SOURCE - FSSPX - Lettre à Nos Frères Prêtres n°57 - mars 2013
Parmi les poncifs de la critique antiliturgique préconciliaire, dont se sont très probablement inspirés les rédacteurs de CSL, on trouvait en particulier l’affirmation que la participation liturgique des fidèles était inexistante, ou presque : les rites d’avant le concile auraient réuni une assistance passive, distraite, muette et paresseuse. Un texte assez récent nous servira d’exemple de ce discours critique : « Il est clair que l’une des préoccupations majeures de la Constitution est de promouvoir la participation de tous les chrétiens. (…) Certains se souviennent encore des messes d’autrefois où l’on se contentait “d’assister” à l’office avec une passivité désolante. Ils n’ont aucune envie d’y revenir » (Jean Rigal, « Les célébrations de l’Église », La Croix, mercredi 13 mars 2002, p. 27). Examinons de façon précise si ce reproche était fondé et aurait pu servir de fondement à la réforme.
La pratique de la participation liturgique, avant Vatican II
Avant le concile, en réalité, la participation liturgique existait dans la pratique : on écoutait, on répondait, on chantait, on communiait, on processionnait, on assurait les diverses fonctions (servants, chantres, quêteurs, etc.). Certes, la participation liturgique variait selon qu’on se trouvait dans telle ou telle paroisse, dans un monastère, dans une école, dans un groupement de fidèles, dans un mouvement de jeunesse, au sein d’un pèlerinage, etc. Certes, il existait des limites à cette participation, des défauts liés à l’humaine nature. Toutefois, la réforme liturgique n’a pu changer ce qui tient à la faiblesse des hommes : il suffit de participer à n’importe quelle liturgie postconciliaire pour y découvrir des fidèles en retard, distraits, muets (ou au contraire bavards), etc. Mais il faut affirmer que la participation, prise en son sens littéral, existait bel et bien dans la pratique avant le concile.
La participation dans les instruments du savoir, avant Vatican II
Non seulement cette participation existait en fait, mais sa nécessité était explicitement enseignée, en particulier sous la forme de l’universalité de la liturgie : acte public, elle était l’action de tous et profitait à tous. Le concile de Trente, par exemple, disait : « Le concile désire et souhaite qu’à chaque messe, les fidèles présents communient non seulement spirituellement, mais par la réception effective du sacrement de l’Eucharistie » (XXII, 6). Le catéchisme publié à la suite du concile précisait : « Toutes les messes doivent être considérées comme universelles, et comme applicables au bien et au salut commun de tous les fidèles » (Catéchisme romain, deuxième partie, VII, 9, in fine).
Le catéchisme pour enfants se situait dans la même ligne : « Toute l’Église participe aux fruits de la sainte messe, mais particulièrement : 1) le prêtre et ceux qui assistent à la messe et qui sont considérés comme unis au prêtre, etc. » (Catéchisme de saint Pie X, quatrième partie, V, 1, in fine). Le même catéchisme soulignait encore : « La meilleure manière de pratiquer la dévotion du cœur en entendant la sainte messe est la suivante : 1) unir dès le commencement son intention à celle du prêtre, offrant à Dieu le saint sacrifice pour les fins pour lesquelles il a été institué ; 2) suivre le prêtre en chacune des prière et des actions du sacrifice, etc. » (quatrième partie, V, 2, in medio).
Les canonistes, moralistes et liturgistes rappelaient expressément cette nécessité de la participation liturgique, notamment en parlant du servant de messe : « La messe était primitivement un acte de culte collectif. Lorsque s’introduisit en Occident l’usage des messes de dévotion privée, on exigea au moins l’assistance d’un ministre. (…) A défaut d’un ministre sachant répondre et servir, on peut se contenter d’un ministre sachant répondre. Un indult apostolique est requis pour dire la messe habituellement sans que quelqu’un y réponde » (Raoul Naz, Traité de droit canonique, Letouzey et Ané, 1954, II, p. 97). « Le saint sacrifice de la messe, célébré selon les saints canons et les rubriques, est un acte du culte public rendu à Dieu au nom du Christ et de l’Église. C’est pourquoi la dénomination de ”messe privée“ doit être évitée » (début des Rubricæ generales missalis romani promulguées en 1960 par Jean XXIII).
