22 mars 2013

[Vini Ganimara - Osservatore Vaticano] Conclave : la déconfiture des ratzinguériens?

SOURCE - Vini Ganimara - Osservatore Vaticano - 22 mars 2013

Une question lancinante se pose à Rome depuis le 13 mars au soir, du côté des battus (car si l’Esprit Saint dirige bien les conclaves, il lui arrive de donner des fessées…). C’est celle-ci : comment le vent a-t-il tourné si rapidement à la Sixtine lors des premiers scrutins (lundi soir et mardi matin) et comment le principal papable, le cardinal Angelo Scola, a-t-il été si vite éliminé ? Une nouvelle rumeur court actuellement. Ce n’est qu’une rumeur.

Dans un article du 1er mars, sur ce blogue (« Le cardinal Ouellet, papable de l’extrême centre ») : j’avais évoqué le scénario catastrophe que certains imaginaient pour se faire peur, celui d’un duel entre Scola et Ouellet, au bénéfice final de ce dernier, c’est-à-dire aboutissant à l’élection d’un pape plus jeune et en meilleure santé que le précédent, mais en quelque sorte déjà “émérite” par son tempérament et sa personnalité.

Or, selon les supputations actuelles, il se pourrait que le scénario réel ait été encore pire. Les votes se seraient partagés entre les non ratziguériens, Scherer et Borgoglio – avec une dynamique bien orchestrée en faveur de ce dernier – d’une part, et les ratzinguériens, d’autre part, mais qui se seraient auto suicidés avec un duel interne Scola/Ouellet. Copé, je veux dire Scola, n’aurait eu que 33 voix au 1er tour, talonné par Fillon, j’ai encore fourché, je voulais dire Ouellet.

On a compris immédiatement qu’il n’y aurait pas de Benoît XVII, et les voix de Marc Ouellet se seraient reportées sur le cardinal Bergoglio. Le cardinal Ouellet – rumeur dans la rumeur, à prendre donc avec une très, très grande prudence – se serait vu annoncer la charge ratzinguérienne par excellence de Préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la foi – ce qui signalerait aussi la “disgrâce” de Mgr Gerhard Müller, empêtré dans l’affaire de l’Université ci devant « catholique et pontificale » du Pérou, et redonnerait de la crédibilité à la nomination de Mgr Pietro Parolin, un italien nonce au Vénézuéla depuis 2009 et proche du cardinal Fernando Filoni, membre éminent de la “vieille Curie”, comme nouveau secrétaire d’État.

Dans un article paru aujourd’hui dans Présent, et daté du 23 mars, l’abbé Claude Barthe émet des doutes sur le fait que le pape François puisse assumer à plein l’héritage doctrinal conciliaire. Et il émet d’autre part l’hypothèse que « l’herméneutique de continuité » risque de sombrer. Je ne partage pas cette analyse : il est en effet parfaitement possible qu’une place soit laissée à cette herméneutique dans le nouveau pontificat : on peut très bien la laisser fonctionner à la Congrégation pour la Doctrine de la foi, dans des chaires universitaires, dans des revues scientifiques, mais comme le moulin de Maître Cornille, à vide.

Le vide ne viendrait pas seulement du fait qu’elle n’aurait plus les rênes du pouvoir, mais viendrait surtout du fait qu’il n’y a plus de ratzinguérisme théologique possible, et encore moins magistériel, après Ratzinger, sinon sur un mode mineur.

La pensée du cardinal Ouellet est l’archétype de cette théologie qui a tenté de canaliser le torrent conciliaire depuis les années 80, sous la houlette de Joseph Ratzinger, mais dont l’expression s’essouffle aujourd’hui visiblement. La présentation de l’Instumentum Laboris du synode sur « La Parole de Dieu dans la vie et la mission de l’Église » qui s’est tenu en 2008, était précisément signée de Marc Ouellet : « Grâce à la vision trinitaire et christocentrique de Vatican II, l’Église a renouvelé la conscience de son propre mystère et de sa mission. La Constitution dogmatique Lumen Gentium et la Constitution pastorale Gaudium et Spes développent une ecclésiologie de communion qui s’appuie sur une conception renouvelée de la Révélation. […] Les Pères conciliaires ont mis l’accent sur la dimension dynamique et dialogale de la Révélation comme autocommunication personnelle de Dieu, etc. »

De tels discours, complexes et évidés, peuvent se développer à l’infini, sans aucun bénéfice tangible pour la résurrection du catholicisme. A côté desquels, le pape François pourra tenir des discours réformateurs beaucoup plus simples et très compréhensibles, mais d’un effet finalement identique. Le plus important quotidien de Buenos Aires, La Nacion, dans un article du 21 mars 2013 sur « La méthode de Bergoglio pour gouverner », donnait comme l’un de ses principes : la réalité est plus déterminante que les idées. On le voit par exemple dans un entretien donné à la revue 30 Giorni de novembre 2007, où il disait : « À Buenos Aires, il y a environ 2 km entre deux paroisses. Alors j’ai dit aux prêtres : “Si vous le pouvez, louez donc un garage, et si vous trouvez un laïc bien disposé, jetez-vous à l’eau ! Qu’il reste un peu avec ces gens, qu’il leur fasse un peu de catéchèse et qu’il donne la communion à ceux qui le demandent”. Un curé m’a dit : “Mais Mon Père, si nous faisons ça, alors les gens ne viendront plus à l’église”. “Et alors ?”, lui ai-je dit, “Ils y viennent, aujourd’hui, à la messe ?”. “Non”, m’a-t-il répondu. Et bien alors ! Il faut sortir de soi-même, sortir des barrières étroites du jardin de nos propres convictions considérées comme inamovibles, quand elles risquent de devenir un obstacle, si elles nous ferment l’horizon qui est Dieu ».