SOURCE - Guillaume Luyt - Présent - 15 janvier 2014
«Au Vatican, il y a une nouvelle inquisition catho-progressiste. Elle persécute avec acharnement les Franciscains de l’Immaculée parce qu’ils ont la foi et tant de vocations. C’est une honte! Le pape est-il au courant?» Grâce à ces quelques mots signés de l’écrivain catholique Antonio Socci, en introduction à une vigoureuse tribune en défense de l’ordre fondé par le père Stefano Manelli publiée par le quotidien Libero le 5 janvier, la chape de plomb médiatique qui pesait en Italie sur la liquidation en cours de cette dynamique et très traditionnelle communauté née du concile s’est fissurée.
«Au Vatican, il y a une nouvelle inquisition catho-progressiste. Elle persécute avec acharnement les Franciscains de l’Immaculée parce qu’ils ont la foi et tant de vocations. C’est une honte! Le pape est-il au courant?» Grâce à ces quelques mots signés de l’écrivain catholique Antonio Socci, en introduction à une vigoureuse tribune en défense de l’ordre fondé par le père Stefano Manelli publiée par le quotidien Libero le 5 janvier, la chape de plomb médiatique qui pesait en Italie sur la liquidation en cours de cette dynamique et très traditionnelle communauté née du concile s’est fissurée.
Il faut dire que le 8 décembre 2013, dans une lettre de cinq pages adressée à tous les Frères de l’institut, le commissaire apostolique nommé par Rome, le père Fidenzio Volpi, a tout à la fois fermé le séminaire des Franciscains de l’Immaculée (FI); bloqué les ordinations prévues cette année; interdit les activités éditoriales de la très active maison d’édition des FI (disciples de saint Maximilien Kolbe, une grosse part de leur apostolat est représentée par la production et la diffusion de livres et de revues); suspendu les groupes de laïcs liés aux FI; et calomnié les victimes de ses oukases. Cette missive hallucinante avait mis en ébullition le monde traditionnel italien mais semblait avoir échappé aux grands médias transalpins, trop occupés à célébrer à l’unisson «le nouveau visage donné à l’Eglise» par le pape François.
Il est encore trop tôt pour savoir si l’interpellation de Socci marquera un coup d’arrêt aux persécutions en cours contre les FI mais, si Rome ne corrige pas le tir, il se peut fort que cette affaire finisse par devenir la pierre d’achoppement du nouveau pontificat. Car Socci, qui voit en Bergoglio le pape de la radicalité évangélique, a bien compris que les mesures toujours plus autoritaires, injustes et définitives qui frappent padre Manelli et les siens contredisent trop ouvertement l’enseignement quotidien du pape François pour ne pas mettre en difficulté, à terme, le pape lui-même.
Bien évidemment, comme toute administration, la Curie n’aime pas se renier et, pour l’heure, aucun signe d’une quelconque amélioration n’est perceptible. La salle de presse du Saint-Siège nous a même fait savoir le 14 décembre qu’elle n’avait rien à répondre aux questions que, depuis fin juillet, nous lui avions formulées à propos de la destitution de padre Manelli. Il faut dire que le Saint-Siège a de quoi être gêné car la fureur épuratrice du père Volpi ne connaît pas de limites.
Il suffit de lire quelques lignes de sa missive du 8 décembre – mettre au pas un institut religieux voué à l’Immaculée le jour même de la fête de l’Immaculée Conception, même le diable n’oserait pas le faire! – pour s’en convaincre: «Naturellement, de nombreux laïcs ont été mobilisés dans cette entreprise que j’appellerais, par euphémisme, d’opposition. Je me suis demandé la raison d’une telle frénésie et j’en ai conclu que l’institut était devenu un prétexte à la lutte entre courants curiaux et surtout aux oppositions au nouveau pontificat du pape François. Ce n’est pas un hasard si Fellay en personne en parle.»
En trois phrases, le père Volpi nous offre un summum de langue de buis, d’hypocrisie et de mensonge. Passons-les au crible.
