Benoît XVI organise le repli sur la doctrine |
21 juillet 2007 - par Paul Thibaud, président de l'Amitié judéo-chrétienne de France - lemonde.fr |
Le motu proprio sur la liturgie a reconnu que ceux qui s'obstinent à utiliser le missel de Pie V, et non celui de Paul VI, avaient une manière particulière, "extraordinaire" mais légitime, de pratiquer le rite catholique. D'un missel à l'autre, la langue n'est pas la seule différence. Si, le pape ayant exclu du champ ouvert au pluralisme liturgique les célébrations de la semaine pascale, les messalisants de l'espèce extraordinaire ne pourront pas prier le Vendredi saint pour la conversion des juifs, ils pourront ignorer toute l'année les nombreux textes de l'Ancien Testament qu'on lit à la messe depuis Vatican II. On peut craindre que les messes traditionalistes ainsi reconnues permettent à un intégrisme désormais légitime de se regrouper et de s'étendre. A travers le conservatisme linguistique, s'exprime une passion plus générale, celle d'affirmer "l'inerrance" de l'institution catholique et la fixité de ses formules dogmatiques. Le texte sur la célébration de la messe a été suivi, quelques jours après, d'une déclaration de la Congrégation de la doctrine de la foi sur les relations de l'Eglise catholique avec les autres obédiences chrétiennes. Les deux textes visent le même public, qu'on veut rassurer et récupérer, dont les requêtes, dit le théologien Hervé Legrand (La Croix du 11 juillet), sont à la fois liturgiques et doctrinales. Les intégristes veulent une autorité qui les rassure en répétant que leur Eglise est dans son essence étrangère au péché et fidèle au Christ, donc que les autres religions ou confessions, si elles ne sont pas sans valeur, n'en ont que dans la mesure où elles participent de la vérité complète dont l'Eglise romaine a le dépôt. Leur force tient à ce que le catholicisme n'a pas complètement rompu avec une telle idée de soi idéale et rigidifiée : on en a seulement réduit la portée. L'Eglise effective, comme les repentances de l'an 2000 l'ont montré, ne prétend plus être conforme à l'image de l'Eglise idéale qui la légitime et qu'elle revendique comme son identité. Mais n'est-on pas dans la schizophrénie quand on se réfère à la fois, sans expliciter le lien de l'une à l'autre, à une identité idéale et à une mise en oeuvre pécheresse ? D'un côté l'épouse du Christ sans péché, de l'autre l'Inquisition, l'antijudaïsme, l'antiféminisme... La même séparation entre la thèse et l'hypothèse est utilisée pour rendre possible le dialogue oecuménique : la supériorité affirmée d'une obédience chrétienne sur les autres n'est, dit-on, qu'une vérité "canonique", de principe, platonique ; quant à apprécier les comportements des uns et des autres c'est, dit-on aussi, une tout autre affaire. Ainsi l'Eglise se conçoit à la fois comme mondaine et hors du monde, comme incarnée et désincarnée sans que soit problématisé le lien entre le souci du monde et le souci de soi, qui fait l'histoire réelle de l'institution. Ces deux manières de se concevoir coexistent ou alternent (Jean Paul II était sensible aux réalités sociales, Benoît XVI est un dogmaticien) sans que leur rapport soit éclairé. Ce qui est en cause ici, c'est d'abord une conception de la foi. Est-elle une garantie sur quoi on se repose, que l'on répète, qui dispense de risquer ? Ou bien est-elle une confiance qui oriente et anime la vie : la certitude qu'au bout du compte le Christ ne fera pas défaut à ceux qui le suivent. Et cela engage aussi deux rapports au monde. La conception magique de la foi dévalorise le monde, lieu de chute, au mieux espace neutre, alors qu'une foi espérante se formule et se reformule dans le temps, à l'épreuve du temps ; elle n'est pas séparée de l'histoire mais informée par celle-ci. C'est dans leur époque, défiés par celle-ci, qu'un Las Casas et un Bonhöffer ont été témoins de la foi. Se représenter, éprouver la foi non comme un patrimoine mais comme une exigence à déchiffrer permet, mieux que le contraste entre l'Eglise conceptuelle et l'Eglise pécheresse, de penser le parcours réel de l'institution, la force à l'oeuvre, les choix institutionnels, les essais et les erreurs à travers lesquels l'Eglise a appris (ou non) à connaître l'humanité en lui transmettant maladroitement le message et ce qui permet d'espérer d'autres étapes de cette dynamique. Rencontrant les Indiens d'Amérique, le pape s'est trouvé devant un dilemme : ou bien vanter la colonisation au nom de l'évangélisation ou bien la dénoncer comme cruelle et rapace en gommant son lien avec l'extension du christianisme. Une réflexion utile aurait sans doute porté sur les voies ambiguës du christianisme réel, sur le lien réciproque qu'il entretient avec la mondialisation, sur l'horizon éthique dont celle-ci a besoin... Les hésitations et les ambiguïtés de l'Eglise romaine la montrent vulnérable au chantage des intégristes quand ils confondent fidélité et rigidité dogmatique. A cela les autorités catholiques prêtent la main dans la mesure où elles ont fait de ce qui est exigence décisive et objet de confiance, la fidélité au Christ, une assurance extrinsèque, un droit acquis. Cette façon de s'accrocher à une garantie externe sépare le christianisme du monde, le rend donc incapable de s'adresser à lui, inculque aux fidèles, sous prétexte de les orienter vers l'essentiel et l'universel, une conscience de soi anhistorique. Défini de cette manière, le christianisme n'arrive plus à se comprendre comme ayant fait l'histoire, ayant été marqué par elle et pouvant encore l'inspirer. Le christianisme a d'abord été tenté par le rêve d'être la fin de l'histoire, d'établir, comme a dit Maritain à propos du Moyen Age, le "trône de Dieu sur la terre", rêve dont la prétention de "périmer" le judaïsme en l'accomplissant a sans doute été la matrice. Ensuite, devant le démenti apporté par la modernité à cette prétention, l'Eglise s'est repliée, imaginant échapper à une histoire dont elle serait en somme exemptée. Bien qu'elle soit impliquée par l'idée même d'incarnation, la sortie de cette longue complaisance dogmatique n'est pas achevée. Le rêve de restauration de la chrétienté, de même que celui d'une convergence facile avec la modernité ont été pour le catholicisme des tentatives avortées de retrouver l'histoire, le repli sur la doctrine qui en ce moment rapproche le Vatican des intégristes est une manière de reconnaître ces échecs, mais c'est aussi un renoncement au renouvellement que notre époque appelle. Paul Thibaud, président de l'Amitié judéo-chrétienne de France Paul Thibaud Article paru dans l'édition du 22.07.07 |