SOURCE - Henri Tincq - Le Monde - 30 août 2005
Le tapis rouge n'a pas été déroulé, lundi 29 août, à Castelgandolfo, pour la réception de Mgr Bernard Fellay, supérieur général de la Fraternité schismatique Saint-Pie X. Mais cette première rencontre entre Benoît XVI et le chef de file des catholiques traditionalistes avait valeur de reconnaissance pour les "brebis égarées" de Vatican II (1962-1965). Jamais depuis la rébellion de Mgr Lefebvre, porte-parole de la minorité du concile hostile aux réformes, un évêque excommunié par Jean Paul II n'avait franchi la porte du Vatican. C'est chose faite. Il n'y a pas eu de bulletin de victoire après ce huis clos de trente-cinq minutes entre Benoît XVI et Mgr Fellay. Le schisme est loin d'être surmonté, mais au moins la glace a-t-elle été brisée... L'entretien a donné lieu à un communiqué de Joaquin Navarro-Valls, porte-parole du Vatican, qui a pris soin de rappeler que le rendez-vous avait été demandé par les traditionalistes. Selon lui, la rencontre a manifesté "un climat d'amour pour l'Eglise et de désir d'arriver à la pleine communion" , c'est-à-dire à la réintégration des fidèles schismatiques.
Mgr Fellay, aussi, a fait preuve de courtoisie en rappelant que "la Fraternité Saint-Pie X était toujours attachée et le sera toujours au Saint-Siège, à la Rome éternelle" et qu'elle priait "afin que le Saint Père puisse trouver la force de mettre fin à la crise de l'Eglise en restaurant toutes choses dans le Christ" , selon la formule de Pie X, le pape le plus conservateur du XXe siècle.
Benoît XVI et Mgr Fellay sont tombés d'accord pour "procéder par étapes et dans des délais raisonnables" . Mais aucun calendrier n'a été fixé. Aucune partie n'a désigné ses négociateurs, même si on peut supposer que, du côté du Vatican, c'est la commission Ecclesia Dei, présidée par le cardinal colombien Castrillon-Hoyos présent lors de l'entretien , qui sera chargée d'entretenir le contact. Cette commission avait été fondée au lendemain du schisme de 1988, dans le but de rallier les "lefebvristes".
Le pape n'a pris aucun engagement sur les deux points réclamés par Mgr Fellay : la levée du décret d'excommunication des quatre évêques dont lui-même consacrés par Mgr Lefebvre en 1988 et l'extension du droit de célébrer la messe selon le rite ancien de l'Eglise (en latin, selon le rite dit de saint Pie V). Au Vatican, on laisse entendre que si de nouvelles facilités pourraient être trouvées pour la messe en latin, la levée de l'excommunication est plus difficilement envisageable. Quel serait, en effet, le statut des quatre évêques consacrés en 1988 sans l'autorisation du pape et des prêtres (environ 400) ordonnés par des évêques excommuniés ?
Le pronostic sur l'avenir de ce dialogue est extrêmement réservé. La position de Mgr Fellay est fragile dans la famille traditionaliste, où le rapprochement avec le Vatican suscite de violentes oppositions. Un groupe se réclamant de la "majorité silencieuse des laïcs traditionalistes qui craignent une autodestruction" s'est constitué en "canal historique de la Fraternité" . Il vient d'ouvrir un site Internet et de publier un Manifeste qui, louant le "combat de géant de Mgr Lefebvre" , s'en prend à son successeur, Mgr Fellay, dont il dénonce "les compromis, les lâchetés, les abandons, les trahisons".
Benoît XVI bénéficie d'une bonne cote chez les traditionalistes, qui louent l'orthodoxie doctrinale de l'ex-cardinal Ratzinger, son attachement à l'ancienne liturgie, ses positions plus prudentes que celles de Jean Paul II dans le dialogue interreligieux. C'est "celui qui connaît le mieux notre dossier" , dit-on au siège de la Fraternité Saint-Pie X.
Mais la réintégration des traditionalistes paraît illusoire, alors que rien n'est réglé sur le fond : désaccord sur la "nouvelle messe", hostilité à toute forme de dialogue avec les autres religions... Ils affirment vouloir se réconcilier avec Benoît XVI, tout en protestant contre sa visite à la synagogue de Cologne et après avoir combattu tous les gestes de rapprochement avec les juifs accomplis par Jean Paul II. Or le nouveau pape a fait du dialogue interreligieux la priorité de son pontificat. C'est pour lui un terrain non négociable.
