Monsieur l’abbé, le Pape Benoît       XVI vient de donner la liberté à tous les prêtres de célébrer la       Messe selon le rite romain d’avant le Concile Vatican II. Qu’en       pensez-vous ? Ayant reçu l’appel de Dieu au sacerdoce par la fréquentation         de ce rite et ayant été ordonné prêtre dans ce rite, j’en suis très         heureux et infiniment reconnaissant à notre Saint-Père le Pape. Car         j’ai toujours apprécié dans "la Messe de Saint Pie V" son         caractère sacré et la mystique qu’elle exprime. C’est d’abord justice. Il n’avait pas été         interdit ni abrogé (art. 1 du M.P. et lettre         d’accompagnement aux évêques, §6), mais, en pratique, il l’était         malheureusement. C’est ensuite un geste de charité, car de nombreux         fidèles, jeunes pour la plupart (le Pape le fait remarquer dans la même         lettre), l’apprécient beaucoup comme on le voit dans les pèlerinages         de Pentecôte entre Paris et Chartres. D’autre part, les communautés         anciennes et nouvelles qui utilisent l’ancien rite (selon la         possibilité que leur avait donnée le Pape Jean-Paul II dans un autre         "Motu Proprio" : Ecclesia Dei de juillet 1988), ont         beaucoup de vocations religieuses et sacerdotales. 
 Cette disposition ne va-t-elle pas       accentuer les divisions dans l’Eglise ? L’unité se fait dans la Foi et dans la Foi         catholique. En l’occurrence, il s’agit de la Foi de l’Eglise dans         le Saint Sacrifice de la Messe perpétué sur l’autel par le prêtre,         autre Christ, avec son fruit : la sainte Eucharistie, corps et sang         du Christ, présence réelle et substantielle (Catéchisme de l’Eglise         Catholique, n°1374). Et la Messe doit exprimer cette foi, la         transmettre, quel que soit le rite. Ce qui fait la division, c’est de ne pas suivre les         Livres liturgiques, d’innover, de suivre des modes, de banaliser le         sacré. Le Pape Jean-Paul II avait beaucoup insisté sur la fidélité         des prêtres et des fidèles aux prescriptions de l’Eglise qui, en         cette matière (de Foi), parle au nom du Seigneur (encyclique         sur l’Eucharistie, 2003 et document contre les abus en 2004). 
 Mais le latin, la célébration dos       au peuple, c’est un retour en arrière ! La réforme du rite de la Messe par le Pape Paul VI en         1969, selon les souhaits du Concile Vatican II, était bien en latin         (langue universelle de l’unité) et elle ne demandait pas de retourner         l’autel ou de célébrer sur des tables ! On ne doit pas se positionner ni "en avant",         ni "en arrière", mais vers l’Orient, vers Dieu. Au propre         et au figuré. Les églises ont été construites par des hommes de foi         dans ce sens, vers le soleil qui se lève et qui s’est levé un         dimanche de Pâques, vers le Ciel. Ce n’est pas un face à face fermé sur lui-même, une         auto-célébration, a-t-on pu dire. La liturgie actuelle distingue bien         la liturgie de la Parole et la liturgie Eucharistique. On se tourne, à         chaque fois, vers ceux et vers Celui auquel on parle. 
 Mais si on ne comprend rien et si on       ne voit rien ! Voir quoi ? On ne voit ni ne touche le Christ         ressuscité et monté au ciel "à la droite du Père" ("Ne         me touche pas", a dit Jésus à Marie-Madeleine à l’aube de Pâques,         Jn 20,17) ! Pensez-vous que depuis quarante ans qu’on voit         tout et de près, qu’on touche l’hostie, la Foi et la connaissance         de Dieu ont grandi, se sont fortifiées et, qu’avant, on ne comprenait         ni ne savait rien ? Au contraire, il me semble qu’à trop aller dans ce         sens, on a vidé le contenu du mystère – car la Foi est un mystère         ("Il est grand le mystère de la Foi !",         proclame le célébrant après la consécration) – et que les fidèles,         les jeunes en particulier formés dans cet esprit, ne savent plus ce         qu’est le prêtre, ce qu’est la Messe, ce qu’est l’Eucharistie.         Et les églises se sont vidées, les vocations se sont taries. L’ancien rite donne une éducation mystérieuse et         sublime de la Foi, en particulier dans le silence du Canon (la         prière eucharistique n°1). Le Cardinal Ratzinger en faisait l’éloge         dans l’admirable "Un chant nouveau pour le Seigneur" (Ed.         Desclée-Mame, 1995, pp.188-191). Ajoutons que le chant grégorien est indémodable,         qu’il éduque aussi la Foi, qu’il touche, non les sens (vite lassés         de toutes "les messes" qu’on a créées sans parler des         cantiques), mais l’âme ; qu’il apaise, qu’il élève. C’est exactement ce dont nous avons besoin         aujourd’hui. 
