SOURCE - FSSPX - Lettre à Nos Frères Prêtres n°57 - mars 2013
Selon ce qui se dit usuellement, la constitution du concile Vatican II sur la liturgie, Sacrosanctum concilium (abrégée CSL), a été votée à l’unanimité : manifestation d’un large consensus sur ses principes et son contenu. Cette constitution liturgique a été mise en œuvre grâce à une merveilleuse réforme liturgique, qui a été adoptée sans difficulté notable (et même avec enthousiasme) par la quasi-totalité des catholiques. Cette réforme a heureusement permis d’introduire dans la liturgie la participation active des fidèles, jusqu’ici tout à fait inconnue.
Devant ce conte de fées, notre modeste contribution à un débat liturgique que tous semblent appeler de leurs vœux consiste à creuser un peu et à questionner ces réponses couramment données.
Une belle unanimité
La CSL fut, de tous les documents préparés pour le concile, l’unique rescapé : les Pères estimèrent que son orientation correspondait à leurs vœux. Après discussions et amendements, la CSL fut votée le 4 décembre 1963 à la quasi-unanimité (2 147 voix contre 4), ce qui semblait manifester un accord parfait. Dès le 25 janvier 1964, par le Motu proprio Sacram liturgiam, le pape Paul VI créait le Consilium ad exsequendam Constitutionem de sacra liturgia chargé de mettre en œuvre les orientations définies par la CSL. De 1964 à 1970, le Consilium s’attacha à réaliser, sous la direction du pape lui-même, la réforme liturgique envisagée par le concile Vatican II.
Toutefois, la mise en œuvre de cette réforme a altéré l’unanimité du 4 décembre 1963. En particulier, a été mis en discussion le lien à établir entre la CSL et la liturgie réformée. Et chacun des protagonistes invoque en faveur de sa position tel ou tel passage de la CSL. Les paroles qu’avait écrites l’abbé Laurentin se vérifient ainsi : « Si on savait tout ce que la réforme liturgique engage, peut-être ne l’aurait-on pas votée, du moins avec cette majorité, disait un expert le 4 décembre dernier » (René Laurentin, L’enjeu du concile. Bilan de la deuxième session, Seuil, 1964, p. 260).
Pour les premiers, la CSL est bien la cause de la liturgie réformée, même en ses détails. Mais ce groupe n’est pas uni. Les uns estiment la CSL excellente, et la liturgie réformée de même. Les autres estiment la CSL critiquable, et la liturgie réformée de même. D’autres encore n’ont pas d’avis sur la question, mais la parole du pape les rassure sur ce lien entre la CSL et la liturgie réformée. Pour les seconds, la CSL n’est que très imparfaitement la cause de la liturgie réformée. Mais ce groupe, lui aussi, n’est qu’apparemment uni. Pour les uns, la CSL est bonne car traditionnelle, et la liturgie réformée a outrageusement dépassé ses orientations. Pour les autres, la CSL est bonne car novatrice, et la liturgie réformée n’a pas réussi, par frilosité, à se dégager complètement des formes sclérosées antérieures.
Cette contestation sur l’héritage, qui existe encore aujourd’hui dans l’Église, manifeste que l’apparente unanimité du 4 décembre 1963 était en réalité problématique.
Un texte de réforme
La fracture s’est donc manifestée au moment où la CSL était traduite en une réforme concrète de la liturgie : de façon fidèle ou non, tel est le débat. Il est alors légitime de revenir vers la CSL pour analyser la façon dont elle parle (ou non) d’une réforme. Or, une lecture même superficielle de la CSL manifeste que son objet n’est pas à proprement parler la liturgie, mais très précisément la réforme de cette liturgie, ce que le concile appelle « instaurare et fovere sacram liturgiam » (CSL, passim), traduit dans la version française classique par « restaurer et faire progresser la liturgie » et, après le concile, par la formule plus ramassée de « réforme liturgique».
Le concile complète cette formule en précisant que cette restauration ou réforme doit être « générale », « géneralis instauratio » (CSL 21), ce qui explique que tous les rites de la liturgie soient minutieusement passés en revue par la CSL, non pour leur seule valeur liturgique, mais pour expliquer comment devra se réaliser leur réforme et, en général, celle de la liturgie tout entière.