Henri Tincq - Article paru dans l'édition du 31.08.05
Le tapis rouge n'a pas été déroulé, lundi 29 août, à Castelgandolfo, pour la réception de Mgr Bernard Fellay, supérieur général de la Fraternité schismatique Saint-Pie X. Mais cette première rencontre entre Benoît XVI et le chef de file des catholiques traditionalistes avait valeur de reconnaissance pour les "brebis égarées" de Vatican II (1962-1965). Jamais depuis la rébellion de Mgr Lefebvre, porte-parole de la minorité du concile hostile aux réformes, un évêque excommunié par Jean Paul II n'avait franchi la porte du Vatican. C'est chose faite. Il n'y a pas eu de bulletin de victoire après ce huis clos de trente-cinq minutes entre Benoît XVI et Mgr Fellay. Le schisme est loin d'être surmonté, mais au moins la glace a-t-elle été brisée... L'entretien a donné lieu à un communiqué de Joaquin Navarro-Valls, porte-parole du Vatican, qui a pris soin de rappeler que le rendez-vous avait été demandé par les traditionalistes. Selon lui, la rencontre a manifesté "un climat d'amour pour l'Eglise et de désir d'arriver à la pleine communion" , c'est-à-dire à la réintégration des fidèles schismatiques.
Mgr Fellay, aussi, a fait preuve de courtoisie en rappelant que "la Fraternité Saint-Pie X était toujours attachée et le sera toujours au Saint-Siège, à la Rome éternelle" et qu'elle priait "afin que le Saint Père puisse trouver la force de mettre fin à la crise de l'Eglise en restaurant toutes choses dans le Christ" , selon la formule de Pie X, le pape le plus conservateur du XXe siècle.
Benoît XVI et Mgr Fellay sont tombés d'accord pour "procéder par étapes et dans des délais raisonnables" . Mais aucun calendrier n'a été fixé. Aucune partie n'a désigné ses négociateurs, même si on peut supposer que, du côté du Vatican, c'est la commission Ecclesia Dei, présidée par le cardinal colombien Castrillon-Hoyos présent lors de l'entretien , qui sera chargée d'entretenir le contact. Cette commission avait été fondée au lendemain du schisme de 1988, dans le but de rallier les "lefebvristes".
Le pape n'a pris aucun engagement sur les deux points réclamés par Mgr Fellay : la levée du décret d'excommunication des quatre évêques dont lui-même consacrés par Mgr Lefebvre en 1988 et l'extension du droit de célébrer la messe selon le rite ancien de l'Eglise (en latin, selon le rite dit de saint Pie V). Au Vatican, on laisse entendre que si de nouvelles facilités pourraient être trouvées pour la messe en latin, la levée de l'excommunication est plus difficilement envisageable. Quel serait, en effet, le statut des quatre évêques consacrés en 1988 sans l'autorisation du pape et des prêtres (environ 400) ordonnés par des évêques excommuniés ?
Le pronostic sur l'avenir de ce dialogue est extrêmement réservé. La position de Mgr Fellay est fragile dans la famille traditionaliste, où le rapprochement avec le Vatican suscite de violentes oppositions. Un groupe se réclamant de la "majorité silencieuse des laïcs traditionalistes qui craignent une autodestruction" s'est constitué en "canal historique de la Fraternité" . Il vient d'ouvrir un site Internet et de publier un Manifeste qui, louant le "combat de géant de Mgr Lefebvre" , s'en prend à son successeur, Mgr Fellay, dont il dénonce "les compromis, les lâchetés, les abandons, les trahisons".
Benoît XVI bénéficie d'une bonne cote chez les traditionalistes, qui louent l'orthodoxie doctrinale de l'ex-cardinal Ratzinger, son attachement à l'ancienne liturgie, ses positions plus prudentes que celles de Jean Paul II dans le dialogue interreligieux. C'est "celui qui connaît le mieux notre dossier" , dit-on au siège de la Fraternité Saint-Pie X.
Mais la réintégration des traditionalistes paraît illusoire, alors que rien n'est réglé sur le fond : désaccord sur la "nouvelle messe", hostilité à toute forme de dialogue avec les autres religions... Ils affirment vouloir se réconcilier avec Benoît XVI, tout en protestant contre sa visite à la synagogue de Cologne et après avoir combattu tous les gestes de rapprochement avec les juifs accomplis par Jean Paul II. Or le nouveau pape a fait du dialogue interreligieux la priorité de son pontificat. C'est pour lui un terrain non négociable.
Henri Tincq - Article paru dans l'édition du 31.08.05