– «De nombreux laïcs ont été mobilisés»: le père Volpi fait en particulier référence aux pétitions lancées sur internet par le professeur De Mattei. Soit. Mais qui, à l’heure numérique, peut encore croire que les laïcs ont besoin «d’être mobilisés» pour se faire entendre alors qu’il suffit de quelques clics pour s’exprimer à la face du monde? Quel Italien, en outre, peut imaginer qu’un homme comme le professeur De Mattei (directeur de revues, écrivain, conférencier, initiateur de la Marche pour la Vie italienne, etc.) ait besoin de se voir dicter sa conduite? Surtout, depuis quand, dans l’Eglise de l’après-concile, la voix des laïcs est-elle méprisable? Quand il s’agit de toucher au dogme, les ecclésiastiques ne sont-ils pas les premiers à se cacher derrière les fidèles pour justifier leurs «ouvertures»?
– «Cette entreprise d’opposition»: une page plus haut, le père Volpi a expliqué avoir rencontré dès sa nomination «une opposition, en interne comme en externe, plus ou moins explicite et virulente». Et s’il ne manque pas d’expliquer que cette opposition est en fait une opposition au pape, qui a approuvé «en forme spécifique» le décret plaçant les Franciscains de l’Immaculée sous commissariat, le père Volpi ne relève à aucun moment la totale obéissance – au point d’en devenir «aveugle» écrivait le père Horovitz le 14 septembre dans nos colonnes – des supérieurs de la communauté, à commencer par le fondateur, le père Stefano Manelli, à chacune des interdictions qui leur ont été faites. La plus élémentaire des charités ne voudrait-elle pas que l’obéissance des supérieurs soit reconnue par le commissaire Volpi? En outre, le dialogue – dont on a cru comprendre qu’il était l’un des fondements de la nouvelle ecclésiologie – ne devrait-il pas l’inciter à s’intéresser aux motifs de l’opposition des laïcs, à les écouter si ce n’est à les comprendre? Non! Le père Volpi ne voit que «frénésie» («spasmodico interessamento» dans la version originale) dans leur mobilisation.
– «Un prétexte à la lutte entre courants curiaux»: terrible affirmation! Car elle est dans le même temps vraie et mensongère et on retrouve bien là toute une forme de pensée et d’expression ecclésiastiques dont on espérait l’Eglise débarrassée grâce à la parole limpide et à la pensée droite de Benoît XVI. L’affirmation est vraie car il est désormais clair que l’affaire des FI est l’oeuvre d’une faction. En ce sens, le père Volpi sait de quoi il parle, lui qui est aujourd’hui le bras exécuteur au service de cette faction. Mais elle est aussi extraordinairement fausse car il n’y a pas de «lutte entre courants curiaux»: tout simplement parce qu’il n’existe pas de courant curial opposé à celui du commissaire Volpi! S’il existait un courant curial contraire à celui des fossoyeurs des FI, il se manifesterait et, surtout, se serait déjà manifesté sous Benoît XVI lors du déclenchement de la visite apostolique. Ce courant n’aurait pas laissé passer le fait que le visiteur apostolique, contrairement à la praxis romaine qui veut que les visites soient conduites par des personnes neutres voire bienveillantes envers la communauté qu’elles doivent visiter, avait des préjugés négatifs à l’encontre des Franciscains de l’Immaculée; si ce courant existait, il aurait dénoncé l’anormalité flagrante de la visite apostolique qui a été réduite à un questionnaire pour le moins tendancieux (1); si ce courant existait, il aurait mis en garde le pape François contre l’instrumentalisation de sa signature dans une telle affaire; si ce courant existait, il aurait défendu padre Manelli; si ce courant existait, il se serait tout simplement exprimé. Non, ce courant n’existe pas et le père Volpi le sait mieux que quiconque.
