André Beauregard, théologien québécois, s’interroge sur la pertinence de revenir à un rite d’avant le Concile Vatican II.
Dans un article antérieur, je présentais mes interrogations au sujet d’une « pastorale tridentine » dans le diocèse de Fribourg. En poursuivant ma réflexion, j’aimerais insister sur le danger du retour à la messe de Pie V, tel que proposé par le dernier Motu Proprio du pape Benoît XVI. Plusieurs éléments dogmatiques, théologiques et pastoraux entrent en ligne de compte. J’aimerais en proposer quelques-uns en vue d’une réflexion plus critique auprès de l’ensemble du « Peuple de Dieu », Le 8 septembre 1907, le pape Pie X présentait une lettre encyclique sur les erreurs du modernisme intitulé Pasceendi Domini Gregis. Cette lettre s’adressait : « Aux Patriarches, Primats, Archevêques et Evêques, en grâce et communion avec le Siège Apostolique. » Il est intéressant à noter qu’au paragraphe 36, le pape propose à ses lecteurs cette question : « Voyez-vous poindre ici, Vénérables Frères, cette doctrine pernicieuse qui veut faire des laïques, dans l’Eglise, un facteur de progrès ? ». Cela en disait long de la mentalité de l’époque. Pourtant il y a eu le Concile Vatican II qui rappelle, au contraire des dires du pape Pie X, l’importance des laïcs dans l’Église dans la constitution dogmatique Lumen Gentium (L.G.) et la constitution pastorale L’apostolat des laïcs. Ce détour historique n’est pas innocent. Il montre l’importance du dernier concile pour pallier à des situations voire des erreurs que l’on se devait de corriger. L’une d’elles a été aussi le rôle de l’ensemble du collège des évêques en référence au pape. Rappelons qu’au Concile Vatican I, dans un contexte politique bien particulier (les soldats piedmontais étaient aux portes du Vatican), on a affirmé l’infaillibilité du pape. Il devait donc avoir une correction ou du moins un ajout au rôle du pape, ce qui fut fait au Concile Vatican II. Cela va me permettre de mieux expliquer ma position face au dernier Motu proprio du pape Benoît XVI. Une petite histoire Sur le site Wikipédia, on présente ainsi la définition d’un Motu proprio. « En diplomatie vaticane, un motu proprio (en latin de son propre chef ») est une lettre apostolique émise par le pape de sa propre initiative. Un motu proprio est signé personnellement, en latin, par le pape. Il n’est ni scellé ni contresigné. Il est ordinairement rédigé en latin ou en italien. Il est composé de deux parties : • un exposé des raisons qui poussent le pape à prendre une décision […] • une énumération des mesures décrétées. » Il est important de noter que ce Motu proprio n’est pas touché par l’infaillibilité pontificale. C’est une question disciplinaire et non dogmatique. Cependant ce Motu proprio n’est pas une consultation auprès des collègues évêques mais bien un ordre qui devra être mis en place le 14 septembre prochain. Réactions à la lettre du Pape Benoît XVI à ses frères dans l’Épiscopat Certes, par sa fonction de Pontife de l’Église universelle, il a la liberté d’offrir à l’ensemble du peuple chrétien, certaines préoccupations et certains moyens d’y faire face. Cette fois-ci, il a été dit que le pape avait envoyé ce texte à tous les évêques avant de rendre public son motu proprio. Et jeudi dernier, 5 juillet, les évêques recevaient une longue lettre explicative, pour compléter l’envoi antérieur du document. Il y a donc ici un lien entre le pape et le collège épiscopal. Ici arrive ma première interrogation. Alors que le Concile avait voulu rendre actives la participation et la responsabilité des évêques, voici qu’ici ils se retrouvent devant un fait accompli qu’ils ont à appliquer. Ce qui me semble plus sérieux, c’est que ce retour au passé ignore totalement les avancées du Concile Vatican II et le consensus de la presque unanimité des Pères de l’Église de l’époque à vouloir se tourner désormais vers l’avenir. Ici, me semble-t-il, le motu proprio va à l’encontre des