La participation liturgique chez les papes, avant Vatican II
Les papes, notamment depuis saint Pie X, avaient souvent parlé de la participation des fidèles à la liturgie. Sur les cent numéros de la « Table logique » du premier volume des Enseignements pontificaux de Solesmes consacré à la liturgie (volume qui date d’avant Vatican II), dix numéros, soit 10 %, sont consacrés à la participation des fidèles. Pie XI écrivait par exemple dans Divini cultus que « les fidèles se réunissent dans le lieu saint pour y puiser la piété comme à sa source principale, par une participation effective aux saints mystères ». « Il est absolument nécessaire, ajoutait-il, que les fidèles n’assistent pas aux offices en étrangers ou en spectateurs muets ; mais que, pénétrés de la beauté des choses liturgiques, ils prennent part aux cérémonies sacrées ».
Dans sa grande encyclique Mediator Dei consacrée à la liturgie, Pie XII soulignait : « [Depuis la fin du siècle dernier], les cérémonies sacrées de la messe ont été mieux connues, comprises, estimées ; la participation aux sacrements a été plus large et plus fréquente ; la beauté des prières liturgiques plus goûtée, et le culte de la sainte Eucharistie considéré, à juste titre, comme la source et l’origine de la vraie piété chrétienne. En outre, plus que par le passé, on a fait connaître aux fidèles qu’ils forment tous ensemble un seul corps, très étroitement uni, dont le Christ est la tête, et que le peuple chrétien a le devoir de participer, à sa juste place, aux rites liturgiques. Vous savez certainement que ce Siège apostolique a toujours apporté un soin diligent pour que le peuple confié à sa garde fût éduqué à un sens liturgique à la fois juste et actif ». Pie XII ajoutait : « Il est donc nécessaire que tous les chrétiens considèrent comme un devoir principal et un très grand honneur de participer au sacrifice eucharistique, et cela, non d’une manière passive et négligente, mais avec une attention et une ferveur qui les unissent étroitement au souverain Prêtre ».
Le concile Vatican II veut instaurer la « participation active »
Ainsi, la participation liturgique existait avant Vatican II, dans la pratique comme dans la théorie. Pourtant, le concile affirme la suprême importance d’instaurerla « participation active » dans la liturgie, ce qui sous-entend que, jusqu’ici, elle n’existait pas. Nous devons en conclure qu’aux yeux du concile, la « participation active » est d’une autre nature que la participation pratiquée avant le concile, et supérieure, puisqu’il s’agit de l’instaurer à la place de la précédente.
Effectivement, la participation est un thème qui revient souvent dans la CSL : sur ses 130 articles, 19 comportent le mot « participation » et contribuent directement à en expliciter le sens. Dans quelle mesure, toutefois, le concile a-t-il, sur le sujet spécifique de la « participation active », proposé un état des lieux de la participation enseignée et pratiquée avant le concile ? Sur les dix-neuf articles de la CSL évoquant la participation et dont nous avons parlé, seuls six d’entre eux, en réalité, apportent des éclaircissements fondamentaux sur cette notion (11, 14, 19, 21, 48, 79). « L’Église étant soucieuse d’obtenir que les fidèles n’assistent pas au mystère de la foi comme des spectateurs étrangers et muets », nous dit la CSL (art. 48), la participation doit être « consciente, active et fructueuse » (art. 11), « pleine » (art. 14), « intérieure et extérieure » (art. 19), « proportionnée à l’âge des fidèles, à leur condition, à leur genre de vie et à leur degré de culture religieuse » (art. 19), « communautaire » (art. 21), « pieuse » (art. 48) et « facile » (art. 79). Cette participation est « demandée par la nature de la liturgie elle-même » (art. 14), car elle est « un droit et un devoir pour le peuple chrétien en vertu de son baptême », en sorte qu’il faut y voir le but de la réforme liturgique et « la source première et indispensable à laquelle les fidèles doivent puiser un esprit vraiment chrétien » (ibid.).
Nous découvrons là des qualités, qu’un chrétien ne peut que souhaiter pour la vie liturgique. Qui refuserait que les fidèles s’unissent à la liturgie extérieurement et intérieurement, de façon pieuse et communautaire, consciente et fructueuse ? Mais ce qui n’est dit nulle part, dans ces textes du concile, c’est en quoi la participation qui existait avant le concile ne répondait pas à ces conditions. Une nouvelle fois, sur ce point-clé de la participation, le concile nous propose une réforme majeure sans analyse explicite des défauts de la situation précédente, sans état préalable des lieux.