| Le missel de Pie V, en 1570, a consacré le latin       comme langue liturgique.       LA MESSE n'est pas immuable. Le rite le plus connu de l'Église a été       lentement élaboré et unifié grâce au latin, même s'il a fallu du       temps pour que la langue des césars devienne celle de la liturgie       catholique. Les premières communautés chrétiennes ne connaissaient pas       le mot « messe ». Elles faisaient référence à la « fraction       du pain », plus rarement au « repas du Seigneur »,       car avant le Christ, celui qui présidait à la liturgie du repas juif       bénissait le pain, le rompait et le distribuait aux convives. Le terme,       traduit du grec, d'Eucharistie (remercier) devait l'emporter rapidement       pour désigner des célébrations dont les règles variaient, mais où       l'on entendait sa langue maternelle. C'est à partir du IVe siècle que ce qui n'était pas       encore la messe allait le devenir. En Orient, on continua à utiliser les       langues locales. En Occident, l'Église, devenue officiellement celle de       l'empereur romain, fit sienne le latin. « Acta missa, ite in       pace ». « Ce que l'on a fait est accompli, allez en       paix », lançait l'huissier à la fin des audiences impériales.       Deux siècles plus tard, l'expression était entrée dans le       vocabulaire liturgique. La messe était née, mais le latin n'était plus       le parler quotidien. Celui des clercs n'était d'ailleurs plus celui de       Cicéron. Simplifié dans les chancelleries épiscopales, ce latin était       pour l'Église la seule langue capable de transmettre son message.
 Moines copistes manipulateurs
 De la Sicile à l'Angleterre, tout le monde ne disait pas la messe de       la même manière. Charlemagne voulut y mettre bon ordre et tenta       d'imposer partout une liturgie « romaine ». Toutefois, les       évêques purent y introduire des modifications. De variations en       rectifications, au XVe siècle régnait l'anarchie. Les       protestants dénoncèrent la messe. Les humanistes voulurent la corriger       et la hiérarchie la réformer. Les mentalités évoluèrent. Jusqu'à la       Renaissance, la liturgie était considérée comme parfaite ; il       était dorénavant admis qu'elle pouvait et devait être       « purifiée » pour exprimer l'autorité de l'Église. Plus de       moines copistes manipulateurs : l'invention de l'imprimerie       permettait de diffuser un missel strictement identique.
 Le concile de Trente (1545 - 1563) n'eut pas le temps de statuer       sur le déroulement de la messe. C'est à Pie V que revint cette tâche.       À l'époque du triomphe des langues « nationales », le missel       de 1570 consacrait définitivement, mais non sans résistance, le latin       comme langue liturgique. La France du sud adopta la réforme. Mais elle       rencontra ailleurs l'opposition d'une partie du clergé qui ne voulait pas       du « pur » missel romain, peu adapté aux usages locaux.
 Qu'à cela ne tienne, par une bulle, le pape décida en 1579 que rien       ne pouvait être « ajouté, retranché ou modifié » à       son missel. La messe était dite. Pour assurer l'unité de l'Église et       l'autorité de Rome, elle devait être partout identique. Il faut « d'abord       bien savoir le latin et ensuite l'oublier », disait       Montesquieu : le fossé entre le parler « vulgaire » des       fidèles et cette langue « savante » et « divine »       ne cessa de se creuser jusqu'au XXe siècle. Quarante ans       après Vatican II, qui marginalisa le latin, il revient en force. Si       quelqu'un a oublié le Pater Noster, il est désormais imprimé au       dos des cartons d'invitation pour l'audience hebdomadaire de Benoît XVI       et le comité pontifical pour les sciences historiques se penche sur « l'avenir       du latin ». L'objectif ? Rappeler que ce n'est pas une       langue morte, mais « un fondement de l'identité de       l'Europe » et de l'Église catholique.
 |