décisions d’un concile Vatican II et n’a pas été soumis à une assemblée synodale. Bien plus, cette lettre apostolique ne touche pas que la forme mais bien le fond de la pensée de l’Église dans son ensemble. On est face à deux conceptions de l’Église (dont l’ambiguïté, hélas, persiste dans L.G.), qui s’opposent davantage que se complètent. L’histoire récente du passé montre clairement que ces deux conceptions ne peuvent cohabiter ensemble dans la pratique pastorale des tentatives de rapprocher le message évangélique des enjeux d’aujourd’hui. Elles sont diamétralement opposées. Certes, certains diront que le dernier concile n’a pas affirmé, dans un texte, le rejet de la messe du pape Pie V. Mais l’exemple du petit extrait de l’encyclique de Pie X, au début de mon analyse, montre que, sans affirmer clairement ses erreurs, les conciles les corrigent sans vouloir y revenir. On pourrait aussi ajouter le rejet de tous les « anathèmes » du concile de Trente, devenus obsolètes dans notre monde d’aujourd’hui ! Même si le pape affirme que la crainte d’ « amenuiser ainsi l’Autorité du Concile Vatican II », sa démonstration ne convainc nullement un lecteur critique de l’évolution de l’Église depuis le début de son histoire. Il parle de « forme extraordinaire » du missel de Jean XXIII. Cependant le Motu proprio que nous analyserons ultérieurement nuance voire contredit ce propos. Certes un Concile n’abroge jamais explicitement les formes passées, ce qui ne signifie pas, pour autant, que dans la pratique, elles sont abrogées de fait. Ici la lettre utilise cette argumentation pour montrer que l’ancienne forme est encore juridiquement à propos. Je vois aussi davantage une critique des formes modernes de certaines liturgies que des critiques d’une exagération des formes anciennes. Si les premières ont pu blesser des personnes, comme le mentionne le texte, qui prouve que les secondes ne le feront pas non plus, dans les efforts entrepris pour moderniser les pratiques liturgiques et pastorales de l‘Église ? Ce qui m’étonne dans le texte, c’est qu’il semble que la vie et l’actualité de l’Église s’actualisent que par sa forme sacramentelle et liturgique. Il me semble pourtant que le texte conciliaire L’Église dans le monde de ce temps, avait une tout autre approche et incluait la dimension liturgique à l’ensemble de la vie de l’Église. Le propos ici me semble amener à isoler la liturgie de la vie communautaire voire extra-ecclésiale. Il parle aussi des personnes jeunes qui se sentent attirées par cette forme « tridentine » de la vie de l’Église. Une seule question : est-ce là le réel avenir de l’Église ? Va-t-on, par cela unir les communautés pastorales ou les diviser davantage ? Est-ce un retour à la fonction de l’Église comme rôle presque exclusif dans sa forme liturgique et sacramentaire ? Que fait-on de la fonction évangélisatrice dans un monde absent des enjeux ecclésiaux ? La réponse apportée par le texte est peu convaincante. Le texte du Motu proprio Summorum Pontificum D’abord je note que les destinataires de ce Motu proprio ne sont pas mentionnés. Jean-Paul II nous avait habitués, dans l’introduction de ses encycliques, à inclure tout le Peuple de Dieu dans ses messages. Prenons l’exemple de son encyclique Redemptor hominis, son premier texte publié le 4 mars 1979 et qui commençait ainsi : « À ses frères dans l’épiscopat, aux prêtres, aux familles religieuses, à ses fils et filles dans l’Église et À tous les homme de bonne volonté au début de son ministère épiscopal ». Ici nous n’avons aucune mention explicite. Plusieurs articles du Motu Proprio posent des questions qui rejoignent les pratiques pastorales des divers intervenants. L’article 5.3, autorisant les curés d’utiliser le rite ancien pour les autres sacrements me semble poser un problème important. Comment quelqu’un qui a lutté contre des fortes pressions conservatrices dans sa paroisse, pour maintenir une vie plus adaptée au monde