SOURCE - Abbé Paul Préaux - entretien avec Christophe Geffroy - La Nef - février 2013
Fondée en 1976, la Communauté Saint-Martin n’a cessé de croître et est de plus en plus sollicitée par les évêques. Trop à l’étroit, elle a acquis l’abbaye d’Evron (Mayenne) où elle s’installera en 2014, d’importants travaux étant à prévoir. Entretien avec son modérateur général.
Fondée en 1976, la Communauté Saint-Martin n’a cessé de croître et est de plus en plus sollicitée par les évêques. Trop à l’étroit, elle a acquis l’abbaye d’Evron (Mayenne) où elle s’installera en 2014, d’importants travaux étant à prévoir. Entretien avec son modérateur général.
La Nef – Un mot d’abord pour présenter la Communauté Saint-Martin : comment est-elle née, quelle est sa vocation, où êtes-vous implantés… ?
Abbé Paul Préaux – En 1976, poussé par de jeunes étudiants
sentant en eux une vocation sacerdotale, l’abbé Jean-François Guérin, prêtre
du diocèse de Tours en mission à Paris, décide de quitter la France pour
fonder la Communauté Saint-Martin, sous la vigilance paternelle du cardinal
Giuseppe Siri, archevêque de Gênes (Italie). Avec les premiers séminaristes
qui le suivent, il s’installe dans un couvent capucin à Voltri, non loin de Gênes.
Le cardinal Siri accordera, jusqu’à sa mort, en 1989, son amitié à notre
fondateur, et lui exprimera sa profonde estime en le nommant chanoine honoraire
de la basilique de l’Immaculée Conception à Gênes et de la cathédrale
Saint-Laurent. En 1993, la Maison de formation quitte le diocèse de Gênes pour
rejoindre le diocèse de Blois à Candé-sur-Beuvron.
La vocation de la Communauté est définie par sa finalité : faire vivre à ses membres le sacrement du ministère apostolique (cf. CEC 1536) selon une forme de vie commune telle qu’elle est recommandée par le concile Vatican II dans l’esprit de saint Martin. Elle se met donc au service des évêques diocésains pour recevoir et accomplir des missions pastorales spécifiques. Actuellement, nous sommes implantés dans une douzaine de diocèses en France, mais aussi en Italie et à Cuba.
La vocation de la Communauté est définie par sa finalité : faire vivre à ses membres le sacrement du ministère apostolique (cf. CEC 1536) selon une forme de vie commune telle qu’elle est recommandée par le concile Vatican II dans l’esprit de saint Martin. Elle se met donc au service des évêques diocésains pour recevoir et accomplir des missions pastorales spécifiques. Actuellement, nous sommes implantés dans une douzaine de diocèses en France, mais aussi en Italie et à Cuba.
Cherchant à vous agrandir, vous allez déménager en Mayenne dans les bâtiments de l’abbaye d’Evron : pourriez-vous nous dire un mot de cette aventure ?
Comment résumer une telle aventure en un mot ? Peut-être avec celui-ci : «
Providence » ! Oui, Providence car au fur et à mesure des rencontres, des
concertations et des contacts, je peux témoigner de la présence réelle du
Seigneur à nos côtés. J’ai été confronté à deux problématiques.
D’une part, agrandir la Maison de formation pour y accueillir un plus grand
nombre de séminaristes. Aujourd’hui, avec une soixantaine de séminaristes,
les chambres sont toutes occupées, jusqu’aux plus petits recoins, la chapelle
ne peut contenir suffisamment de stalles, les couloirs bouchonnent, les salles
de classes sont combles… Seuls la cuisine et le réfectoire refaits il y a
trois ans sont aux dimensions de notre nombre ! D’autre part, la nécessité
de se doter d’une Maison généralice capable d’accueillir les prêtres et
diacres de la Communauté et d’y proposer une solution pour leur fin de vie
mais encore d’assumer les services généraux de la Communauté : économat,
chancellerie, secrétariat, archivage. Sans parler des Assises annuelles,
lorsque plus de 80 prêtres et diacres reviennent pour trois jours « chez eux
», et doivent s’y entasser tant bien que mal…
Quelle spécificité avez-vous par rapport à un séminaire diocésain classique, pourquoi une vocation frappe-t-elle chez vous plutôt que chez son évêque ?
