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Lettre à un évêque inquiet |
29 Juin 2007 - Valeurs Actuelles - par Michel De Jaeghere, journaliste, écrivain |
Lettre à un évêque inquiet Par Michel De Jaeghere, journaliste, écrivain
On me dit, Monseigneur, que vous êtes inquiet. Que vous multipliez depuis un an les voyages à Rome pour faire connaître au Saint-Père votre préoccupation. Que vous avez exprimé votre angoisse dans des communiqués. Que vous vous y êtes fait le relais des protestations qui montent, dans vos paroisses, des questions que se posent les chaisières, les conseillers synodaux et les diacres mariés.
Vous êtes inquiet et vous avez vos raisons de l’être. L’Espérance est surnaturelle. Elle est, nous dit Péguy, un « désespoir surmonté ». Or, selon une enquête réalisée en octobre 2006 pour le Monde des religions, il ne reste plus que 51 % des Français à se déclarer catholiques. Ils étaient 81 % en 1986. Vous avez perdu en vingt ans près du tiers de votre troupeau. En 2000, pour la première fois, moins de la moitié des enfants nés en France ont été baptisés. Les chiffres ne peuvent donc, à vue humaine, qu’empirer.
La foi de ces catholiques a au surplus de quoi surprendre. 8 % d’entre eux ont en effet déclaré aller à la messe tous les dimanches, 9 % une ou deux fois par mois, 31 % pour les grandes fêtes ; 46 % seulement pour les événements familiaux. 6 % des catholiques n’assistent jamais au moindre office religieux ; 29 % ne prient “jamais”. 12 % ne connaissent pas par cœur le Notre Père, 19 % le Je vous salue Marie. 17 % ne croient pas à l’existence de Dieu (dont 6 % de ceux qui vont deux fois par mois à la messe) ; 30 % n’ont « pas d’opinion ». Comme disait l’un de vos confrères, vous avez « gagné en qualité ce que vous avez perdu en quantité ».
Vous êtes inquiet, Monseigneur, comme un syndic de faillite pourrait l’être. Car vous manquez cruellement de prêtres pour apporter la Bonne Nouvelle à ce peuple désabusé. Au lendemain de Vatican II, les prêtres ont abandonné le sacerdoce par milliers. Vous avez fermé les grands et les petits séminaires. Il y avait 49 100 prêtres diocésains en activité en France en 1965, il n’y en avait plus que 13 510 en 2005 ; au rythme actuel des ordinations (une centaine par an), l’Église de France pourrait ne plus compter, dans dix ans, que 4 500 prêtres de moins de 65 ans. Cette défaillance pose des problèmes incommensurables pour la transmission de la foi, le catéchisme ou la vie sacramentelle. Il y a des communes où l’on ne compte guère plus d’une messe par trimestre. Il y en a d’autres où l’on détruit les églises parce qu’elles sont désaffectées, alors que l’on construit, en France, des mosquées.
Il est vrai qu’il existe des communautés nouvelles vivaces (communautés saint Jean, de l’Emmanuel, saint Martin), et que les communautés traditionnelles sont en relative expansion (une vingtaine d’ordinations par an en France). Mais elles sont éparpillées et irriguent en réalité de petits îlots de vitalité comme les chrétiens d’Orient en pays musulman. L’avenir de la transmission la foi catholique réside dans le réseau des paroisses, et non seulement dans l’existence de communautés ferventes.
Vous êtes inquiet et vous n’êtes pas seul à l’être. Le Saint-Père multiplie les discours pour dénoncer « l’apostasie silencieuse » (le mot est de Jean-Paul II) des pays de vieille chrétienté, la « dictature du relativisme » (celui-là est de Benoît XVI) qui, mieux que le communisme, est sur le point d’éradiquer le christianisme d’Europe occidentale, l’« hédonisme triomphant » qui a fait inscrire dans nos législations tant de lois contraires aux préceptes de la morale naturelle. « S’il ne se passe rien, déclarait le sociologue Marcel Gauchet dans un entretien paru en 2002, on peut dire que dans un siècle, il ne restera en Europe plus grand-chose du christianisme. » (Chrétiens, tournez la page, Bayard).
Au moment de conclure cette lettre, je viens de relire votre communiqué, Monseigneur, et j’avais lu trop vite, je vous demande de me le pardonner. Ce dont vous êtes inquiet, j’ai du mal à le croire, c’est de la publication prochaine d’un décret qui devrait reconnaître droit de cité à la messe grégorienne (celle de saint Pie V). Vous êtes inquiet parce qu’il sera bientôt loisible aux prêtres qui le souhaitent de la célébrer comme vous l’avez célébrée vous-même, quand vous fûtes ordonné. Qu’il vous sera possible d’employer les dizaines de prêtres que vous laissez sans ministère, en exil intérieur, suspects, parce qu’ils la célèbrent. Vous êtes inquiet parce que ce geste pourrait déboucher (premier succès jamais enregistré par l’œcuménisme !) sur la réconciliation avec les fidèles entrés en dissidence après le concile parce qu’ils avaient le sentiment que l’héritage des siècles n’était plus défendu, dans l’Église, comme il le méritait. Je vous avais mal jugé, Monseigneur : je vous avais pris pour un père.
Michel De Jaeghere
Michel De Jaeghere vient de diriger la publication d’un ouvrage collectif : “Le christianisme va-t-il disparaître ?”, éditions Renaissance catholique, 368 pages, 24 e. |
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