d’aujourd’hui, pourra-t-il gérer les demandes de retour à l’ancien alors que lui-même a oublié et n’est pas préparé à revenir à ces formes anciennes ? Et dans les faits, depuis le schisme avec Mgr Lefebvre, on a très peu vu des gens de son école s’ouvrir aux dimensions modernes de notre chrétienté. Comment, dans un tel contexte, peut-on prévoir un dialogue sain et complémentaire ? Il est intéressant à noter que le pape, dans son exposé des raisons, emploie l’expression de « nombreuses langues vulgaires » alors qu’à l’article 6, il parlera de langue « vernaculaire », ce qui me semble plus poli et plus juste. On voit aussi les nouvelles responsabilités qui incomberont aux évêques pour intervenir ou médiatiser les situations critiques, par les refus de certains curés (article 7). Est-ce souhaitable ? L’article 10 m’apparaît aussi très contestable. On dit ceci : ‘S’il le juge opportun, l’Ordinaire du lieu a le droit d’ériger une paroisse personnelle au titre du canon 518, pour les célébrations selon la forme ancienne d rite romain, ou de nommer soit un recteur soit une chapelain, en observant les règles du droit ». En fait, tout en parlant d’unité, on consacre ainsi la séparation des deux rites dans des structures éventuelles qui, en mon humble avis, ne déboucheront pas sur un dialogue mutuel. Collégialité, pouvoir et éthique Cependant, ce retour à une forme passée crée un dangereux précédent en ignorant les avancées d’un concile, celui de Vatican II, et porte ainsi atteinte au respect des décisions prises en collégialité. Il est à noter que depuis son accession au pontificat, Benoît XVI a dû, par deux fois au moins, corriger ses dires. La première fois l’oblige à adoucir et à compléter ses propos de Ratisbonne au sujet de sa docte présentation sur l’Islam. Le second fait suite à son voyage au Brésil où il a dû reconnaître, à son retour à Rome, que l’évangélisation des peuples d’Amérique du Sud n’avait pas toujours tenu compte des diverses cultures. En fait il reconnaissait certains effets néfastes de l’évangélisation, du moins dans ses formes historiques. Je rappelle brièvement ce que j’évoquais dans mon précédent article. Le concile Vatican II, sous l’impulsion prophétique de Jean XXIII, a voulu être un concile pastoral, justement pour contrecarrer les effets tridentins. Par exemple du « Saint Sacrifice de la messe », on est passé au « repas eucharistique », au « Sacrement de la Communion ». Du « Sacrement de Pénitence », on évoquera plutôt le « Sacrement de Réconciliation ». Tous ces changements de termes montraient l’insistance communautaire, répondant à l’ecclésiologie du Peuple de Dieu, discours d’ailleurs encore tenu par la plupart des agents pastoraux. On veut donc inclure les gens dans la compréhension, d’une part, et dans le dynamisme, d’autre part, du sacrement lui-même. Il n’est pas question de les rendre des spectateurs passifs. Or il faut être conscient que ce retour davantage stratégique (voire politique) que pastoral à l’époque tridentine risque d’effacer tous ces efforts. Golias, dans son édition du 6 juillet 2007, rappelait que « même un historien du culte aussi peu suspect de progressisme que Dom Oury, moine de Solesmes, n’a cessé d’établir : la messe actuelle est plus authentiquement traditionnelle que l’ancienne. » Il est clair que ce retour en arrière, reconnu comme stratégique en vue de réintégrer ceux et celles que l’on qualifie d’« intégristes », n’aide en rien l’évolution d’une certaine Église essoufflée et peu ouverte à une certaine modernité. Est-ce que la Tradition s’oppose à la modernité ? Voilà un débat intéressant que ce retour en arrière ne peut oublier. Plus fondamentalement, on est face à un acte de pouvoir qui, dans son application, risque de montrer la futilité des avancées du dernier concile. Alors que les évêques, en majorité, prônent l’adhésion totale aux fondements et aux visées de Vatican II, voici qu’on leur met dans les pattes un obstacle majeur qui