La reconnaissance canonique de la Communauté comprend la mission de former ses
membres faisant d’eux des ministres capables de vivre leur ministère en
communauté et disponible aux nominations. De fait, un membre de la Communauté
s’engage à vivre tout au long de sa vie une certaine mobilité au service
d’une plus juste répartition du clergé. Si cet aspect de mobilité rejoint
une aspiration actuelle de la nouvelle génération, elle exige aussi une
formation adéquate et une continuelle conversion. Il ne s’agit pas, en effet,
de flatter une tendance à la bougeotte ou à l’instabilité. D’autre part,
ce qui frappe les jeunes qui demandent leur intégration à la Communauté
Saint-Martin, c’est l’aspect familial de notre façon de vivre notre ministère.
La solitude et l’isolement des prêtres diocésains ne les attirent pas. Mais
un autre aspect de notre vie mérite d’être souligné. Notre fondateur nous a
transmis un grand amour du sacerdoce et de l’Église. Nous essayons de vivre
notre sacerdoce, notre amour de l’Église – y compris sa Tradition vivante
–, de façon décomplexée et enthousiaste.
Permettez-moi de poser la question autrement, plus brutalement : votre succès, comme celui d’autres instituts de prêtres séculiers, ne révèle-t-il pas la crise traversée par nombre de séminaires diocésains ?
Vous permettrez certainement que ma réponse soit elle aussi un peu directe ! Je
n’aime pas votre expression « votre succès ». D’abord parce que, comme
l’a écrit le cardinal J. Ratzinger en 2000, « le succès n’est pas le nom
de Dieu » ! Je me méfie des succès apparents, surtout si ceux-ci se
remportent sur le dos des autres ! Ce serait vraiment très malsain. La
Communauté Saint-Martin doit servir joyeusement le projet de Dieu sur elle.
Nous sommes résolument dans le registre de la gratuité du don de Dieu, et non
celui de la stratégie humaine. Dieu nous conduit, nous guide, y compris dans
les méandres de l’histoire des hommes. Nous voulons être ses serviteurs, ses
ambassadeurs, ses apôtres. À ce sujet, j’aimerais vous faire partager une réflexion,
devenue célèbre, de notre fondateur Mgr J.-F. Guérin : « La communauté
Saint-Martin dans ses origines, son existence, ses ambitions, ne peut être que
le fait d’une pure volonté divine. À la lumière de sa dévotion au Cœur du
Christ, avec l’aide de Marie-Immaculée, sa Mère, et sous le signe de la
charité de Martin, elle ne peut être composée que de la misère de chacun de
ses membres mis à la disposition de l’amour miséricordieux de Jésus, unique
et souverain Prêtre. À vue humaine, c’est donc une misère dont l’Église
n’aurait nullement besoin. Dans la foi, ce devrait être une Sagesse du Fils,
à la Gloire de son Père pour le service des âmes dans l’Église. » Nous ne
sommes pas meilleurs que les autres, même si aujourd’hui nous avons un peu
plus de vocations que certains séminaires diocésains. Nous sommes différents
et complémentaires. Cette complémentarité doit servir notre conversion réciproque
au Christ et à l’Évangile.
Pourquoi la vie commune est-elle essentielle pour vous ? N’est-ce pas un « luxe » en une époque de cruel manque de prêtres que d’en localiser plusieurs au même endroit ?
La vie commune du clergé n’est pas une nouveauté dans l’Église. Elle
prend sa source dans la forme apostolique du ministère. Le bienheureux
Jean-Paul II écrivait dans son exhortation apostolique Pastores dabo vobis : «
Le ministère ordonné, de par sa nature même, ne peut être accompli que pour
autant que le prêtre est uni au Christ par l’insertion sacramentelle dans
l’ordre presbytéral et donc pour autant qu’il est en communion hiérarchique
avec son évêque. Le ministère ordonné est radicalement de “nature
communautaire” et ne peut être rempli que comme “œuvre collective” »
(n. 17). Vous le comprenez, la vie commune n’est pas d’abord essentielle à
la Communauté Saint-Martin. Elle est essentielle au ministère ordonné. Par
contre, il est vrai que la Communauté vit cette exigence selon une forme –
familiale – qui lui est spécifique et qui est définie tant par nos statuts
que par notre coutumier. Par conséquent, pour reprendre les termes de votre
question, j’ai l’impression que le « luxe » ne réside pas aujourd’hui
dans le fait de vivre la vie commune, mais dans le fait d’avoir des prêtres
heureux qui puissent servir les paroisses.