 Allez-vous instaurer "la Messe       de St Pie V" dans votre paroisse ? Il faut pour cela la demande d’ "un         groupe stable de fidèles attachés à la tradition liturgique antérieure",         écrit le Pape dans son Motu Proprio. C’est le curé qui doit "apprécier         lui-même ce qui convient pour le bien de ces fidèles en harmonie avec         la sollicitude pastorale de la paroisse, sous le gouvernement de l’évêque,         en évitant la discorde et en favorisant l’unité." (art.         5, § 1). Notez aussi que le "Motu Proprio" est         applicable à partir du 14 septembre. Autre est une paroisse territoriale (comme Tossiat ou         Certines), autre une paroisse personnelle (affectée à un rite déterminé         par exemple et qui n’a pas de territoire). Déjà, à Tossiat, depuis         dix ans, est célébré le rite actuel selon les lois liturgiques en         vigueur. Face au peuple le dimanche, face à Dieu (vers l’Orient, à         l’autel de la Sainte Vierge) en semaine, ainsi qu’une fois par mois,         le premier jeudi, à l’autel majeur, après l’Heure sainte de la         Garde d’Honneur du Sacré-Coeur de Jésus. Nous ne sommes ici prisonniers d’aucun courant,         d’aucune "sensibilité". Nous utilisons tour à tour les         différentes "messes" (Pro Europa, San         Lorenzo, Sylvanès, Festive…et, pour l’Avent et le Carême, le         Kyriale grégorien XVII avec "l’asperges me" du début). Pour les fêtes, nous chantons le Kyriale VIII "des         anges", que tout le monde connaît. De même pour le Credo, dont la version         "tourne" tous les dimanches : celui des Apôtres, puis         celui de Nicée-Constantinople en français, lus ; puis, en grégorien,         le Credo I et le Credo III, chantés en latin. Nous utilisons des         cantiques anciens dits "traditionnels", des cantiques récents,         dits "du renouveau", etc. C’est parfaitement éclectique. Mais, si "un groupe stable de fidèles" me         demande de célébrer l’ancien rite de la Messe dans l’esprit du         Motu Proprio de Benoît XVI, je le ferai volontiers comme un         enrichissement, après avoir consulté les fidèles de mes paroisses et         ceux qui sont présents tous les dimanches. Non au motif de ressusciter         un passé idéalisé, d’opposition à un vrai renouveau (qui a été,         trop souvent il est vrai, confisqué par des idéologues sectaires qui         ont fait tant de mal à l’Eglise), ou encore, au bénéfice de         catholiques qui se seraient fait les propriétaires chagrins d’un rite         dont ils ne connaissent que la forme. Tout le monde doit s’ouvrir : à la grâce         divine, dans la Tradition qui n’est pas rupture (en avant ou en arrière !)         mais continuité et enrichissement. Dans la paix et dans la joie. 
   N.B. :       La "Constitution sur la sainte Liturgie" ( 4 déc. 1963) du       Concile Vatican II (1962-1965) stipulait ceci :
 Obéissant fidèlement à la Tradition, le saint Concile déclare       que la sainte Mère l’Eglise considère comme égaux en droit et en       dignité tous les rites légitimement reconnus, et qu’elle veut, à       l’avenir, les conserver et les favoriser de toutes manières… Et il       souhaitait que là où il en est besoin, on les révise avec prudence dans       l’esprit d’une saine tradition…(n°3).
 L’abbé Laffargue a été ordonné prêtre       au séminaire d’Ecône (Suisse) par Mgr Marcel Lefebvre, le 29 juin       1979. Co-fondateur de la Fraternité sacerdotale       Saint Pierre (1988). Incardiné dans le diocèse de Belley-Ars       depuis 1997, aujourd’hui curé de Tossiat et Certines Secrétaire de l’Association sacerdotale       "Lumen Gentium" Membre du G.R.E.C. (Groupe de Réflexion       Entre Catholiques) depuis avril 2007. Publication : "Pour l’amour de       l’Eglise", entretien avec Annie Laurent, éd. Fayard, 1999.  |