rend presque futile l’effort accompli depuis la fin des années soixante. Comment un évêque (à l’exception de ceux qui ont toujours imploré un retour au rite ancien) peut-il à la fois maintenir ses propos au sujet des avancées de l’Église et défendre une position, fut-elle accessoire, du type du Motu proprio ? J’aimerais bien entendre la conférence des évêques français à ce sujet, eux qui ont dû lutter fermement contre la montée de cet intégrisme et qui ont à faire face actuellement à une désaffection grave de leurs lieux de culte et de leur clergé. Ce geste du pape Benoît XVI me semble unilatéral et sans dialogue possible sur son fondement et ses conséquences. C’est l’exercice d’un pouvoir, relent d’une époque révolue, qui ne convaincra certes pas les chrétiens d’aujourd’hui, encore plus ceux et celles qui ont pris leur distance. Est-ce une nouvelle forme de lettre apostolique antimoderniste comme celle de Pie X en 1907 ? La question se pose. Comme théologien et comme croyant, je me dois aussi me poser une question au sujet de l’éthique « papale » dans un tel contexte. En plus de ne pas avoir pris en compte les opinions de l’ensemble du collège épiscopal, le pape revient à un comportement plusieurs fois condamné dans le passé. Si le respect du Peuple de Dieu, tel que défini dans L. G. s’exerçait dans toute son acuité, il serait impensable de relancer un tel débat sur la place publique alors que l’on sait très bien les torts causés par les attitudes des gens dits conservateurs voire intégristes. Dans l’article cité, je parlais de l’attitude à avoir en fonction des chrétiens « hors les murs ». Je doute fort que ce retour au passé s’adresse à ce genre de « clientèle ». C’est pour cela que je me permets même de critiquer l’éthique qui sous-tend un tel texte. Certes on trouvera toujours des arguments pour justifier ce retour au passé. Sont-ils suffisants pour contrer les effets d’un monde de l’instantané, des médias et des communications ? Vatican II a voulu inclure dans le dynamisme même de sa vie interne et externe l’ensemble du peuple de Dieu. Les préoccupations pastorales des autorités, incluant Benoît XVI, sont-elles d’élever les cœurs par des liturgies peu fréquentées ou de se tourner vers ceux et celles qui voudraient tant croire mais ne se reconnaissent pas dans le fond et la forme qu’on leur présente d’une Église évangélisatrice ? Par cet acte, le pape vient de mettre un frein à cet élan. Quelques questions Dans un tel contexte, comment peut-on justifier un tel retour à une langue morte et à un rituel dépassé, qui réinsiste sur une pratique absolutiste où le prêtre devient une personne sacrée et le peuple de Dieu, des fidèles passifs ? On a vu, avec les situations de pédophilie, toute l’importance accordée aux prêtres que l’on descendait du pied d’estale pour les juger, même à tort parfois. Ils sont, pour la plupart, tombés de très haut. Or cette affirmation du rôle démesuré du prêtre risque encore de créer des divisions et de faire en sorte que l’on crée des situations qui éloignent encore plus les chrétiens et les chrétiennes « de la base ». On maintient ainsi sur une image surévaluée et fausse du prêtre que, par cette langue incomprise et par un rite presque intimiste entre le prêtre et la messe, l’on a essayé de maintenir en un « monde à part ». Cette époque est révolue. Or, hélas, on retrouve encore certains clercs qui se cachent derrière leur statut pour ne pas se confronter au monde d’aujourd’hui. Bien plus, ces derniers entretiennent aussi des liens avec les laïcs, créant une distance volontaire et montrant leur « pouvoir » sur leurs consciences. Ils n’attendent que cette distance culturelle pour affermir leur autorité. Est-ce cette Église que nous voulons ? Si l’on écoutait simplement le gros bon sens des gens, encore attachés à leur Église, et qui se disent entre eux, bien naïvement : « On parle d’un retour au latin : mais ce n’est pas possible ! ». André Beauregard |