Face à la désertification sacerdotale de certains diocèses, en tant qu’institut de prêtres séculiers appelés à servir dans les diocèses, comment analysez-vous cette situation et quelle organisation voyez-vous se dessiner pour l’avenir ?
Nous vivons une crise de la foi très sérieuse, y compris parmi les
catholiques, qui se traduit par un désenchantement, une peur de l’avenir, une
morosité ambiante ! Cette crise a de graves répercussions sur la réponse de
certains jeunes à l’appel au sacerdoce. Toutefois, on ne pourra pas remédier
à cette crise simplement par une meilleure organisation. Le pape Benoît XVI
l’a rappelé récemment aux évêques français en visite ad limina
apostolorum : « La solution des problèmes pastoraux diocésains qui se présentent
ne saurait se limiter à des questions d’organisation, pour importantes
qu’elles soient. Le risque existe de mettre l’accent sur la recherche de
l’efficacité avec une sorte de “bureaucratisation de la pastorale”, en se
focalisant sur les structures, sur l’organisation, et les programmes, qui
peuvent devenir “autoréférentiels”, à usage exclusif des membres de ces
structures. Celles-ci n’auraient alors que peu d’impact sur la vie des chrétiens
éloignés de la pratique régulière… Il est donc nécessaire que dans les réorganisations
pastorales, soit toujours confirmée la fonction du prêtre qui “en tant
qu’elle est unie à l’Ordre épiscopal, participe à l’autorité par
laquelle le Christ lui-même construit, sanctifie et gouverne son Corps” »
(21 septembre 2012). Pour faire face à cette crise, une de mes priorités reste
l’éveil des vocations, la formation des prêtres et l’accompagnement de
ceux-ci dans leur ministère et leur vie.
Les instituts comme le vôtre sont-ils une « solution » à cette crise ? Autrement dit, les évêques, de plus en plus nombreux, qui font appel à vous, le font-ils par « nécessité » faute de prêtres ou ont-ils d’autres raisons spécifiques de vous inviter ?
Oui, c’est un fait qu’un certain nombre d’évêques français et
étrangers réclament une fondation de la Communauté Saint-Martin parce
qu’ils savent la place irremplaçable des prêtres dans l’œuvre de l’évangélisation.
Dans le dialogue que nous avons avec eux, je sens un désir sincère de
respecter notre identité et notre spécificité. Ils me disent qu’ils apprécient
que nous soyons vraiment des prêtres de paroisse, travaillant d’abord pour le
salut des âmes, et non pour les besoins internes de la Communauté. Si, la
plupart du temps, ils nous confient plutôt des ministères paroissiaux, déjà,
plusieurs évêques nous demandent des prêtres pour aider à la formation des
laïcs et des ministres ordonnés.
Vous vous occupez également d’écoles et organisez nombre de camps de jeunes : quelle place ces activités ont-elles au sein de la Communauté Saint-Martin ?
Si le ministère paroissial est le cœur de notre activité
apostolique, les évêques demandent aussi des prêtres pour s’occuper de la
pastorale des jeunes. Nous y répondons habituellement en envoyant des prêtres
dans les aumôneries mais aussi en lançant des initiatives plus spécialisées
: création d’internats diocésains, patronages paroissiaux, camps, routes, et
colonies de vacances. Bien évidemment, ces initiatives tiennent une grande
place au sein de la Communauté, car l’éducation humaine et chrétienne de la
jeune génération est une priorité. Nous avons actuellement la responsabilité
pastorale de deux internats : l’un à Pontlevoy (41) et l’autre au
Puy-en-Velay (43).
Pourriez-vous nous expliquer les raisons qui vous ont poussé à attacher un soin tout particulier à la formation ?
Du fait de la vie fraternelle propre à la Communauté, l’apprentissage de la
vie commune est totalement intégré à la formation des séminaristes. Si les
formations spirituelle (spécialement liturgique), intellectuelle (à l’école
de saint Thomas d’Aquin) et pastorale ont toute leur place, nous insistons sur
une formation humaine intégrale de telle façon que les séminaristes puissent
devenir des hommes responsables et autonomes. La Maison de formation doit être une
école du service du Seigneur et de son Église, mais aussi de la liberté intérieure.