– «Aux oppositions au nouveau pontificat»: il est vrai que certains des défenseurs des FI, à commencer par le professeur De Mattei, ont exprimé des critiques envers le style et les orientations du nouveau pontificat, mais quel rapport cela a-t-il avec l’affaire qui nous occupe? Sauf à sous-entendre que les Franciscains de l’Immaculée sont un prétexte utilisé par certains pour attaquer le pape? Voire, que les FI eux-mêmes sont des opposants au pape François? De drôles d’opposants, ayant choisi le silence et l’obéissance malgré l’injustice…
– «Ce n’est pas un hasard si Fellay en parle»: nous y sommes enfin! La réduction ad lefebvrianum! Le point Godwin de toute discussion post-conciliaire! Fellay (pour écrire comme Volpi qui semble avoir déjà réduit à l’état laïc le supérieur de la Fraternité Saint-Pie X) «en parle»: c’est donc la preuve que Rome a bien fait de s’en prendre aux FI. Dans un autre courrier, au vaticaniste du journal turinois La Stampa, le commissaire lâche carrément le morceau et parle de la «dérive crypto-lefebriste et sûrement traditionaliste» dont se plaignaient au père Manelli en 2012 ses détracteurs. Voici donc le noeud de l’affaire: la dérive «sûrement traditionaliste» des FI. Sans vouloir commenter la valeur doctrinale de l’accusation (quel pape a condamné le traditionalisme? dans quel document?), il est sidérant que la prétendue question doctrinale soit soulevée ainsi, au détour d’une phrase. Quelles sont, en outre, les compétences du père Volpi en la matière? Et n’existe-t-il pas, au Vatican, une congrégation précisément chargée des questions doctrinales, justement nommée «Congrégation pour la doctrine de la foi»? Une congrégation que nul n’a, non seulement, jamais entendu critiquer les FI mais qui, surtout, depuis des années, dialogue avec Fellay et les «lefebvristes», sur mandat exprès du pape…
Cette analyse poussée de ces quelques lignes signées du père Volpi n’a d’autre ambition que de montrer combien le traitement réservé aux Franciscains de l’Immaculée n’a rien de canonique, rien de fraternel, rien de prudentiel, mais est purement et simplement idéologique. Faut-il rappeler que, dans le cas des Légionnaires du Christ, pour des actes délictueux avérés et répétés, le fondateur n’a été ni destitué ni condamné mais que Rome s’est contentée de sa démission? Faut-il rappeler la patience avec laquelle Rome traite la conférence des religieuses américaines (LCWR), longtemps ouvertement en dissidence avec l’Eglise sur les questions aussi bien morales que doctrinales? Faut-il apprendre au père Volpi qu’en réaction à la publication du rapport de la Congrégation pour la doctrine de la foi de 2012 appelant à leur retour au bercail, ces religieuses ont répondu par l’expression de leur «déception» et la conviction que leur «vie religieuse» ne devait pas «être compromise» par la décision romaine? Faut-il citer les paroles d’un ancien supérieur de la Conférence religieuse canadienne qui qualifiait cette même décision romaine concernant la LCWR de «geste malhabile, inacceptable et irrespectueux»?
Benoît XVI le savait, les cardinaux ayant élu le pape François aussi: il y a quelque chose de pourri au sein de la Curie romaine. Et, à en juger par la lettre du père Volpi, ce quelque chose de pourri ne craint plus de se propager au grand jour…
Guillaume Luyt
(1) Alors que les FI sont présents et florissants aux Philippines, au Bénin et aux Etats-Unis, le visiteur apostolique n’a pas jugé utile de mettre les pieds hors d’Italie et nul ne sait précisément quelles maisons il a visitées en Italie. Ce qui est sûr, c’est qu’il n’a pas visité le séminaire puisqu’en mars 2013 ce sont les séminaristes eux-mêmes qui ont pris l’initiative de lui écrire pour lui témoigner de leur état d’esprit (favorable à leurs supérieurs).
Et si?
Contrairement à ce qu’écrivent aussi bien certains défenseurs de la mise sous tutelle des Franciscains de l’Immaculée que certains de leurs opposants tradis, le cardinal Braz de Aviz, Préfet de la Congrégation pour les Instituts de Vie consacrée et les Sociétés de Vie apostolique, n’est pas dans les petits papiers du pape. Fin octobre, le vaticaniste Marco Tosatti l’a annoncé en sursis, destiné probablement au siège d’Aparecida, le grand sanctuaire marial brésilien. Le changement de préfet à la tête de la congrégation pourrait donc bien fournir au Saint-Père une occasion parfaite, car naturelle, pour exiger un changement de ligne dans le traitement scandaleux réservé aux disciples de padre Pio et de saint Maximilien Kolbe. — G.L.
Article extrait du n° 8021 de Présent, du Mercredi 15 janvier 2014