Le retour de la messe en latin Le Vatican s'apprête à publier le décret qui autorisera l'ancien rite célébré avant le Concile Vatican II.
Les protestations des évêques français, l'automne dernier, n'y ont rien changé. Dans « quelques jours » précise le Vatican, le « motu proprio », le décret libéralisant la célébration de la messe dans l'ancien rite Pie V, sera publié dans l'Osservatore romano, le journal officiel de l'Eglise catholique. Le document a été présenté à des prélats mercredi et a été envoyé à tous les évêques « avec l'indication de son entrée en vigueur ». Depuis l'arrivée de Benoît XVI sur le trône de saint Pierre, le ton avait singulièrement changé à l'égard des intégristes. Le pape n'a jamais caché son intérêt pour la liturgie à l'ancienne ni son jugement sévère sur les abus des années 70. De plus, tous ses discours sont empreints de son inquiétude, qui tourne à l'obsession, face à la déchristianisation de l'Europe. Il n'a eu de cesse après son élection d'appeler à l'unité de l'Eglise catholique romaine et a réussi à rallier quelques brebis égarées comme le célèbre abbé Laguérie, ancien curé de Saint-Nicolas du Chardonnet, l'église parisienne occupée depuis trente ans, qui s'est hier déclaré « très content ».
Expiation ou don de soi
Le texte fixera probablement des conditions pour la célébration de la messe Pie V, dont l'application sera laissée aux évêques, afin d'éviter le risque du biritualisme dans les paroisses : la messe en langue vernaculaire et dans le rite Paul VI d'après le Concile, le français en France, l'italien en Italie... et la messe en latin dans l'ancien rite avec le prêtre face au tabernacle et le dos tourné.
« Ce n'est pas seulement une guerre de sensibilité », dénonce un prêtre bisontin, qui se refuse à « devenir adepte d'une théologie de l'expiation », préférant « une théologie du don de soi ». En effet, les problèmes soulevés par cette concession aux intégristes, alors que depuis un autre « motu proprio » de 1988, les traditionalistes restés fidèles au pape peuvent déjà célébrer dans l'ancien rite, ne se limitent pas seulement à la langue mais sont aussi d'ordre théologiques et politiques.
Les fidèles de feu Mgr Lefebvre, et même l'abbé Laguérie, n'ont jamais caché leur intention d'influer sur le discours de l'Eglise catholique pour qu'elle renonce aux acquis du concile comme la liberté religieuse, l'oecuménisme, c'est-à-dire le dialogue avec les protestants et les orthodoxes, le dialogue interreligieux avec les autres religions. Dans le missel d'avant 1962 figure notamment une prière du jeudi saint pour les « juifs perfides », que Jean XXIII avait fait supprimer.
Tensions inutiles
En outre, au moins en France, le intégristes défendent des idées politiques issues de l'Action française et Maurras, condamnées en leur temps par Pie XI. Cette vision ante-révolutionnaire ne s'accorde pas du tout au discours développé dès la fin du Concile en 1965. Les évêques français ont bien compris qu'autoriser le retour de l'ancien rite créerait des tensions inutiles, d'autant que la moitié des intégristes du monde entier, soit 40.000 à peu près, vivent sur le territoire national, où ils ont développé un important réseau d'écoles hors contrat.
Les prélats français ont protesté énergiquement auprès du Vatican qui méconnaissait cette situation particulière, si bien que la publication du texte avait été repoussée. A Rome, l'Eglise de France est regardée avec méfiance. C'est dans notre pays qu'il y eut le plus d'expérimentations liturgiques, pas toujours heureuses, sans compter une tradition de contestation qui a trouvé son apogée avec l'affaire Gaillot, l'évêque d'Evreux « débarqué » de son diocèse par Jean Paul II.
L'enjeu de ce qui n'est pas uniquement une querelle des rites a été défini par Mgr Raffin, l'évêque de Metz, peu suspect de progressisme échevelé : « Si elle devait s'installer durablement, cette coexistence entre le rite Paul VI et le rite Pie V finirait par nuire à l'unité de l'Eglise catholique ». Et provoquer, non une réconciliation mais une scission.
Patrick PEROTTO |