Comme aimait à le répéter Mgr Guérin : « Avant de faire des prêtres, il
faut faire des chrétiens qui soient des hommes. » Nous formons des diacres
(car nous avons aussi des diacres permanents au sein de la Communauté) et des
prêtres en vue de l’exercice du ministère en communauté. Le temps de la
formation (et il ne finit jamais… !), c’est le temps de l’apprentissage à
l’exercice de la responsabilité propre au ministère ordonné : apprendre à
travailler ensemble et avec d’autres, à obéir, à servir un projet commun
avec la gratuité du Serviteur. Seuls ceux qui savent obéir avec
l’intelligence de la foi et la liberté intérieure, sauront prendre des
responsabilités et exercer l’autorité propre au munus regendi, à la mission
de gouvernement. Il faut apprendre aussi à partager tant la prière que
l’activité apostolique, pour s’exercer au munus sanctificandi, c’est-à-dire
à la mission de sanctification des âmes. Cette formation passe par
l’exercice du pardon mutuel et la capacité de vivre entre nous la correction
fraternelle. Enfin, il faut savoir écouter, à commencer par la Parole de Dieu,
pour pouvoir donner une parole, un exemple, un service : cela permet de
s’exercer au munus docendi, c’est-à-dire à la mission d’enseignement.
Vous êtes réputés par l’attention que vous portez à la liturgie : pensez-vous qu’il y a eu un manque en ce domaine ? Et comment analysez-vous la situation liturgique actuellement en France et dans l’Église ?
La liturgie tient une grande place dans l’histoire et la vie de la
Communauté Saint-Martin. Mais attention, ce souci pour la liturgie n’est pas
dicté d’abord par un goût esthétique, individualiste ou sentimental. Nous
donnons à la liturgie toute sa place car nous croyons que « dans la liturgie
de la Nouvelle Alliance, toute action liturgique, spécialement la célébration
de l’Eucharistie et des sacrements, est une rencontre entre le Christ et l’Église
» (Catéchisme de l’Église catholique, n. 1097). C’est l’acte par lequel
nous entrons en contact avec Dieu : Il vient à nous, et nous sommes illuminés
par Lui. C’est pourquoi, lorsque dans les réflexions sur la liturgie, nous
concentrons notre attention uniquement sur la façon de la rendre attrayante,
intéressante et belle, nous risquons d’oublier l’essentiel : la liturgie se
célèbre pour Dieu et non pour nous-mêmes. « Ce n’est pas l’individu –
prêtre ou fidèle – ou le groupe qui célèbre la liturgie, mais elle est
avant tout action de Dieu à travers l’Église, qui a son histoire, sa riche
tradition et sa créativité. Cette universalité et ouverture fondamentale, qui
est propre à toute la liturgie, est l’une des raisons pour laquelle elle ne
peut pas être conçue ou modifiée par une communauté singulière ou par des
experts, mais elle doit être fidèle aux formes de l’Église universelle. »
Cette obéissance fondamentale à ce que l’Église nous demande à travers ses
textes liturgiques aurait évité bien des déviances et des difficultés
actuelles. Le pape Benoît XVI rappelait dans une de ses Audiences du mercredi :
« La liturgie chrétienne, même si elle est célébrée dans un lieu et un
espace concret, et exprime le “oui” d’une communauté déterminée, est
par sa nature catholique, provient du tout et conduit au tout, en unité avec le
pape, avec les évêques, avec les croyants de toutes les époques et de tous
les lieux. Plus une célébration est animée par cette conscience, plus se réalise
en elle de façon fructueuse le sens authentique de la liturgie » (3 octobre
2012).
Propos recueillis par Christophe Geffroy
Communauté Saint-Martin, 53 rue du Château, BP 34, 41120 Candé-sur-Beuvron Cedex.
Tél : 02 54 52 48 10. Site : www.ctestmartin.fr
Propos recueillis par Christophe Geffroy
Communauté Saint-Martin, 53 rue du Château, BP 34, 41120 Candé-sur-Beuvron Cedex.
Tél : 02 54 52 48 10. Site : www.ctestmartin.fr