne aujourd’hui partout » (p. 236). Partout, c’est-à-dire partout dans les hiérarchies de la société civile et de la société ecclésiastique, et surtout chez leurs diplômés de « sciences humaines », leurs docteurs en religieuse et leurs autres stars audiovisuelles.

Il n’est pas indispensable au salut temporel ni au salut éternel d’avoir une philosophie : mais il est indispensable de n’en avoir pas une qui soit mauvaise, fût-ce sans le savoir. Or « le kantisme », dit Poulat, est « la forme d’esprit qui façonne aujourd’hui tout homme normalement constitué. L’homme politique, l’industriel, le scientifique, même catholique, est spontanément kantien » (p. 215). Il ne dit pas : l‘évêque, le commissaire doctrinal, le recteur d’université catholique, mais cela va de soi, il a dit « partout », il a dit « tous », et s’il y a bien sûr quelques rares exceptions, elles sont presque toutes automatiquement marginalisées, aussi bien dans la société ecclésiastique que dans la société civile.

Ce que dit Poulat du modernisme dominant, d’autres l’ont dit, mais ils ne comptent pas, car dansl’Egl ise et dans sa hiérarchie, parler contre la prépotence moderniste fait immédiatement ranger dans la catégorie d’« intégriste », qui est disqualifiante. Mais là il s’agit d’Emile Poulat, qu’il est impossible de soupçonner d’« intégrisme ». Si l’on devait le suspecter de pencher d’un côté, ce serait plutôt du côté « moderniste » et « kantien ». En cela consiste l‘événement. Le témoin est compétent, il sait de quoi il parle, il est la référence reconnue en matière d’« intégrisme » et de « modernisme ». Quelle clarification !

JEAN MADIRAN Article extrait du n° 6707 de Présent, du Vendredi 31 octobre 2008
http://www.present.fr/article-7626-6707.html