10 juillet 2018

[Jean-Marie Guénois - Le Figaro] Chez les lefebvristes, une élection décisive pour le rapprochement avec Rome

SOURCE - Jean-Marie Guénois - Le Figaro - 10 juillet 2018

La normalisation des rapports de la Fraternité Saint-Pie X avec le Vatican dépendra du nouveau supérieur.

Le dossier «Écône» pourrait revenir dans l'actualité. Écône, c'est d'abord le nom d'un village fleuri, posé à flanc de montagne, dans le Valais suisse. Mais Écône est surtout un symbole mondial depuis le 30 juin 1988. Mgr Marcel Lefebvre - chef de file de l'opposition aux évolutions du concile Vatican II - ordonnait alors quatre évêques, contre l'avis de Rome. Il entendait assurer l'avenir de la Fraternité Saint-Pie X qu'il avait fondée. Mais il ouvrait de facto une forme de schisme avec Rome. Ses fidèles et ses prêtres étaient alors qualifiés «d'intégristes». Cette rupture historique marqua le pontificat de Jean-Paul II. Elle est en partie résolue aujourd'hui, mais le lien avec Rome n'est pas encore rétabli.

Mgr Lefebvre. mort en 1991, repose dans le prieuré d'Écône. qui est aussi l'un des importants séminaires de la Fraternité (lire ici-dessous). Son successeur. Mgr Bernard Fellay, de nationalité suisse, élu en 1994 - l‘un des quatre évêques qu‘il avait ordonnés - arrive aujourd'hui à la fin d'un deuxième mandat de supérieur général. On saura ce mercredi si les 41 membres du «Chapitre général» réunis à Ecône jusqu'au 11 juillet, vont le reconduire ou non pour un troisième mandat de douze ans. Du résultat pourrait dépendre un déblocage de ce que l'on a appelé «l'affaire Lefebvre». Avec, à terme, le rétablissement de relations formelles entre la Fraternité et le Saint -Siège.

« Les résistants »

Non pas que Mgr Fellay, s‘il est réélu - il est le favori - soit opposé à une normalisation des relations avec Rome. Mais tant au Vatican qu'à Écône, aucune discussion sérieuse ne pouvait être envisagée ces derniers temps sans que celuiqui est amené à présider aux destinées de la Fraternité Saint-Pie X pour les douze années à venir soit connu ou confirmé.

Comme dans toute élection religieuse, il n'y a pas de candidature. Plusieurs autres noms circulent. On parle d‘un Italien, l'abbé Davide Pagliarani, d'un Français, l'abbé Patrick Duverger, d'un Suisse, Firmin Udressy. Pour élire un supérieur général, les deux tiers des 41 capitulants doivent s‘unir sur un nom. Tous votent à bulletins secrets.

Cette élection ne va toutefois pas débloquer d'un coup de baguette magique ce dossier épineux, mais elle pourrait créer les conditions d'un accord final avec Rome.

Il y a bien sûr des opposants à ce rapprochement, au sein de la Fraternité. Ils sont plutôt présents en France et se dénomment «les résistants». Mais ils ont peu voix au chapitre, pourrait-on dire, au sens figuré comme au sens propre, car ils n'auraient pas les voix pour s‘imposer. D'ailleurs, le tristement célèbre Mgr Richard Williamson - l‘un des quatre évêques ordonnés par Mgr Lefebvre - qui avait défrayé la chronique par ses propos négationnistes et avait été exclu de la Fraternité Saint-Pie X en 20l2, ne participe pas a cette réunion. ll vit désormais en Angleterre, son pays natal, où il a lui-même ordonné trois évoques en rupture avec Rome et avec Écône.

A dire vrai, et selon des sources internes bien informées, la tendance dominante n'est donc pas dans l'éloignement de Rome mais dans une problématique de lent rapprochement. Les divergences ne portent pas sur le principe, mais sur la méthode, les conditions, et le calendrier.

Paradoxalement en effet, le pontificat du pape François, qui hérisse les lefebvristes avec ses avancées interreligieuses et œcuméniques, a déglacé la situation par un changement total de méthode.

En théologien scrupuleux. le pape Benoît XVI - qui a tout de même levé les excommunications des évêques ordonnés par Mgr Lefebvre tout en rétablissant, à titre extraordinaire, le rite ancien de la messe en latin - avait créé une commission d'évaluation théologique des désaccords pour trouver la réconciliation. Elle s’est soldée par un échec tant les débats, notamment sur l’œcuménisme et sur le dialogue interreligieux, sont importants a propos du concile Vatican II.

Vers le traditionalisme

En pasteur, le pape argentin ne s'occupe pas des querelles théologiques mais regarde plutôt les prêtres et leur apostolat qu'il appréciait en Argentine.

Ce qui a fait dire à Mgr Fellay, le 28 juin 2018 dans le journal allemand le Tagespost, qu'il est «optimiste» pour une réconciliation dans le cadre d'une «prélature» où la Fraternité garderait une autonomie tout en répondant directement au Pape.

A suivre, donc, mais «le traditionalisme n'est pas en voie de disparition, conclut Gérard Leclerc, auteur de Rome et les lefebvristes (Salvator). Bien au contraire, dans l'Eglise catholique, l‘équilibre se porte vers le traditionalisme».